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Surveillance rythmique cardiaque

Surveillance rythmique cardiaque
Les objets connectés pour la surveillance des arythmies
Dr François BRIGADEAU
Cardiologie ICP (Institut Cœur Poumon) CHU LILLE

La présentation pdf du Dr Brigadeau est disponible ici : 

1- UN PEU D’HISTOIRE ET D’ADMINISTRATIF (on est en France quand même…)
A l’ère de l’invasion du numérique dans la vie quotidienne, la rythmologie ne fait pas exception. C’est même une des premières spécialités à en avoir utilisé les potentiels. Les objets connectés (OC) en rythmologie résultent de la fusion des premiers outils de mesure de performance pour les sportifs et des outils de diagnostic des troubles du rythme. En 2006 Nike s’associe à Apple pour créer le Nike/ipod, petite structure podomètre inclue dans la semelle des chaussures de running pour colliger les données des joggeurs. En 2009, Fitbit crée la première montre connectée avec données de photoplépthysmography (PPG).

Il convient de souligner que ces OC n’ont pas de finalité médicale et sont soumis au Code de la consommation.
Avec le développement technologies mobiles il a été nécessaire de créer un cadre règlementaire.
Dans le secteur de la santé la protection des personnes et des données est une nécessité.
A l’heure actuelle pour qu’un OC soit considéré comme une dispositif médical (DM), il doit respecter certaines règlementations et se conformer à des normes pour l’obtention d’une certification européenne (marquage CE) qui garantit le respect d’exigences de sécurité et de qualité.
En France chaque DM est évalué par la commission nationale des dispositifs médicaux et des technologies de Santé (CNEDIMTS) sous la responsabilité de la HAS puis soumis au comité économique des produits de santé (CEPS).

Très vite la collection de ces données est apparue utile pour la détection des troubles du rythme. L’adjonction de modules ECG permet désormais d’avoir une sorte de Holter à domicile.

Ce document fait sciemment et partiellement l’impasse sur les arythmies détectées par les PM et les défibrillateurs, les Holters implantables et l’analyse des ECG par intelligence artificielle.

2- LES OC EN RYTHMOLOGIE COMMENT CA MARCHE 1?
Deux méthodes principales de mesure: l’ECG et la PPG. La PPG est une méthode d’émission de signal optique et de l’analyse également optique du signal de retour. Il est connu de longue date et utilisé partout en médecine pour la mesure de la pression, de la saturation, du pouls… par exemple c’est la technique de mesure utilisée par les saturomètres.
L’obtention d’un ECG elle consiste en fermant le bracelet d’une montre sur le poignet ou en fermant le circuit d’une surface conductrice (KARDIA) à obtenir une dérivation, le plus souvent D1. Certains dispositifs (Kardia Alive Cor) en l’appliquant sur les doigts et la cheville permettent l’obtention de 6 dérivations. Une fois détecté, l’ECG est converti par Bluetooth sur une application de Smart phone et le tracé peut ainsi être convertit en PDF.
Quatre systèmes sont marqués CE avec validation du signal: les montres Apple, Samsung et Withings (marque française) et le système Kardia.

3- LES OC SONT-ILS FIABLES? OUI TRES FIABLES:
3.1- LA PPG
Apple et Huawei 2,3 ont bien compris la nécessité de valider par des études la qualité du signal. Ils ont donc investi dans des études cliniques de dépistage systématique de la FA, problématique traitée plus tard dans ce document. Au cours de ces études, la détection de la FA se faisait soit par activation directe par le patient soit par émission d’un signal PPG de façon aléatoire de 60 secondes par tranche de 10 minutes. La détection de la FA faisait l’objet d’une notification.
Dans l’étude Apple, la valeur prédictive positive du tachogramme était de 71 % et de la notification de 84% sur 438635 patients quand même.
Dans l’étude Huawei sur 186956 patients, 0.2% ont eu une détection par PPG de FA avec notification sur Smartphone. 87% de ces notifications étaient confirmées par les équipes médicales de centres de la FA.

3.2- L’ECG:
Desteghe et al 4 ont étudié la qualité du signal généré par deux systèmes assez similaires: Alive Cor KARDIA et MyDiagnostick. Les 453 patients étudiés étaient les résidents d’un EHPAD expliquant que 17% n’aient pu suivre le suivi (décès, démence…). Le système KARDIA avait une VPP de 89% et une VPN de 94.5%. Ces valeurs prédictives étaient encore substantiellement améliorées par l’examen des tracés par un cardiologue.

4- A QUOI CA PEUT SERVIR EN RYTHMOLOGIE?
4.1- La corrélation électroclinique +++
Le fait que le patient porte sur une durée prolongée l’OC permet une détection sur des périodes plus longues. Au cours d’un bilan de palpitations, le Holter est souvent pris en défaut en raison de ce désavantage. On peut ainsi analyser l’ECG per critique et soit rassurer le patient (tachycardie sinusale adaptative, extrasystoles banales) ou le prendre en charge pour une authentique tachycardie.
Reed et al 5 ont démontré que sur 243 patients, par rapport à une prise en charge usuelle de palpitations (ECG + Holter), la mise en place d’une détection ECG par un OC permet la corrélation électroclinique d’arythmie dans 55% des patients pour un suivi médian de 4 mois. Dans le suivi usuel la corrélation électroclinique se fait dans 9% des cas seulement.

La conférence de consensus de la société européenne de rythmologie (EHRA) recommande donc les éléments suivants 1:
- Si un OC détecte une arythmie le tracé doit toujours être réanalysé par un médecin (bruit du signal?)
- Les OC marqués CE sont fiables pour la corrélation électroclinique des arythmies en particulier lorsqu’elles sont paroxystiques
- Il faut préférer dans ce contexte les systèmes avec module ECG aux systèmes basés sur la PPG.

4.2- La détection de la FA dans les populations à risque: plus douteux…mais quand même très intéressant
L’idée de multiplier les enregistrements ECG pour traquer la FA est très séduisante. Elle est pratiquement toujours juste. Vu les projections au long cours de l’incidence de la FA (15 millions d’européens en 2060) l’idée du dépistage systématique a donc du sens.
Wei et al 6 ont montré que 4 ECG annuels font passer la détection de la FA de 1 à 3.8% dans la population générale et de 7 à 7.5% dans la population très à risque.

Toutefois 2 études majeurs viennent un peu doucher l’enthousiasme ambiant du début 2021. Elles sont publiées dans le même numéro du Lancet 7,8.
- Stroke Stop a randomisé des patients de plus de 75 ans. Le premier groupe avait un suivi standard et le second un monitoring ECG de 15 jours. Evidemment en cas de découverte de FA les patients étaient anticoagulés. Cette étude montre un bénéfice sur les AVC ischémiques mais pas sur la mortalité.
- L’étude LOOP elle, faite sur un design assez similaire ne montre aucun bénéfice ni sur la mortalité ni sur les AVC.

Le problème de ces études est probablement l’effectif trop faible au vu de l’incidence de la FA. Par ailleurs certains patients étaient anticoagulés sur une suspicion clinique mais sans traduction ECG dans les groupes sans monitoring.

La conférence de consensus de l’EHRA 1 propose un arbre décisionnel dans lequel on insiste pour effectuer le dépistage non pas tous azimuts mais de façon ciblée sur la population qui est à risque de FA. En pratique le score de CHADS2Vasc qui est utilisé pour juger de l’indication d’une anticoagulation est aussi un score qui permet de déterminer la probabilité de survenue de la FA. On peut ajouter à ce score l’obésité, l’insuffisance rénale, le syndrome d’apnée du sommeil et la taille de l’oreillette gauche en échographie.

Actuellement en marquage CE seule l’Apple Watch propose une détection «systématique» par mesures régulières en PPG de la FA.

4.3- Pour faire bonne mesure:
En post ablation de FA 9, il est également possible d’utiliser ces OC pour détecter les récidives. Initialement ils étaient de peu d’intérêt car l’indication de l’ablation reposait exclusivement sur l’invalidation dans la vie quotidienne par les symptômes liés à la FA; De plus en plus cette intervention est proposée chez des patients peu symptomatiques en raison de l’impact de la FA au long cours (Démence, insuffisance cardiaque) et les OC ont donc ici toute leur place.

Dans la cardiologie du sport il faut différencier les mesures de performance où la PPG est tout à fait adéquate de la recherche de troubles du rythme (cardiopathie avérée ou suspectée). Il faut alors mettre l’OC en condition d’entraînement ou de compétition.

4.4- Là où OC ne brillent pas:
Pour le diagnostic étiologique des syncopes ils sont parfois utilisés mais avec moins de résultats.
D’abord la stratification du risque de mort subite dans une syncope passe par d’autres examens (antécédents de mort subite familiale, existence d’une cardiopathie, ECG de surface, Exploration invasive électrophysiologique). Il n’y a guère que dans la dysfonction que la corrélation électroclinique est obligatoire. Par ailleurs les OC qui utilisent le patient comme détecteur de symptômes sont par essence inadaptés aux syncopes où le patient perd connaissance. Le diagnostic des tachycardies ventriculaires et la surveillance du QTc en particulier ne repose pas sur les OC (PPG sans fiabilité aucune).

De même, pas d’intérêt pour le diagnostic de WPW, la mesure du taux de resynchronisation dans l’insuffisance cardiaque, ou la surveillance d’un traitement antiarythmique.

5- CONCLUSIONS:
Les OC permettent avec au haut degré de fiabilité et de robustesse la détection d’arythmies et en particulier dans leur corrélation électroclinique. Pour la détection systématique de la FA dans la population à risque les données montre une grande fiabilité de détection mais un impact plus incertain sur la morbimortalité. La détection systématique de la FA doit donc se limiter à une population ciblée.

Quatre systèmes permettent à la fois une détection par PPG et par ECG avec marquage CE: Apple, Samsung, Withings et Kardia.

Les professionnels de santé craignent de se voir submergés de données 10 ce qui n’est pas faux et il faut «discipliner les patients les plus obsessionnels» et éduquer les patients les moins éduqués numériquement.

Reste le problème du stockage des données et du secret médical (transfert des data d’entreprises entre elles? (compagnies d’assurance?)

BIBLIOGRAPHIE POUR LES PLUS COURAGEUX:

1- Svennberg E et al Europace 2022:21:979-1005
2- Garcia A et al J Biopharm Stat 2022; 32:496-510
3- Yutao G et al J Am Coll Cardiol 2019;74:2365-75
4- Desteghe L et al Euroapce 2017:19:29-39
5- Reed M et al EClinicalMedicine 2019 3;8:37-46
6- Wei Z et al Lancet Healthy Longev 2021;2:e470-8
7- Svennberg E et al Lancet 2021;398:1498-506
8- Svendsen H et al Lancet 2021;398:1507-516
9- Lambert CT et al Cardiovascular Digital Health Journal 2021;2:92–100
10-wEHRAbles project Manninger M et al Clin Cardiol. 2020;43:1032–1039.