• Accueil
  • Les urgences psychiatriques centrées sur l'agitation et le risque suicidaire

Les urgences psychiatriques centrées sur l'agitation et le risque suicidaire


 

Docteur François DUCROCQ

 

Suicide, comportements suicidaires et prévention du risque suicidaire

 

La France est un des pays développés les plus touchés par le suicide, le nombre de décès par suicide ayant atteint 10.707 en 2005. Confinant légitimement à une véritable problématique de santé publique, le taux des suicides semble néanmoins évoluer dans le sens d’une diminution, en passant de 22,5 à 17,7 pour 100.000 habitants entre 1985 et 2005, comme l’attestent les données du Centre d’Epidémiologie sur les causes médicales de décès de l’INSERM (1). En proportion, le suicide est une cause de mortalité plus importante chez les sujets jeunes que chez les sujets âgés ; elle explique 15 à 20% des décès vers l’âge de 30 ans. Cependant, entre un quart et un tiers des suicidés ont plus de 65 ans.

L’évaluation du nombre des tentatives de suicide (TS) en France est plus difficile, estimé entre 160.000 et 200.000 par an, soit 15 fois plus de TS que de décès par suicide. Rapporté au temps qui passe, c’est une TS toutes les 4 minutes ! On estime également que 70% des TS sont des intoxications volontaires, le plus souvent médicamenteuses ; les produits les plus utilisés seraient les psychotropes, les antalgiques et anti-inflammatoires, puis les cardiotropes.

L’étude américaine de la National Comorbidity Survey portant sur 9.708 sujets anglophones de 18 à 54 ans propose des données de prévalence sur les 12 mois écoulés concernant l’idéation suicidaire, le risque suicidaire élevé et les tentatives de suicide (2). Initialement menée sur la période 1990 – 1992, elle fut répliquée sur la période 2001 – 2003, mais aucune évolution de prévalence n’était relevée pour idéation suicidaire (2,8% vs 3,3%), risque suicidaire élevé (0,7% vs 1%) et tentatives de suicide (0,4 vs 0,6%). En additionnant les niveaux de risque, ce travail montrait que le risque suicidaire concernait 4,3% de la population américaine en 2005.

L’étude ESEMeD portant sur 21.425 sujets de six pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne, Belgique, Pays Bas) fut menée selon la même méthodologie que la NCS-R sur la même période 2001 – 2003, chez des sujets de plus de 18 ans non institutionnalisés (3). La prévalence vie entière pour l’idéation suicidaire était de 7,8% et pour les tentatives de suicide de 1,3% pour l’échantillon global, mais respectivement de 12,4% et de 3,37% pour le sous-échantillon français.

 Dans ces deux cohortes, les chiffres sur 12 mois (risque suicidaire et TS) sont très proches des prévalences que nous constations dans l’étude SMPG (Santé Mentale en Population Générale), un échantillon français du Centre Collaborateur de l’OMS portant sur 30.000 personnes (4). Les 0,6% de sujets américains déclarant une TS dans les 12 mois écoulés sont à rapprocher des 0,7% de français déclarant une TS dans le mois écoulé. En revanche, une TS sur la vie entière est retrouvée chez 3,5% des français dans l’étude européenne ESEMeD et retrouvée double à 7,8% dans SMPG ; il est probable que la notion de TS était plus large dans l’étude SMPG et qu’il faille plutôt la rapprocher des 7,8% de sujets déclarant des idéations suicidaires sur la vie entière dans ESEMeD.

La littérature fournit finalement des chiffres de risque suicidaire avéré très homogènes à travers le monde, autour de 4%, ce qui signe un phénomène plutôt bien cerné sur le plan épidémiologique.

Un sujet survivant à une tentative de suicide (TS) appartient de fait à un groupe à risque pour les conduites suicidaires (40% de récidive sur la vie entière dont 20 à 25% sur les 12 mois suivant le geste initial). Prévenir le risque de suicide en général est donc efficace sur la prévention de la récidive.

Il semble très important dans un premier temps de prendre en charge une pathologie somatique ou psychiatrique ayant participée au contexte suicidaire initial : soigner une dépression, traiter un trouble bipolaire de l’humeur par un thymorégulateur, prendre en charge un trouble borderline de la personnalité, etc.…

 

 

Bon nombre de facteurs de risque suicidaires ont ainsi été décrits. Certains sont dits « primaires », comme le fait d’être déprimé, de souffrir d’une douleur chronique non prise en charge, et agir sur ces facteurs produit des effets rapides sur le contexte suicidaire ; d’autres sont dits « secondaires », comme le fait de traverser une crise conjugale tendue, de connaître des difficultés professionnelles inquiétantes, et l’amélioration de ces facteurs (forcément à plus long terme) produira des effets bénéfiques ; enfin, les derniers sont dits « tertiaires », comme le fait d’être une femme, d’avoir moins de 19 ans ou plus de 45 ans, et il est impossible d’influer sur ces facteurs. En fait, malheureusement, le facteur clé est l’antécédent de geste antérieur ; ce point des antécédents de TS intervient pour 40% de la variance du phénomène. Ainsi, on peut raisonnablement formuler que prévention de la récidive suicidaire se confond bien souvent avec prévention du suicide. Dans cette légitime logique de prévention, le premier point est celui du type d’intervention à proposer. Face à une population dite « clinique » (population de sujets présentant une pathologie donnée comme des sujets déprimés ou présentant une alcoolo-dépendance, souffrant de schizophrénie ou d’une pathologie chronique douloureuse), soigner la pathologie ayant participé au contexte suicidaire initial est la meilleure réponse à apporter au risque de récidive. L’hospitalisation du suicidant au décours du geste est alors la stratégie à suivre et à défendre ; hospitalisation d’une durée plus ou moins longue, le plus souvent en milieu spécialisé en Psychiatrie, au sein du service public hospitalier ou PSPH, ou bien au sein d’un établissement privé en fonction des réseaux locaux.

 

Quelques essais ont été proposés dans le but spécifique de réduire ce taux de récidive suicidaire. Certains dispositifs très interventionnistes se révèlent coûteux et difficile à généraliser (interventions à domicile, psychothérapies brèves intensives menées à partir des Urgences…). De façon parallèle, des dispositifs de « rester en lien », qui veillent à ne pas envahir la vie du suicidant, qui n’ont pas pour objectif de se substituer à un traitement, mais tentent de proposer des recours en cas de crise, ont tendance à se développer actuellement sur l’ensemble du territoire.

 

Conférence de Consensus : « L’agitation en urgence (petit enfant excepté) »

www.sfmu.org/documents/consensus/cc_​agitation-court.pdf

Définition

L’agitation se définit comme une perturbation du comportement moteur, psychique et relationnel. Elle suscite une réaction d’intolérance de l’entourage et du milieu.

 

Epidémiologie

La prévalence avoisine 1 % des passages. Les étiologies, parfois intriquées, sont psychiatriques (62 %), organiques (25 %), toxiques (25 %).

— Formes d’agitation incontrôlable :

L’agitation incontrôlable, avec violences : le contact, l’entretien, l’examen clinique ne sont pas réalisables ;

L’agitation avec signes de passage à l’acte violent imminent : le retard à la prise en charge majore le risque de violence. Les antécédents de comportement violent seront systématiquement recherchés.

— Formes d’agitation contrôlable : elles permettent un entretien, le recueil de l’anamnèse et un examen somatique.

Chez le grand enfant, l’adolescent

Elles expriment souvent une crise familiale ou sociale. La demande vient exceptionnellement de l’adolescent lui-même.

Chez la personne âgée

Elles sont agressives ou non, d’expression verbale et/ou physique.

Chez l’adolescent et l’adulte

L’alcool représente la première cause d’agitation où les manifestations hallucinatoires ou délirantes peuvent être au premier plan. L’abus de stupéfiants, de médicaments et les sevrages sont souvent en cause, de façon isolée ou associés entre eux.

Chez la personne âgée

Une iatrogénie doit toujours être recherchée.

Chez l’adulte

L’accès maniaque : l’agitation est intense avec euphorie, désinhibition, idées de grandeur, logorrhée, familiarité ; des états mixtes existent.

La bouffée délirante aiguë se caractérise par des hallucinations, une labilité de l’humeur, une instabilité comportementale. Elle peut être d’origine toxique.

La schizophrénie associe un syndrome dissociatif, délirant et déficitaire. Le contact est froid, des conduites imprévisibles existent.

Les délires chroniques paranoïaques associent des idées délirantes persistantes. Un persécuteur désigné doit être recherché.

Les personnalités anti-sociales et les états limites ne tolèrent ni l’attente, ni la frustration.

L’attaque de panique se caractérise par une crise d’angoisse brutale.

La crise de nerf ou agitation hystérique se manifeste par des états d’agitation ou de colère démonstratifs.

Chez l’adolescent

Il s’agit d’épisodes psychotiques aigus, d’états maniaques souvent associés à une prise de toxiques.

Chez le sujet âgé

Les syndromes confusionnels, les états délirants, les syndromes démentiels, les situations de catastrophe et anxiogènes seront recherchés.

 

Quelles sont les explorations à réaliser en urgence ?

Une glycémie capillaire et une saturation artérielle en oxygène (SpO2) sont systématiques.

Les patients présentant une affection psychiatrique connue avec une anamnèse et un examen clinique (intégrant la glycémie capillaire et la SpO2) normal et documenté (sur le dossier du patient) ne nécessitent aucun autre examen paraclinique. Ces patients peuvent être confiés au psychiatre.

Tout autre patient est suspect d’une pathologie organique ou toxique. Aucune stratégie de prescription n’est validée à ce jour. L’âge, l’anamnèse, et la clinique orienteront les examens complémentaires.

Causes organiques fréquentes

Hypoxie, hypercapnie Méningite, méningo-encéphalite

Etats de choc Accidents vasculaires cérébraux

Hypoglycémie Masses intra crâniennes

Troubles électrolytiques Globe vésical, fécalome

Epilepsie Hyperthermie

Hémorragie méningée Traumatisme méconnu

Douleur

 

Quel traitement doit être mis en œuvre immédiatement dans l’agitation en urgence ? Quelle doit être l’approche relationnelle du traitement ?

 

Elle doit permettre de prévenir l’escalade vers la violence et le passage à l’acte auto- ou hétéro-agressif. Elle est constante tout au long de la prise en charge du patient.

Au tri, la prise en charge du patient agité est une urgence absolue ; elle implique une équipe pluridisciplinaire qui nécessite une formation sur le terrain conformément à la Circulaire du 15 décembre 2000 relative à la prévention et à l’encadrement des situations de violence.

 

Quel traitement médicamenteux doit être entrepris ?

 

Il doit permettre un examen clinique, la diminution de l’agitation et la limitation de la durée de la contention physique. La sédation pharmacologique du patient agité représente un risque lié à l’incertitude diagnostique. Ceci rend le risque iatrogène important lors de l’administration d’un médicament sédatif. Il est souhaitable d’utiliser un nombre restreint de molécules que l’on maîtrise bien, en évitant des associations complexes et en privilégiant la voie orale.

 

Quelles sont les indications des différentes thérapeutiques ?

 

La prise en charge relationnelle est une obligation médicale puisqu’elle désamorce dans un nombre important de cas l’agressivité, mais aussi médico-légale puisque l’utilisation d’une contention physique ou chimique ne peut se justifier qu’après échec de la prise en charge relationnelle.

Les mesures de contention s’adressent au patient dangereux pour lui-même ou son entourage, le temps d’obtenir une sédation médicamenteuse efficace.

Le traitement médicamenteux :

− aucune étude de niveau de preuve élevé ne permet la comparaison des molécules entre elles dans des situations cliniques autres que psychiatriques ;

− le traitement est étiologique quand il existe une cause somatique et un traitement curatif ;

− l’ivresse aiguë et le sevrage éthylique ont fait l’objet de conférences de consensus privilégiant l’utilisation des benzodiazépines ; dans l’intoxication aiguë à la cocaïne, la prescription de benzodiazépines est documentée ;

− quand l’agitation est d’origine psychiatrique ou survient chez le sujet âgé, l’utilisation de neuroleptiques atypiques est préférée.

 

Quel doit être le choix thérapeutique initial lorsque l’agitation empêche toute approche diagnostique ?

 

Devant une agitation dont l’étiologie psychiatrique ou somatique ne peut être précisée, la loxapine semble faire l’unanimité des professionnels médicaux en France pour l’adulte, associée à une benzodiazépine qui a l’avantage de diminuer les effets secondaires des neuroleptiques et la posologie respective des deux médicaments.

Lorsqu’il est impossible d’approcher le patient, les forces de l’ordre, en accord avec l’administrateur de garde, peuvent être sollicitées par le médecin et le cadre infirmier sur la base d’un protocole élaboré entre l’établissement hospitalier et la police (recommandation de la Circulaire du 15 décembre 2000).

 

Comment le patient doit-il être surveillé et dans quelle structure doit-il être admis ou transféré ? Comment le patient doit-il être surveillé ?

 

Chez le patient dont l’agitation a été contrôlée, les modalités de surveillance comprennent la mise à l’écart au calme et une surveillance clinique rapprochée. La surveillance du patient agité intoxiqué consiste au minimum en une surveillance des signes vitaux. Le patient doit être dirigé vers un service de Réanimation s’il existe une atteinte des fonctions vitales. La surveillance du patient sous contention doit s’effectuer dans le respect de son intégrité physique et morale. Le recours à la contention physique implique la création d’une fiche de surveillance spécifique (annexe I).

 

Dans quelles structures les soins initiaux doivent-ils être délivrés ?

 

Le service d’urgence hospitalier est la structure adaptée pour l’accueil du patient agité. L’admission directe en secteur psychiatrique reste l’exception et ne se conçoit que lorsqu’il existe la certitude que toute organicité est écartée. La structure de soins initiaux permet de réaliser un examen clinique et les examens biologiques et d’imagerie de première intention. Le service d’urgence doit être en mesure de fournir un espace calme où le patient agité violent peut être mis à l’écart. Cet espace doit avoir un accès ouvert, le personnel en nombre suffisant (5 personnes) devant se trouver à proximité. Ce type d’accueil doit faire l’objet d’un protocole préétabli (annexe II). L’accueil est organisé pour assurer la sécurité des personnels soignants et du patient. Le circuit du patient violent doit être défini à l’avance. Un coordonnateur est désigné. Tout doit être mis en œuvre pour raccourcir le délai de prise de décision médicale. Un personnel de sécurité entraîné et des dispositifs techniques constituent les bases d’un service d’urgence sécurisé.

 

1.         CepiDC (Centre d’Epidémiologie sur les causes médicales de décès). http://www.cepidc.vesinet.inserm.fr. INSERM Le Vésinet.

2.         Kessler RC, Berglund P, Borges G, Nock M, Wang PS. Trends in suicide ideation, plans, gestures, and attempts in the United States, 1990-1992 to 2001-2003. Jama. 2005;293(20):2487-95.

3.         Bernal M, Haro JM, Bernert S, Brugha T, de Graaf R, Bruffaerts R, et al. Risk factors for suicidality in Europe: results from the ESEMED study. J Affect Disord. 2007;101(1-3):27-34.

4.         Chabaud F, Debarre J, Serazin C, Bouet R, Vaiva G, Roelandt JL. [Study of population profiles in relation to the level of suicide risk in France: Study "Mental health in the general population"]. Encephale. 2010;36(3 Suppl):33-8.