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Anévrysmes de l'aorte abdominale



Professeur Stéphan HAULON

 

Généralités

Un anévrysme est une dilatation permanente avec perte du parallélisme des parois d’un vaisseau, le diamètre au niveau de l’anévrisme est au moins 1,5 fois supérieur au diamètre du vaisseau en amont. Une ectasie artérielle est une dilatation plus modérée (<1,5).

En fonction de leur morphologie, on distingue 2 types d’anévrismes : les anévrismes fusiformes athéromateux, les plus fréquents, et les anévrismes sacciformes, généralement d’origine infectieuse. 

Les localisations les plus fréquentes de l’atteinte anévrismale sont par ordre décroissant l’aorte abdominale sous-rénale, les artères poplitées, puis les artères fémorales. L’atteinte artérielle est souvent multifocale.

Le calibre d’une artère dépend de l’âge, du sexe et de la surface corporelle. Par exemple, à 50ans, le diamètre de l’aorte sous-rénale est de 19,9±1,7mm.

L’augmentation de diamètre des anévrysmes aortiques expose au risque de rupture qui est létale dans 80% des cas. Le risque des anévrismes poplités est la thrombose qui met en jeu le pronostic vital du membre inférieur (amputation dans plus de 30% des cas).

 

Epidémiologie

Incidence : 5 à 10% des hommes de plus de 65ans, avec un ratio homme-femme de 5 pour 1.

La principale complication est la rupture, engageant d’emblée le pronostic vital ; les autres complications sont rares (thromboemboliques, compression des organes de voisinage : uretères, duodénum, veine cave inférieure, rachis).

 

Physiopathologie 

Les anévrysmes de l’aorte infra-rénale sont d’origine « dégénérative » dans 90% des cas. Le processus est différent de l’athérosclérose oblitérante. Il s’agit ici d’une destruction progressive de la média et de ses structures élastiques (élastine et collagène), probablement par un ensemble de phénomènes biochimiques faisant intervenir des protéases (métallo-protéases, sérine-protéinases, neutrophile élastases) secrétées par les cellules musculaires lisses, les macrophages, les lymphocytes et les cellules endothéliales.

 

Principaux facteurs de risque

  • Acquis : Tabagisme
  • Constitutionnels : âge ≥50 ans, sexe masculin, race caucasienne, athérosclérose, HTA, dyslipidémie
  • Génétiques : histoire familiale

 

Autres étiologies

Dissection, inflammatoire (maladie de Behçet, de Takayasu, autres maladies de système), infectieux (= anévrismes mycotiques), traumatique,…

 

 

 

 

 

 

1-      Anévrysmes ASYMPTOMATIQUES

Diagnostic

Examen clinique

Si le patient décrit des douleurs abdominales, le diagnostic de rupture doit être systématiquement évoqué. C’est une urgence chirurgicale.

Sinon, l’interrogatoire est généralement peu contributif. Il faut rechercher les facteurs de risque cardiovasculaires et une autre atteinte artérielle chez ces patients considérés comme « polyathéromateux » (claudication témoignant d’une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, douleurs thoraciques en cas d’atteinte coronarienne, AIT ou AVC en cas de sténose de la bifurcation carotidienne).

Il faut aussi rechercher des antécédents d’anévrysme dans la famille du patient.

L’Examen clinique doit être complet avec auscultation cardio-pulmonaire, palpation et auscultation des pouls (recherche d’autres atteintes anévrysmales : poplité, fémorale,…), recherche de trouble trophique.

Imagerie 

  • Echo-Doppler abdominale

C’est un excellent examen de première intention permettant de confirmer le diagnostic, de préciser la localisation de l’anévrisme et son diamètre maximal.

  • Angioscanner ou IRM thoraco-abdomino-pelvien

Cet examen permet d’effectuer des mesures précises, de rechercher d’autres localisations anévrysmales, des anomalies anatomiques (veine cave inférieure à gauche, rein en fer à cheval), et de dépister d’éventuelles tumeurs.

  • Aortographie

Cet examen a peu d’intérêt dans le bilan des anévrismes car il y a fréquemment du thrombus qui tapisse la paroi interne des anévrysmes. Le produit de contraste va seulement permettre de visualiser la partie circulante de l’anévrisme. Cet examen nécessite l’injection d’une grande quantité de produit de contraste et utilise des radiations ionisantes. Cet examen ne fait plus parti du bilan d’imagerie pré opératoire des AAA.

 

Conduite à tenir

 

Dans tous les cas :

·         Chercher à obtenir un contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires.

·         Information- éducation du patient et de sa famille (hospitalisation en urgence en cas de douleurs abdominales)

·         En cas d’anévrisme asymptomatique, le bilan préopératoire sera réalisé plus ou moins en urgence selon le diamètre de l’anévrysme

 

 

Indications chirurgicales :

-           Diamètre ≥ 50mm (évalué en angioscanner ou échographie) ou s’il existe une augmentation du diamètre maximal de 5mm /6mois (ou 1cm/an)

-           Douleurs abdominales chez un patient porteur d’un AAA

 

Si l’indication chirurgicale n’est pas retenue :

Surveillance par écho-doppler :

·         Quand le diamètre est compris entre 30 et 40mm : 1 examen / an

·         Quand le diamètre est compris entre 40 et 50mm : 1 examen / 6mois

 

 

Bilan préopératoire :

Systématique :

  • Radio de thorax, ECG
  • Bilan biologique préopératoire (hémogramme, bilan de coagulation, ionogramme sanguin, fonction rénale, CRP, Groupe, Rhésus, RAI)
  • consultation de chirurgie vasculaire et d’anesthésie
  • écho-doppler artériel des troncs supra-aortiques à la recherche d’une sténose carotidienne et des membres inférieurs à la recherche d’une autre localisation anévrysmale (poplité ou fémorale)
  • évaluation de la fonction cardiaque et du réseau coronarien : scintigraphie myocardique avec thallium d’effort (ou au dipyridamol), ou échocardiographie de stress à la dobutamine

Une coronarographie diagnostique ne sera discutée qu’en cas d’anomalie de la scintigraphie ou de l’échocardiographie de stress.

  • En cas d’antécédent respiratoire (tabagisme, silicose, …) on fera réaliser des Explorations Fonctionnelles Respiratoires.

 

Après discussion pluridisciplinaire (chirurgien, anesthésiste, cardiologue), l’indication opératoire est retenue et l’évaluation du rapport bénéfice risque est présentée au patient afin d’obtenir son consentement éclairé.

 

Traitement chirurgical

En fonction de l’état physiologique du patient et de la morphologie de l’AAA, la prise en charge chirurgicale s’effectuera par chirurgie conventionnelle ou par chirurgie endovasculaire.

 

Chirurgie conventionnelle : mise à plat greffe prothétique

La mortalité péri-opératoire est évaluée entre 2 et 7% en fonction des équipes.

Indications : âge ≤ 80ans, absence de comorbidité grave (insuffisance rénale, cardiaque, respiratoire), absence d’antécédent de laparotomie et d’obésité.

 

Lors de la chirurgie, la coque anévrysmale est ouverte (mise à plat), puis refermée autour du tube prothétique une fois le pontage réalisé. Cette technique permet d’éviter les fistules prothéto-digestives par contact entre la prothèse et les viscères (en particulier le duodénum).

Les greffons prothétiques les plus utilisés en chirurgie vasculaire sont en polyester (Dacron®) ou en PolyTétraFluoroEthylène expansé (ePTFE). Ces matériaux sont inertes. Il y a un risque d’agrégation plaquettaire et de greffe bactérienne au contact de ces prothèses. Il est donc nécessaire de prescrire un traitement antiagrégant plaquettaire au long cours et d’éradiquer tous les foyers infectieux avant l’intervention (ORL, dentaire, cutanéo-muqueux, urinaire).

 

À titre indicatif, les principales étapes de l’intervention sont décrites :

  1. laparotomie médiane transpéritonéale ou rétro péritonéale
  2. clampage du collet aortique après héparinisation par voie générale
  3. ouverture du sac anévrysmal, ablation du thrombus
  4. pontage aorto-aortique ou aorto-bi iliaque (en fonction de l’extension de l’anévrisme).
  5. déclampage après manœuvres de purge
  6. vérification de l’étanchéité et de la perméabilité du montage
  7. fermeture plan par plan

 

Traitement endovasculaire par Endoprothèse couverte

Les techniques endovasculaires ont été développées afin de proposer une alternative mini-invasive à la chirurgie conventionnelle à ciel ouvert. Le principal avantage de l’exclusion endovasculaire des AAA est l’absence de laparotomie et de clampage aortique. Ceci se traduit par une baisse significative (x3) de la morbi-mortalité péri-opératoire comparativement à la chirurgie classique. Cependant, les endoprothèses aortiques ne permettent pas d’exclure toutes les formes d’AAA (collets courts, lésions iliaques sténosantes bilatérales, angulations importantes) et les résultats à long terme de cette technique ne sont pas connus. L’endoprothèse est constituée d’un stent auto expansible (acier ou nitinol) recouvert d’une prothèse vasculaire en Dacron® ou en PTFE. Ces endoprothèses sont conditionnées dans des gaines d’introduction qui sont montées dans l’aorte à partir des artères fémorales.

La mortalité péri-opératoire est inférieure à 2% dans la grande majorité des études publiées (<1% dans les récentes études prospectives multicentriques).

 

À titre indicatif, les principales étapes de l’intervention sont décrites :

  1. Abord bilatéral des artères fémorales
  2. Après héparinisation générale, le système de largage est introduit sur un guide rigide
  3. implantation de l’endoprothèse (= retrait de la gaine) après repérage des artères rénales et des artères iliaques internes.
  4. retrait du matériel endovasculaire et fermeture des artères fémorales

Un suivi après traitement endovasculaire est obligatoire. Un angioscanner ou une IRM est réalisé le 1er mois après l’intervention, à 1 an, puis tous les 2 ans en alternance avec un écho-Doppler. Un traitement antiagrégant plaquettaire au long cours est recommandé.

 

Complications post-opératoires

Précoces

Elles sont d’origines multiples : cardiaques (IDM), respiratoires (infections, SDRA), rénales (IRA transitoire), digestives (ischémie colique), hémorragiques.

 

Tardives

  • infection de prothèse (fistules digestives)
  • faux-anévrysme au niveau des anastomoses, éventration, impuissance, éjaculation rétrograde (après chirurgie conventionnelle)
  • migration de l’endoprothèse et reperfusion du sac anévrismal (après traitement endovasculaire)

 

2- Rupture d’AAA = URGENCE

Généralités

- L’augmentation du diamètre de l’aorte au cours du temps est initialement linéaire (croissance lente), puis exponentielle au-delà de 50mm. Plus le diamètre est important, plus le risque de rupture est important.

 

 

 

 

 

 

 

 

Diamètre aortique (mm)

Rupture à 5 ans (%)

<40

2

40-49

3-12

50-59

25

60-69

35

≥70

75

 

*d’après Fleischmann D, et coll. Quantitative determination of age-related geometric changes in the normal abdominal aorta. J Vasc Surg 2001 ;33 : 97-105.

 

- Toute douleur abdominale doit faire suspecter le diagnostic d’anévrysme de l’aorte abdominale rompu.

- la rupture peut être intra-péritonéale (souvent fatale, car non contenue) ou rétro-péritonéale (saignement initialement contenu)

- la rupture peut aussi être la conséquence d’une fistulisation de l’anévrysme dans la veine cave inférieure, le tube digestif (duodénum) ou l’uretère.

 - Le taux de mortalité après rupture d’anévrisme est évalué à 80-90%. Il est de 50% chez les patients arrivant vivant à l’hôpital.

 

Conduite à tenir

- Réanimation du patient : maîtriser le choc hémorragique. La tension artérielle ne doit pas être trop élevée afin de ne pas majorer le saignement (concept d’hypotension contrôlée).

- si l’état hémodynamique du patient le permet un angioscanner ou une échographie est réalisé afin de confirmer le diagnostic et d’envisager une prise en charge endovasculaire si la morphologie de l’AAA est favorable.

Si le patient est instable (état hémodynamique non contrôlé), une prise en charge chirurgicale en extrême urgence est réalisée. L’objectif est le clampage de l’aorte au-dessus de l’AAA rompu le plus rapidement possible. En cas d’instabilité hémodynamique, aucun examen complémentaire ne devra retarder la prise en charge chirurgicale.

 

Complications

Si le patient passe le cap du bloc opératoire (contrôle hémorragique et réparation aortique), il reste exposé à de nombreuses complications post-opératoires. L’hémorragie abondante, le bas débit cardiaque et l’ischémie secondaire au clampage aortique peuvent générer une ischémie digestive, une coagulopathie, une insuffisance rénale, un IDM, voir une défaillance multiviscérale.