Les biothérapies
Professeur René-Marc FLIPO
Les premiers biomédicaments des rhumatismes inflammatoires chroniques sont apparus voilà maintenant plus d’une douzaine d’années. Ces biomédicaments autrefois appelés plus communément « biothérapies » ont conduit à une véritable révolution dans la prise en charge thérapeutique des grands rhumatismes inflammatoires chroniques que sont notamment la polyarthrite rhumatoïde (PR) et les spondyloarthrites.
L’efficacité par ailleurs de ces nouveaux traitements a conduit à réviser les objectifs thérapeutiques ; autrefois volontiers limités à l’efficacité symptomatique et désormais devant conduire à l’obtention d’une rémission minimalement clinico-biologique avec, dans la PR, l’arrêt de toute progression des destructions articulaires.
Ces biomédicaments constituent ce que l’on appelle des thérapeutiques « ciblées ». Il peut s’agir de traitements dirigés contre une cytokine pro-inflammatoire comme l’interleukine 1, le TNFa ou l’interleukine 6. Il peut s’agir de biomédicaments dirigés contre une cellule comme les anticorps anti-CD20 vis-à-vis du lymphocyte B ou l’abatacept vis-à-vis des lymphocytes de type T.
Le 1er tableau reprend les biomédicaments actuellement disponibles.
Anticytokines |
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· IL1 = IL1RA, anakinra (Kineret®) · TNFa = Enbrel® (etanercept), Remicade® (infliximab), Humira® (adalimumab), Cimzia® (certolizumab), Simponi® (golimumab) · IL6 = RoActemra® (tocilizumab) |
Contre une cellule |
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· Rituximab (Mabthera®) : anti-LcB (CD20 ) |
Contre un système d’activation |
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· Abatacept (Orencia®) : CTLA4 Ig |
Les biomédicaments aujourd’hui les plus utilisés sont les traitements dits anti-TNFa. Nous disposons aujourd’hui de 5 traitements : l’etanercept (Enbrel), l’infliximab (Remicade), l’adalimumab (Humira®) et plus récemment le certolizumab (Cimzia®) et le golimumab (Simponi®).
Bien qu’appartenant à la même classe des anti-TNFa, ces différents traitements ont des mécanismes d’action potentiellement différents. Leur efficacité peut varier alors que les risques restent comparables avec peut-être une moindre fréquence pour les infections sévères et certaines infections virales avec l’etanercept comparativement aux anticorps monoclonaux.
Les 4 grandes indications rhumatologiques sont la PR, la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique et l’arthrite juvénile idiopathique. On n’oubliera pas que ces traitements peuvent être proposés par ailleurs dans le cadre d’autres grandes maladies inflammatoires chroniques comme le psoriasis ou les maladies inflammatoires chroniques intestinales (maladie de Crohn et rectocolite hémorragique).
De nombreux référentiels ont été rédigés concernant le recours, les modalités d’initiation et de surveillance de ces traitements. En France, on s’appuie sur les résumés des caractéristiques des produits, les recommandations de la Société Française de Rhumatologie (Fautrel B. et al. J Bone Spine 2007 ;74 :627-37) et l’analyse des experts du Club Rhumatismes et Inflammation (cri-net.com).
Dans le cadre de ce colloque, nous reverrons tout d’abord les grandes lignes de recours aux anti-TNFa dans la PR (la PR restant l’indication la plus fréquente de recours aux anti-TNF). Les anti-TNFa peuvent ainsi être prescrits le plus souvent chez des maladies après échec d’un traitement de fond de type méthotrexate. L’indication peut reposer sur le souhait d’épargne cortisonique et l’optimisation de l’efficacité sur le plan structural. En France, les traitements anti-TNFa peuvent parfois être utilisés comme traitements de 1ère intention pour des polyarthrites particulièrement sévères d’emblée.
Les contre-indications absolues sont très peu nombreuses. On retient notamment les insuffisances cardiaques sévères et les affections démyélinisantes et notamment la notion de sclérose en plaques à l’échelon personnel. L’évaluation du rapport bénéfices/risques peut être plus délicate et nécessiter une véritable expertise en cas d’antécédent néoplasique, d’antécédent ou de risque infectieux élevé, d’infections virales sous-jacentes.
Le bilan préthérapeutique fait intervenir en 1ère ligne le médecin généraliste à la recherche d’éventuelles contre-indications et surtout de précautions d’emploi comme le risque de réactivation d’une tuberculose (TB) latente.
En 2005, l’AFSSAPS a actualisé ses recommandations, reposant sur la réalisation systématique d’une radiographie de thorax et d’une intradermoréaction à 5 U de tuberculine. Toute suspicion de TB latente devrait conduire à différer le traitement anti-TNF d’au moins 3 à 4 semaines avec prescription d’une antibioprophylaxie de type Rifinah® pendant 3 mois ou Rimifon® pendant 9 mois.
On peut bien sûr s’interroger sur la spécificité d’une IDR positive chez un sujet préalablement vacciné par le BCG ? A l’inverse, on pourrait craindre de faux négatifs chez des sujets potentiellement immunodéprimés ?
C’est pourquoi nous discuterons de la place des éventuels tests de production d’interféron g appelés Quantiferon-TB Gold® ou T-Spot TB®. Ces tests sont plus spécifiques, mais réalisés aujourd’hui dans des laboratoires spécialisés. Leur coût est élevé. Pour autant, les premières études montrent que l’on pourrait traiter préventivement 2 fois moins de patients !
Les conditions d’initiation des anti-TNF relèvent d’une prescription hospitalière initiale ; prescription effectuée par un rhumatologue hospitalier reconnu comme expert dans la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ces rhumatismes. Ces médicaments d’exception ne font pas l’objet d’une entente préalable. La durée de la prescription initiale hospitalière est de 1 an. Les produits ambulatoires sont disponibles en officine avec possibilité d’auto-administration grâce à des stylos injecteurs. Le médecin traitant peut être un acteur d’information et d’éducation thérapeutique au moment de l’initiation des traitements ambulatoires sous-cutanés.
Les biomédicaments n’ont pas ou peu de risque d’interaction médicamenteuse. Il y a peu d’effets secondaires biologiques. On recommandera en moyenne tous les 3 mois la réalisation d’un hémogramme et le dosage des transaminases (quelques cas possibles de leuconeutropénie … d’hépatite cytolytique …).
L’essentiel de la surveillance repose sur les risques infectieux induits par ces biomédicaments; le risque d’infections sévères étant multiplié par 2 à 3 chez les patients traités par anti-TNFa.
Dans les mesures de prévention, il y aura ainsi à rappeler l’intérêt chaque année de la vaccination antigrippale et l’intérêt préalable avec rappel tous les 5 ans de la vaccination antipneumococcique. Les vaccins à virus vivants atténués sont déconseillés voire interdits sous biomédicaments.
La survenue d’une infection banale, à priori virale des voies aériennes supérieures, ne justifie que d’un traitement symptomatique sans modification du traitement anti-TNFa. Toute infection virale sévère et toute infection bactérienne justifiant une antibiothérapie doit conduire à suspendre le traitement anti-TNFa. Le traitement sera repris au plus tôt après guérison clinique et arrêt de l’antibiothérapie.
Grâce aux mesures d’information et d’éducation, il a été démontré qu’il n’y avait pas d’augmentation de la mortalité d’origine infectieuse chez les sujets traités par biomédicaments anti-TNFa.
En cas d’intervention chirurgicale, il est là encore recommandé de suspendre le traitement anti-TNFa. La durée d’arrêt préalable est fonction de l’importance des risques infectieux de la chirurgie prévue et de la demi-vie du biomédicament ; les recommandations étant d’une suspension d’au moins 2 semaines jusqu’à éventuellement 5 fois la demi-vie du biomédicament.
Tableau 2
Le biomédicament sera repris en règle générale 8 à 10 j après la chirurgie et en l’absence de toute arrière-pensée pour une complication infectieuse de celle-ci.
En cas de soins dentaires, le traitement anti-TNF peut être poursuivi moyennant une antibioprophylaxie. Si la chirurgie dentaire est plus importante, alors les recommandations seront superposables à celles de la chirurgie en général.
Si la liste des effets indésirables potentiels sous biomédicaments anti-TNFa est particulièrement longue et parfois vécue comme « inquiétante », les modalités d’information, d’éducation thérapeutique du patient et le caractère averti des médecins a permis de confirmer dans plusieurs études l’absence de toute augmentation de mortalité notamment d’origine infectieuse, néoplasique ou cardiovasculaire. On a même démontré la possible diminution d’incidence des accidents cardiovasculaires qui constituent la principale cause de morbi- mortalité des sujets ayant une PR. En ce qui concerne les risques néoplasiques, les données sont particulièrement rassurantes vis-à-vis des lymphomes. A l’heure actuelle, seule l’incidence des cancers cutanés apparaît significativement plus élevée, d’où la recommandation d’une surveillance dermatologique annuelle.