Baclofène contre Bacchus
BACLOFENE… CONTRE BACCHUS
Docteur Anne-Françoise HIRSCH
Et si le « phénomène » Baclofène était l’occasion de revisiter la posture du médecin généraliste vis-à-vis des patients usagers de boissons alcooliques…
Dans notre pays, la majorité des patients fréquentant les cabinets médicaux sont des « mésuseurs » d’alcool et non des dépendants. Le dogme du sevrage ne correspond pas à une réponse adaptée en matière de santé publique. L’abstinence préconisée par les médecins est difficilement tenable dans le temps et les rechutes sont mal vécues.
La notion de réduction des risques se développe en alcoologie avec la préoccupation de donner au patient la capacité de décider lui même des orientations de sa vie.
La question de l’abstinence est abordée par le patient lorsqu’il sent le moment venu pour lui de l’expérimenter. Il n’est plus question d’injonction par le soignant : « il faut arrêter » mais de décision du patient : « je veux arrêter ».
La place de la motivation reste essentielle dans le parcours de soin des usagers et la molécule miracle n’existe pas … alors pourquoi autant de bruit autour de ce Baclofène ?
C’est en 2008 qu’un médecin « alcoolique » publie un livre et explique comment le Baclofène l’a « sauvé » de sa propre addiction : il n’avait plus « envie », il était devenu « indifférent » sans avoir besoin d’être totalement abstinent. Depuis, des associations de patients se sont mobilisées pour promouvoir l’utilisation plus large de ce traitement et les médias ont amplifié la mobilisation des quelques inconditionnels de cette potion magique. Comment donner du sens à cette rencontre entre la parole des patients et celle des médecins ?
Le contexte récent de l’affaire du Médiator rend en effet les médecins prescripteurs et les décideurs politiques frileux devant la question de l’autorisation de mise sur le marché d’un traitement utilisé jusqu’alors comme myorelaxant en cas de spasticité secondaire à un syndrome pyramidal.
Par ailleurs, la notion de craving (impulsion vécue sur un instant donné, véhiculant une envie de consommation et sa recherche compulsive) est un phénomène sur lequel les molécules actuellement sur le marché n’ont que peu d’efficacité.
Episode de faim frénétique
Le Baclofène est une ancienne molécule commercialisée depuis 1974 sous le nom de Liorésal®. C’est un analogue structural du GABA, agoniste du récepteur GABA-B. Il possède une action antispastique (point d’impact médullaire), une action antinociceptive et un effet anxiolytique AMM actuelle : contractures spastiques de la SEP, des affections médullaires, d’origine cérébrale - posologie recommandée : 30 à 75 mg/jour en trois prises.( 100 à 120 mg en milieu hospitalier) Le rôle d’une diminution de l’activité du système GABAergique dans l’hyperexcitabilité du sevrage est connu depuis longtemps. Les premiers articles concernant le Baclofène datent de 1976 puis de nombreuses études sont réalisées chez l’animal puis sur des patients mais les En 2006, la publication d’O Ameisen à propos de son propre cas met l’accent sur la suppression complète et prolongée de consommation d’alcool grâce à une posologie maximum de 270mg/j avec un traitement d’entretien à 120mg/jour.
La grande nouveauté est dans l’approche « morale » du traitement. Le but est d’arrêter ou réduire la consommation sans effort. La posologie est augmentée jusqu’à obtenir l’indifférence à l’alcool. Il n’est donc plus question pour le patient de culpabilité de boire; ce symptôme est indispensable pour l’adaptation de la posologie.
Et ensuite…aucune étude n’a pour l’instant été réalisée dans les règles de l’art pour donner l’AMM au Baclofène, dans cette indication et à une telle posologie.
· le protocole CAMTEA du service d’addictologie du CHR de Lille qui cherche à objectiver les effets secondaires indésirables en lien avec le service de pharmacovigilance
· l’étude BACLOVILLE chez lez généralistes (Baclofène contre Placébo)
· l’étude ALPADIR à l’hôpital et en CSAPA (idem)
Alors, que faire quand on est généraliste en mars 2013 ?
Susciter l’intérêt du patient sur les méfaits de l’alcool
Proposer un changement sans l’imposer
Si une demande de Baclofène est formulée par le patient : resituer la place de la molécule : intérêt, limites, effets secondaires.
Accompagner la démarche en fonction de sa compétence. Si besoin : envoyer à un confrère. Aller consulter les sites dont nous parlent les patients : http://www.alcool-et –baclofene.fr/ Considérer que comme dans toute maladie chronique, l’accompagnement nécessite du temps.
Peut-on prescrire un médicament hors AMM ?
D’après le Pr Gache (SFA 12 mars 2012) : une prescription hors AMM est valide si :
· il existe des données scientifiques pouvant justifier cette prescription
· il y a nécessité thérapeutique motivée par des échecs des traitements conventionnels bien conduits
· l’information du patient sur les bénéfices et risques potentiels du traitement a été faite
· le consentement éclairé du patient et son acceptation écrite à prendre ce traitement en toute connaissance ont été mis en place
· le suivi médical est approprié
· il y a possibilité de non remboursement de la prescription
Comment prescrire ?
S’assurer avant tout d’une bonne fonction rénale. Exemple de protocole proposé sur Internet :
Avec des comprimés à 10 mg
- premier jour : ½ cp 3 fois par jour
- troisième jour : 1 cp 3 fois par jour
- sixième jour : 1 cp le matin et 2 cp matin et soir
- puis : augmenter de 2 cp tous les 3 jours (en les répartissant dans la journée), jusqu'à atteindre la dose qui permet d’être indifférent à l’alcool.
L’association AUBE propose des formations pour les MG :
http://www.baclofene.fr/portal.php
(NB : certains universitaires la considèrent comme trop militante)
Forum réservé aux médecins : Adresse du forum: http://medecin-baclofene.fr
Quelle surveillance ?
Le risque principal est une somnolence en début de traitement. Nécessité d’informer les patients sur le risque de conduite automobile !
Autres effets secondaires : sensation de fatigue, faiblesse musculaire, vertiges, céphalées, troubles du sommeil, nausées, douleurs abdominales, incontinence urinaire, diplopie, confusion, virage hypomaniaque, paresthésies, épilepsie, apnées nocturnes.
Conclusion :
La qualité de l’alliance thérapeutique permet de donner sa juste place à cette molécule. D’autres pistes médicamenteuses sont à l’étude avec un intérêt tout particulier pour réduire le craving.