La fibromyalgie

La fibromyalgie : un diagnostic d’élimination…des patients !

Dr Jean-Michel GILLOT

CH Seclin


En 1977, Smythe et Moldofsky créent le terme de fibromyalgie. En 1988, le professeur MF Kahn (rhumatologue français) définit le SPID syndrome (syndrome polyalgique diffus idiopathique). L’Académie de Médecine consacre à la fibromyalgie une séance en janvier 2007 : « L’Académie nationale de médecine recommande de ne pas rejeter ces malades, mais de les faire bénéficier d’une prise en charge individualisée et multidisciplinaire ».

Les recommandations sont encore loin d’être suivies en 2017, les patients étant parfois au mieux poliment écoutés et dans certains cas la maladie est déniée.

Le fibromyalgique est un patient qui se plaint de douleurs chroniques diffuses et dont l’ensemble du bilan (biologique, iconographique…) est normal.

 

Mécanismes physiopathologiques

La fibromyalgie est une maladie de l’enthèse, zone d’insertion des tendons et des ligaments sur le périoste. A ce niveau, des prélèvements ont montré une baisse du taux de sérotonine alors que la sérotoninémie est normale. Ainsi, le fibromyalgique a pour une raison inconnue un taux de sérotonine corporel (et non sanguin) plus bas que la population témoin, la sérotonine jouant le rôle d’un anesthésique local en quelque sorte chez le sujet sain.

Dans l’organisme, il existe au moins deux types de récepteur à la sérotonine, des centraux et des périphériques. Ces derniers sont donc impliqués dans la fibromyalgie.

Ainsi, un des moyens thérapeutiques de la prise en charge d’un fibromyalgique est le recours à des antidépresseurs de la classe des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qui agissent majoritairement sur les récepteurs centraux à la sérotonine mais ont une action résiduelle sur les récepteurs périphériques, faute de disposer de médicaments actifs surtout sur les récepteurs périphériques à la sérotonine. Ce recours à des antidépresseurs ajoute à la confusion dans la compréhension de la maladie, certains concluant hâtivement à une dépression.

 

Le diagnostic de fibromyalgie

Il est compliqué car la fibromyalgie est un diagnostic d’élimination, nécessitant donc un interrogatoire fouillé, un examen clinique complet, un bilan biologique cherchant un syndrome inflammatoire, une carence en vitamine B12 (la sclérose combinée de la moelle épinière qui en résulte associant douleurs et faiblesse musculaire), une carence en cuivre (by pass)… Toute localisation isolée « suspecte » doit faire l’objet d’un bilan iconographique. Le diagnostic ne sera évoqué qu’après avoir réalisé un premier bilan et peut être aidé par la recherche de points douloureux majorés par la pression douce de certaines zones (points de Yunus) qui correspondent à des territoires riches en tendons et ligaments (trochanter, patte d’oie, coudes…).

11 points douloureux sur 18 sont évocateurs.

Le médecin doit garder en tête que tout nouveau signe discordant avec le tableau clinique de fibromyalgie doit déclencher un nouveau bilan et peut faire remettre en cause le diagnostic de fibromyalgie.

 

Les scores de fibromyalgie

Index de douleur généralisée : il évalue « l’étendue des dégâts » en notant les sites douloureux au cours de la semaine passée concernant des zones symétriques (épaules, bras, avant-bras, hanches, cuisses, mollets, mâchoire) et des zones globales (cou, poitrine, haut du dos, bas du dos, abdomen). Chaque zone est cotée 0 ou 1 selon qu’elle est douloureuse ou pas. Le score global va de 0 à 19.

Score de sévérité : il évalue « le retentissement des dégâts » en évaluant trois paramètres (la fatigue, le sommeil non réparateur, les symptômes cognitifs) et tout un ensemble de signes somatiques. L’échelle va de 0 (pas de problème) à 3 (retentissement majeur) pour les trois premiers paramètres, et pour les signes somatiques il va de 0 (aucun signe) à 3 (un grand nombre de signes somatiques associés). Ce score va de 0 à 12. Ce score est inadapté car il prend en compte des paramètres qui sont ceux du syndrome de fatigue chronique et non de la fibromyalgie.

 

Les Pathologies associées

Une quarantaine de symptômes peuvent s’associer à la fibromyalgie (pas chez le même patient !) dont six sont plus fréquemment rencontrées : le SADAM (syndrome algo-dysfonctionnel de l'appareil manducateur avec des articulations temporo-mandibulaires douloureuses et qui craquent), la colopathie fonctionnelle (anciennement dénommée syndrome du côlon irritable), le syndrome de fatigue chronique (fatigue avec épuisement, sommeil non réparateur distinct de l’insomnie, la survenue de malaise à l’effort, une intolérance à l’orthostatisme prolongé, des troubles de l’attention, de la mémoire), un terrain migraineux, l’endométriose, le syndrome de Gougerot-Sjögren (xérophtalmie, xérostomie toutes deux favorisées également par la prise de psychotropes, douleurs neuronales par atteinte des petites fibres nerveuses de type IIa).

La recherche d’un syndrome sec (test de Schirmer, test au sucre) et la recherche d’anticorps antinucléaires (positive dans 70% des cas avec une fluorescence mouchetée et spécificité anti-SSa et anti-SSb) peut donc compléter le bilan.

 

Comment traiter ?

La prise en charge fait appel à plusieurs intervenants (médecin traitant et médecin hospitalier, kinésithérapeute, association de patients, psychiatre ou psychologue, centre de la douleur…).

L’information des proches du patient est fondamentale (conjoint, famille, amis proches…) pour éviter des lieux communs qui humilient le patient et le marginalisent.

Aucun régime alimentaire n’a fait la preuve de son efficacité : si quelques cas de régime sans gluten, d’exclusion de produits laitiers sont émaillés de succès, ils ne constituent en rien la base de recommandations diététiques. Notons que dans certains hôpitaux de l’Assistance Publique de Paris, le piment d’Espelette est testé car il contiendrait un principe actif. Ailleurs, le curare à faible dose…

L’ostéopathie semble délétère, le déséquilibre des chaines posturales étant trop important. La balnéothérapie est une bonne indication ou la pratique d’une réadaptation à l’exercice physique par un kinésithérapeute rompu à cette pathologie.

Des cures thermales adaptées sont bénéfiques (rôle majeur des associations qui évaluent les cures).

Le soutien psychologique (association, psychiatre ou psychologue) peut être proposé.

Les inhibiteurs de recapture de la sérotonine peuvent être indiqués, tout comme Griffonia, une plante qui contient un précurseur de la sérotonine et qui est disponible sous forme de gélule en herboristerie ou en pharmacie. Des médicaments dérivés des anti-épileptiques peuvent être une alternative (prégabaline).

Il faut éviter tout recours aux morphiniques qui créent des situations de dépendance. Ils peuvent être sevrés en milieu hospitalier par perfusion de kétamine.

Une alternative non médicamenteuse est l‘appareil TENS qui délivre via des électrodes épicutanées un courant discontinu programmé qui supprime le ressenti douloureux au niveau central.

Concernant le travail, la poursuite d’une activité professionnelle est recommandée. Dans certains cas, un reclassement professionnel peut être demandé voire l’instruction d’un dossier adulte handicapé.

Une bonne coordination des intervenants est indispensable pour assurer une prise en charge optimale du patient. Rappelons que le traitement n’est actuellement que suspensif.

 

Fibromyalgia : a clinical review   Clauw DJ, JAMA 2014, 311 : 1547-1555

Fibromyalgia  Simpson JE, Moulin DE   Clin Neurol 2014 ; 119 : 513-527

Le syndrome de fatigue chronique : une nouvelle maladie ? De Korwin, La Revue de médecine interne 2016 ; 37 : 811-819