La maladie de Crohn

Maladie de Crohn : nouveautés et place du médecin généraliste dans l’évolution de la maladie

Dr Gwenola Vernier-Massouille, hépato-gastroentérologue, clinique des acacias, Cucq

En France, la maladie de Crohn touche près de 100.000 personnes, un chiffre élevé par rapport aux autres pays européens. 

Définition

La maladie de Crohn fait partie des Maladies inflammatoires Chroniques de l'Intestin (MICI). C'est une affection inflammatoire chronique pouvant toucher tous les segments du tube digestif. L'iléon, le côlon et l'anus sont les segments les plus fréquemment atteints. Les lésions sont segmentaires, asymétriques, généralement profondes séparées par des zones saines, et peuvent parfois être à l'origine de fissures, fistules, abcès profonds et sténoses. La maladie évolue par poussées entrecoupées de périodes de rémissions. Elle peut s'accompagner de manifestations extra-intestinales (articulaires, cutanées, oculaires...).

Epidémiologie : les jeunes de plus en plus touchés

La France se caractérise par une incidence élevée de la Maladie de Crohn, une situation exceptionnelle par rapport à ses voisins européens. Près de 4000 nouveaux cas de maladie de Crohn par an sont diagnostiqués. Ces affections débutent le plus souvent chez des adultes jeunes avec un pic de fréquence entre 25 et 30 ans. Plus de 10% des malades sont diagnostiqués avant l'âge de 17 ans.

Une étude récente (registre EPIMAD)a montré une très nette augmentation de son incidence dans la tranche d'âge des 10-19 ans. Pour ces patients, la maladie est souvent grave en raison notamment d'une plus longue durée d'évolution au cours de la vie. Elle pose des problèmes de prise en charge spécifique notamment pour assurer une croissance staturo-pondérale satisfaisante.

Le seul facteur de risque clairement établi est le tabac qui multiplie par 2 le risque de développer une maladie de Crohn, et qui, une fois la maladie installée l'aggrave avec augmentation du nombre des poussées, du risque de complications, du risque de chirurgie... 

Symptômes : une pathologie douloureuse et handicapante

Les principales manifestations de la maladie sont les douleurs abdominales, une diarrhée chronique (rarement glairo-sanglante) et l'amaigrissement. Le transit peut aussi être normal si la maladie ne touche pas le colon. Peuvent s'y associer une fièvre modérée et une asthénie.

Les lésions anopérinéales sont fréquentes et touchent plus d'1 malade sur 2 au cours de sa vie. Constituées de fissure, fistule ou d'abcès, cette localisation est considérée comme un signe de gravité altérant la qualité de vie par les symptômes qui en découlent (douleurs, écoulements non contrôlés, suppurations...) et par le recours fréquent à la chirurgie.

Près d'un tiers des malades auront au cours de leur suivi, des symptômes extra-digestifs : aphtose buccale, érythèmes noueux, atteintes articulaires, atteintes hépatiques, oculaires, urologiques...

Le CHU de Nancy, en collaboration avec l’Association François Aupetit, a étudié la qualité de vie de ces personnes atteintes de MICI : 1.211 patients ont été interrogés par l’équipe du Pr Laurent Peyrin-Biroulet, gastro-entérologue au CHU de Nancy. D’après ce travail, 53,1% des malades ont rapporté une "faible qualité de vie", 46,8% ont déclaré souffrir de "fatigue sévère" et 48,9% de syndromes dépressifs. Environ un tiers des malades déclarent souffrir d’anxiété et près d’un tiers se disent "handicapés dans leurs activités quotidiennes".

Chez les enfants, la Maladie de Crohn induit des phénomènes de malnutrition, qui peuvent provoquer des retards de croissance staturo-pondérale importants.

Un certain nombre de complications non rares et parfois inaugurales alourdissent la prise en charge médico-chirurgicale de ces malades : colite grave, fistule, sténose, perforation intestinale, dégénérescence néoplasique dont le risque est 18 fois supérieur à celui de la population générale après 20 ans d'évolution d'une forme pancolique.

Les MICI, une énigme scientifique...

L'inflammation chronique du tube digestif qui caractérise les MICI semble être la conséquence d'une anomalie de la réponse immunitaire de l'intestin vis-à-vis de composants de la flore intestinale chez des sujets génétiquement prédisposés, sous l'influence de facteurs environnementaux.

Une susceptibilité génétique,

Cette susceptibilité a été suggérée depuis de nombreuses années devant la présence d'un nombre élevé de malades dans certaines ethnies, devant des associations rares avec des maladies génétiques et surtout par l'observation de cas familiaux (où la similitude dans la présentation de la maladie est souvent de règle) et la concordance pour ces maladies dans les couples de jumeaux.
Depuis 2001, où le premier gêne de susceptibilité à la maladie a été identifié (NOD2/CARD15 sur le chromosome 16), près d'une centaine d'autres gènes ont été mis en évidence. En tenant compte de la fréquence de ces maladies, le risque absolu pour des parents du 1er degré (père, mère, frère-sœur, enfant) de contracter la maladie est de l'ordre de 1% (versus 0,1% dans la population générale) montant jusqu'à 6% si plusieurs membres de la fratrie sont atteints. Néanmoins, il n'y a à ce jour aucune indication à effectuer une enquête génétique. Les parents de sujets atteints de maladie de Crohn peuvent être prévenus du faible surrisque qu'ils courent afin d'éviter de fumer (le tabac est le seul facteur de risque clairement identifié) et de consulter précocement en cas de symptômes digestifs évocateurs.


Le rôle de ces gènes à risque, leurs interactions et les conséquences de leurs mutations font l'objet d'intenses recherches mais leur poids dans la physiopathologie des MICI reste modeste.

Une dysrégulation du système immunitaire,

Celle-ci est caractérisée par des anomalies de la réponse immunitaire innée et de la réponse immunitaire spécifique : La réponse immunitaire innée est la première ligne de défense non spécifique et immédiate de l'organisme. Toute une cascade de mécanismes entre en jeu associant une augmentation de la perméabilité de l'intestin notamment vis-à-vis des bactéries présentes dans le tube digestif qui sont alors capables d'induire une inflammation et d'attirer des cellules immunitaires dans la paroi intestinale.
Ces cellules immunitaires spécialisées induiront une réponse spécifique contre des composants de la propre flore intestinale du malade, à l'origine d'un entretien de l'inflammation de l'intestin grêle ou du colon.

Le rôle de l'environnement

Les variations de l'incidence et de la prévalence des MICI dans le temps et dans l'espace suggèrent un rôle majeur de l'environnement. Les MICI sont avant tout des maladies environnementales. L'épidémiologie montre une incidence plus élevée dans les pays industrialisés et un accroissement de celle-ci dans les pays en voie d'occidentalisation. Ceci peut laisser supposer que certains facteurs environnementaux, probablement liés au mode de vie occidental, pourraient avoir une influence importante sur l'apparition de cette maladie.
L'étude des populations migrantes est très intéressante et a clairement permis de montrer que certaines populations ont vu leur chiffre d'incidence initialement bas, rejoindre rapidement celui de leur pays d'accueil, illustrant l'importance du mode de vie dans la survenue de ces maladies.
De très nombreux facteurs de risque ont été évoqués. Le seul clairement établi à ce jour, est le tabac (par des mécanismes encore inconnus à ce jour, non liés à la nicotine).

L'influence de la flore intestinale

Il semble actuellement bien établi que la flore intestinale joue un rôle clé au cours des MICI.
Différentes observations illustrent ce fait :

·      Chez les malades atteints de MICI, différentes populations bactériennes sont modifiées (dysbiose). Des bactéries potentiellement pathogènes (telles que Escherichia coli, Listeria monocytogenes, Yersinia enterocolitica et Mycobacterium paratuberculosis) sont trouvées en excès tandis que la concentration de bactéries bénéfiques du groupe des Firmicutes est diminuée à la fois en espèces et en proportion.

·      Les localisations les plus fréquentes des MICI coïncident avec les zones où se trouvent la plus haute densité de bactéries dans le tube digestif (iléon terminal et côlon).

·      Chez les malades pour lesquels une intervention chirurgicale s'était avérée nécessaire, le risque de récidive précoce est d'autant plus important que le taux d'une certaine bactérie (Faecalibacterium. prausnitzii) est bas.

·      Dans les modèles animaux de MICI, l'administration de cette bactérie ou des molécules qu'elle sécrète réduit l'inflammation intestinale et améliore nettement la survie.

·      De même, une maladie inflammatoire intestinale ne se développe pas si les animaux sont maintenus en milieu stérile dès la naissance.

Toutes ces observations ouvrent la voie à de nouvelles perspectives de recherche, la mise en place de nouveaux outils diagnostics et de nouveaux espoirs thérapeutiques et préventifs.

Traitements et stratégie thérapeutique

La première démarche thérapeutique à mettre en œuvre est l'arrêt définitif et complet du tabagisme, dont les effets nocifs sur la gravité et l'évolution de la maladie sont importants.

Nutrition anti-inflammatoire et maladie de Crohn : que dire à nos patients ?

Une alimentation riche en fruits et légumes, en poisson, et pauvre en viande rouge et sucreries est associée à un risque plus faible de développer une maladie de Crohn.

Il n’existe pas de « régime anti-inflammatoire » dont l’efficacité soit démontrée. A l’inverse, ce type de régime peut être couteux, entrainer des carences, réduire le plaisir de manger et s’avérer désocialisant.

Traitement médicamenteux : arrivée imminente des anti JAK

Historiquement, le traitement médical des maladies inflammatoires chroniques intestinales (MICI) reposait sur les petites molécules. Celles-ci étaient représentées par les corticoïdes, les immunosuppresseurs (azathioprine, 6-mercaptopurine et methotexate) et les aminosalicylés. 

L’introduction des anti-TNF à la fin des années 1990 a révolutionné la prise en charge médicale des patients avec une MICI. En parallèle, les objectifs thérapeutiques ont été modifiés : la rémission clinique a laissé place à la cicatrisation muqueuse et à la rémission profonde. Ces vingt dernières années, la recherche médicale s’est concentrée sur le développement de grosses molécules (biothérapies) telles que les anticorps monoclonaux anti-TNF (infliximab, adalimumab , certolizumab pegol et golimumab ) et plus récemment les anticorps dirigés contre d’autres cibles (vedolizumab et ustekinumab ).

Cependant, ces anticorps monoclonaux ont de nombreuses limites en termes d’efficacité, d’effets secondaires et de coût. Environ un patient sur deux est en rémission à 5 ans. Une perte de réponse significative (entre 13 % et 25 % par an) est constatée au fil du temps sous anti-TNF. Tous les anticorps monoclonaux sont immunogènes, ce qui explique en grande partie cette perte de réponse. Une combothérapie reste le meilleur moyen de prévenir la formation d’anticorps. 

Néanmoins, l’utilisation d’une combothérapie soulève d’autres problèmes : l’augmentation du risque d’infections opportunistes et du risque de cancers. D’autre part, l’absence de traitement curatif dans les MICI implique une utilisation au long cours des biothérapies, des traitements qui restent coûteux malgré l’arrivée des biosimilaires. Enfin, ces biothérapies nécessitent une administration parentérale (intraveineuse ou sous cutanée) contraignante chez des patients.

Pour toutes ces raisons, il est devenu nécessaire de développer des traitements moins coûteux, administrés oralement et non immunogènes. Ainsi, il existe un intérêt grandissant pour de nouvelles petites molécules. Nous attendons l’arrivée imminente d’un inhibiteur de JAK.

Traitement chirurgical :

Hélas, les nouvelles stratégies thérapeutiques ne réduisent pas le recours à la chirurgie, très utile en cas de forme compliquée de la maladie (sténose, fistule, abcès) ou de forme réfractaire au traitement médical. La chirurgie reste une arme thérapeutique à part entière. 

Éducation thérapeutique et mode de vie 

L’information sur la maladie et les traitements est développée à chaque visite en favorisant l’autonomisation du patient et en insistant sur l’observance. Elle est réalisée par tous les professionnels de la santé, en premier lieu par le médecin traitant qui se retrouve en première ligne.

Un soin particulier doit être apporté à informer les patients que, sauf exceptions, leur maladie est compatible avec une existence normale ou proche de la normale (scolarité́, activité́ physique, vie sexuelle et familiale, choix du métier, loisirs). Le médecin traitant doit notamment déceler les fausses idées et les peurs alimentaires du patient qui ne sont pas justifiées. 

Plusieurs programmes d’Education Thérapeutique et de télémédecine sont développés en France pour améliorer la prise en charge et la qualité de vie du patient atteint de MC. Ils lui donnent les moyens de mieux connaître sa maladie et son traitement en devenant acteur de sa santé.

Ils répondent à des besoins précis résultant de la maladie chronique et du fort besoin exprimé des patients d’échanger des informations, de conserver un contact et un suivi avec les soignants.

Prise en charge psychologique 

La prise en charge médicale de tout patient atteint d’une maladie de Crohn doit prendre en compte le retentissement psychologique de la maladie. L’intervention d’un psychologue est une décision qui relève du patient, conseillée par le médecin traitant ou le spécialiste. 

Contraception / grossesse / allaitement 

Tous les moyens de contraception sont utilisables au cours de la maladie de Crohn. La fertilité́ des femmes est globalement normale. 

Les grossesses se déroulent le plus souvent normalement lorsqu’elles débutent en dehors d’une phase d’activité de la maladie. La compatibilité de la grossesse et de l’allaitement avec la poursuite des traitements médicamenteux doit faire l’objet d’un conseil spécialisé (hépato-gastro- entérologue, obstétricien, pédiatre). 

En cas de lésions périnéales sévères chroniques, les modalités de l’accouchement (césarienne plutôt qu’accouchement par voie basse) doivent être discutées entre l’obstétricien, le chirurgien digestif et l’hépato-gastro- entérologue. 

Vaccinations 

Les vaccinations doivent être effectuées normalement, à l’exception des vaccins vivants atténués, qui sont contre-indiqués en cas de prise d’un immunomodulateur.

Conclusion

Comme dans toutes les maladies chroniques, le médecin généraliste reste en première ligne pour répondre aux questions des malades atteints de MC et gérer les situations difficiles. 

 

Références :

1.    M Fumery, C Gower-Rousseau : Registre EPIMAD, épidémiologie et histoire naturelle des MICI. Hépato-gastro et oncologie digestive ; fev 2018

2.    L Peyrin-Biroulet : Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin. La lettre de l’hépato-gastroentérologue. juil-aout 2018

3.    X Treton. CALMer la maladie de Crohn. Hépato-gastro et oncologie digestive ; jan 2018

4.    Recommandations européennes sur la maladie de Crohn : ECCO guidelines. JCC ; oct 2018