L'endométriose
Docteur Chrystèle RUBOD
Professeur Pierre COLLINET
Docteur Jean-Philippe LUCOT
L’endométriose
est définie par la présence ectopique de tissu endométrial. On décrit
l’endométriose superficielle (implants péritonéaux) et l’endométriose profonde
(implants sous péritonéaux > 5 mm de profondeur). Différents mécanismes
physiopathologiques ont été proposés, mais aucun ne répond seul aux différentes
formes observées, et aucune explication n’est fournie pour expliquer
l’augmentation actuelle d’incidence de la maladie. Des classifications ont été
établies pour définir des stades de la maladie, essentiellement sur des
critères de distorsion anatomique (adhérences, kystes ovariens, extension
des lésions), allant du stade 1 (légère) au
stade 4 (sévère). L’endométriose pose
schématiquement 3 problèmes/symptômes : les douleurs, l’infertilité, l’atteinte
d’organes. La prise en charge va dépendre du (des) symptôme(s) prédominants, et
du contexte (âge, désir de grossesse etc.). Elle repose donc sur un diagnostic
cartographique lésionnel le plus précis possible, et sur des entretiens répétés
(et souvent prolongés) afin d’entendre les plaintes et demandes des patientes,
mais aussi afin de leur transmettre les informations nécessaires. La stratégie
thérapeutique étant parfois complexe, les possibilités et les enjeux de la
prise en charge proposée devront être explicités, et il faudra s’assurer de la
bonne compréhension. En amont, il nous semble indispensable dans une grande
partie des cas que les dossiers soient discutés en réunion pluri disciplinaire
spécialisée.
La douleur :
Elle
est un des modes de présentation les plus fréquents. Pourtant, il existe
souvent un retard diagnostic dans les études, les patientes ayant consulté à
plusieurs reprises sans que le diagnostic ne soit posé. Le critère sémiologique
principal est la rythmicité des douleurs avec les règles : dysménorrhée.
Celle-ci est le plus souvent secondaire, et a tendance à s’aggraver. La
dysménorrhée est cependant un symptôme fréquent, et il ne faudrait pas tomber
dans un sur-diagnostic excessif. Certains critères doivent faire considérer
comme « anormale » la dysménorrhée (nécessité de s’aliter, arrêt de travail,
dyspareunie profonde, prise d’antalgiques majeurs insuffisamment efficaces) et
doivent faire évoquer le diagnostic. C’est après plusieurs années d’évolution
que des phénomènes douloureux chroniques apparaitront. Les douleurs dépendent
de la localisation des lésions. La dysménorrhée à type de brûlures pelviennes
est le principal symptôme. En cas de localisation sur la face postérieure de
l’isthme utérin ou sur les ligaments utéro sacrés, il existe souvent des
irradiations sacrées postérieures ainsi qu’une dyspareunie profonde. En cas
localisation digestive, essentiellement rectale, la patiente décrit des
ténesmes, des irradiations anales. En cas de localisation vésicale ou dans le
cul de sac vésico utérin, la patiente ressent des cystalgies, des brûlures
mictionnelles sans infection urinaire retrouvée. De façon plus rare, des
implants péritonéaux peuvent exister dans la gouttière pariéto colique droite
ou la coupole diaphragmatique droite, occasionnant des douleurs à ce niveau. De
façon encore plus rare, des lésions sous diaphragmatiques ou pleurales
entrainent des hémothorax cataméniaux. L’interrogatoire doit donc rechercher
l’ensemble des ces symptômes, ce qui permettra d’orienter les examens
complémentaires. Cependant, on gardera à l’esprit que plusieurs études ne
retrouvent pas toujours de corrélation entre l’extension de la maladie et
l’intensité de la symptomatologie.
L’infertilité :
L’endométriose est fréquemment retrouvée chez les patientes infertiles, mais
cela ne permet pas de conclure qu’elle soit responsable de la stérilité, ce
d’autant que les mécanismes par lesquels l’endométriose serait responsable de
stérilité ne sont pas clairement établis. En cas d’infertilité, un bilan
complet devra être réalisé afin de ne pas méconnaitre une autre cause pouvant
être traitée ou, au contraire, qui imposerait le recours d’emblée à la FIV-ICSI
par exemple. La notion d’un désir de grossesse ultérieure doit toujours être
évoquée car elle oriente la conduite à tenir. Il faut rechercher d’autres
facteurs d’infertilité (antécédents infectieux, appendicectomie compliquée,
insuffisance ovarienne etc.) sans oublier d’interroger le conjoint et
d’envisager la réalisation d’un spermocytogramme. Il faut aussi penser à
interroger le couple sur leur statut marital, car la loi française actuelle ne
permet la prise en charge en Aide Médicale à la Procréation que pour les
couples mariés ou pouvant justifier de plus de deux ans de vie commune.
Les atteintes d’organe :
Les
lésions d’endométriose peuvent atteindre les organes essentiellement de
voisinage, principalement la vessie, le vagin et le rectum, soit par «
accolement » simple, soit avec une réelle infiltration pariétale. Outre les
douleurs spécifiques (cf. supra), ces atteintes peuvent se manifester par une
hématurie cataméniale (difficile à confirmer), ou des rectorragies. L’atteinte
rectale peut même être marquée par des épisodes sub occlusifs en période de
règles. L’atteinte urétérale doit systématiquement être recherchée lors des examens
complémentaires, car elle est le plus souvent asymptomatique alors qu’elle
engendre une urétéro hydronéphrose pouvant amener à une perte silencieuse de la
fonction rénale, parfois définitive. Ces atteintes d’organes doivent donc être
recherchées lors de la consultation et lors du bilan d’extension de la maladie.
Elles sont responsables de symptômes douloureux spécifiques mais aussi de
pertes de fonctions parfois gravissimes. Enfin, elles compliquent la prise en
charge, imposant des gestes chirurgicaux lourds grevés de complications.
Examen clinique :
Cet examen bien entendu complet devrait être mené de façon idéale juste après les règles, ce qui permet de mieux percevoir et visualiser les lésions d’endométriose. L’examen au spéculum recherche des lésions cervicales mais surtout dans le cul de sac vaginal postérieur qu’il faut explorer même (et surtout) s’il est douloureux ; on visualise alors une zone rétractile avec des lésions kystiques bleutées caractéristiques. Leur absence n’élimine pas une lésion profonde rétro utérine. Le toucher vaginal recherche une rétroversion utérine douloureuse fixée, et on perçoit alors parfois la lésion d’endométriose rétro utérine. Il s’agit parfois d’une simple latéro déviation utérine, ou d’un aspect irrégulier des ligaments utéro sacrés. Un point sémiologique essentiel est que la palpation appuyée des ces lésions réveille une douleur identique à la dyspareunie profonde dont se plaignent les patientes. On recherche aussi une masse annexielle. La consultation devra être menée avec le maximum de psychologie chez ces patientes jeunes, algiques et souvent infertiles sur lesquelles le diagnostic d’endométriose a un impact très important.
Examens complémentaires :
Le dépistage du cancer du col ne doit pas être oublié. La biopsie de lésions vaginales suspectes d’endométriose est très douloureuse et rarement suffisamment profonde pour poser le diagnostic, on ne la réalise habituellement pas.
Le principal examen consiste en la réalisation d’une échographie pelvienne par voie abdominale et vaginale, associée à un temps rénal. Cet examen permet de rechercher des signes directs (endométriomes essentiellement, adénomyose) ou indirects (médialisation rétro utérine des ovaires, rétroversion utérine, salpinx) d’endométriose. Les opérateurs plus entrainés peuvent repérer une lésion d’endométriose profonde, et même préciser le degré d’envahissement des organes de voisinage. L’étude des voies urinaires est indispensable pour éliminer une urétéro hydronéphrose silencieuse. En cas de suspicion d’endométriose profonde, ou si l’échographie semble trop difficile, l’IRM est actuellement le meilleur examen pour la cartographie des lésions, permettant aussi de préciser le degré d’infiltration de la vessie et du rectum. En cas de probable infiltration, des explorations endoscopiques (cystoscopie, recto sigmoïdoscopie, échographie endo anale) seront pratiquées. En vue d’une éventuelle prise en charge en AMP, un bilan de réserve ovarienne est indiqué (FSH, œstradiol et comptage folliculaire au 3ème jour du cycle).
Le scanner et l’UIV ne sont plus demandés en première intention.
A l’issue de l’interrogatoire, de l’examen clinique et des examens complémentaires, on connaît la localisation des lésions et leur degré d’infiltration, ainsi que le contexte de prise en charge (âge, désir de grossesse, intensité des douleurs, demandes de la patiente). Différentes stratégies thérapeutiques peuvent être envisagées, après en avoir longuement discuté en équipe et avec la patiente. Celles –ci restent cependant souvent du « cas par cas », les certitudes étant rares.
Traitements médicaux :
L’endométriose est œstrogéno-dépendante. Le but du traitement médical est de maintenir une hypo-œstrogénie comparable à celle de la grossesse ou de la ménopause. Différentes molécules sont utilisées, mais leur principal inconvénient est d’empêcher la survenue d’une grossesse pendant le traitement. Ils sont en revanche très efficaces sur les douleurs mais à l’arrêt il existe un risque de récidive de la maladie et de réapparition des symptômes. Les œstroprogestatifs permettent de réduire l’intensité des douleurs même avec un schéma avec règles, mais leur prescription évolue de plus en plus vers un schéma sans règles. Les macro progestatifs sont aussi efficaces, s’ils sont prescrits en continu ou au minimum 20 jours par cycle. Le Danazol n’est plus utilisé du fait de l’intensité des effets secondaires. Les analogues de la GH-RH induisent une ménopause artificielle. Injectables, ils existent sous formes mensuelle ou retard (3 mois) mais ne doivent pas être prescrits plus de 6 mois du fait des risques d’ostéoporose induite. Au delà de 3 mois de traitement, on recommande l’administration d’œstrogènes en complément (« Add-Back therapy ») qui diminue aussi les signes climatériques invalidants (bouffées vaso motrices, troubles du caractère, insomnies etc.). L’utilisation du système intra utérin au lévonorgestrel (Miréna®) a été proposée, le plus souvent en complément d’un geste chirurgical, avec une réduction significative des symptômes douloureux.
La
prescription de telles molécules n’est possible qu’après avoir eu la preuve du
diagnostic d’endométriose.
L’indication d’un traitement chirurgical premier doit toujours être discutée.
Traitements chirurgicaux :
Le meilleur traitement pour soulager les douleurs est l’exérèse de l’ensemble des lésions d’endométriose. Le plus efficace est le traitement radical (hystérectomie totale avec annexectomie bilatérale) ; inenvisageable chez les femmes jeunes, il constitue une excellente indication à partir d’un certain âge quand il n’y a plus de désir de grossesse.
Le traitement des lésions d’endométriose péritonéale superficielle repose sur l’exérèse ou l’électrocoagulation. Il permet de traiter les douleurs, et améliore la fertilité. Les endométriomes ovariens doivent être traités par kystectomie, la ponction simple étant marquée par une récidive précoce. Toutefois, les conditions opératoires sont parfois telles que seule une ponction est envisageable. La kystectomie ovarienne est difficile car le plan de clivage de l’endométriome est adhérentiel et peut être hémorragique. Ceci expose à des lésions du parenchyme ovarien pouvant entrainer une insuffisance ovarienne si les kystectomies sont répétées, ce qui compromet la fertilité ultérieure. On évite donc les kystectomies itératives, en ne les réalisant qu’à partir d’une certaine taille, ou en leur préférant une ponction écho guidée avant traitement freinateur.
Le
traitement des lésions d’endométriose profonde est beaucoup plus complexe, car
il faut tenir compte des risques de complications per et post opératoires, de
l’impact des gestes sur la fertilité, et du risque de récidive. Si une exérèse
est prévue, elle doit être complète pour réduire le risque de récidive.
L’intervention est alors pluri disciplinaire pour réaliser en fonction des cas
: cystectomie partielle, résection digestive (focale ou segmentaire),
réimplantation urétérale. On recommande la mise en place de sondes urétérales,
et une iléostomie est préconisée lorsqu’il existe une ouverture vaginale et
digestive. Celle-ci est refermée deux mois plus tard après contrôle de la
qualité de l’anastomose.
L’état tubaire évalué en pré opératoire sera confirmé durant l’intervention. La
recherche de la perméabilité tubaire par épreuve au bleu sera systématique. La
réparation tubaire sera réalisée si besoin. En cas de salpinx de mauvais
pronostic, une salpingectomie sera réalisée car elle améliore les chances de
succès de la fécondation in vitro.
Toutes ces interventions peuvent générer des adhérences post opératoires préjudiciables (risque de ré intervention, impact sur la fertilité), et le recours à des procédés anti-adhérentiels est recommandé en association à une technique opératoire soigneuse.
Stratégie thérapeutique :
C’est la partie la plus difficile. Elle doit être décidée en réunion pluri disciplinaire en tenant compte de tous les paramètres pré cités et de la demande exprimée par la femme et le couple. Les certitudes thérapeutiques sont rares, et les habitudes de prise en charge varient selon les équipes. Il ne faut pas non plus oublier que le risque de récidive est toujours présent, et que son traitement en sera d’autant plus compliqué qu’une chirurgie lourde aura été réalisée préalablement.
Les endométrioses accessibles à une chirurgie sans grand risque de complications doivent être opérées d’emblée, ce qui permettra de traiter les douleurs et d’améliorer la fertilité. Un traitement médical complémentaire sera envisagé en fonction de l’immédiateté du désir de grossesse.
En cas d’endométriose sévère, profonde, avec atteinte rectale, il peut sembler qu’un geste chirurgical sera lourd, difficile, avec un risque de complications non négligeables et un impact probable sur la fertilité. Il peut alors sembler préférable, après accord de la patiente, de proposer une prise en charge en FIV d’emblée pour obtenir une grossesse « rapidement ». La grossesse permettra l’arrêt des douleurs jusqu’en post partum. La récidive est ensuite fréquente, mais la prise en charge est simplifiée du fait de la réalisation du désir d’enfant.
Conclusion :