Céphalées et migraines chez l'enfant
Céphalées et migraines chez l'enfant
Docteur, il a encore mal à la tête ! …
Docteur Jean-Christophe CUVELLIER
Service de Neuropédiatrie
Clinique de Pédiatrie, Hôpital Roger-Salengro
Centre Hospitalier Régional et Universitaire de Lille
59037 Lille cedex, France
Avant l’âge de 15 ans, la prévalence des céphalées est comprise entre 54 et
58% et celle de la migraine entre 7.7 et 9.1%. Sur les quelques 200 étiologies
recensées par la Classification Internationale des Céphalées (ICHD-3 bêta), 115
ont été rapportées chez l’enfant et l’adolescent. Si les céphalées primaires
sont largement majoritaires, et le plus souvent bénignes, l’enjeu premier de la
consultation est de dépister un processus expansif intracrânien. Dans l’idéal,
il est souhaitable de parvenir au diagnostic étiologique seul garant d’un
traitement adéquat. ceci est
habituellement possible par les seuls anamnèse et examen clinique. Une part
importante est consacrée à l’interrogatoire qui consistera à obtenir une
description la plus détaillée possible des céphalées. La façon la plus commode
est d’aborder les céphalées en fonction de leur évolution temporelle, qui
permet également de suggérer les étiologies à envisager. Dirigée avec la
patience et la méthode requises, la consultation pédiatrique pour céphalées
permet de sélectionner les patients devant bénéficier d’une imagerie cérébrale
et conduit au diagnostic dans la majorité des cas.
Les céphalées justifiant la
réalisation d’une imagerie cérébrale sont les céphalées aiguës de l’hémorragie
méningée et les céphalées chroniques progressives, c’est-à-dire qui s'aggravent
en fréquence et/ou en intensité au cours du temps, qui font craindre un
processus expansif intracrânien. Il est également licite de demander une
imagerie sur la présence d’un ou plusieurs des critères suivants: modification
récente du caractère des céphalées, troubles visuels, vomissements ou tout
autre signe d’HTIC, anomalie de l'examen neurologique, signes endocriniens
et/ou auxologiques d’apparition récente, âge inférieur à 4 ans,
neurofibromatose.
Les céphalées primaires de
l’enfant et de l’adolescent comprennent la migraine, les céphalées de
type-tension, les céphalées trigémino-vasculaires et les céphalées chroniques
quotidiennes. Dans la migraine sans aura, la céphalée, frontale et bilatérale,
est plus courte que chez l’adulte. L’aura la plus fréquente est visuelle, mais
sa typologie et son rapport temporel à la céphalée sont moins stéréotypés que
chez l’adulte. Les céphalées de type-tension sont les plus fréquemment
rencontrées en population générale mais aussi celles qui ont le moins de
particularités pédiatriques. Elles sont associées à diverses comorbidités, au
premier rang desquelles une comorbidité psychogène. La possibilité d’un
continuum entre céphalées de type-tension et migraine n’est pas exclue. Les céphalées
chroniques quotidiennes surviennent, par définition, au moins 15 jours par
mois. Problème de santé publique, d’incidence croissante, elles sont dominées
par la migraine chronique. Les deux principales comorbidités à rechercher sont
l’abus d’antalgiques et les troubles psychopathologiques.
La prise en charge
thérapeutique, dictée par l’analyse soigneuse des facteurs déclenchants, du
retentissement fonctionnel, et des comorbidités somatiques et psychiatriques,
est au mieux globale, dans une perspective multidisciplinaire
bio-psycho-sociale. Peu d’étude contrôlées ont évalué l’efficacité des
médicaments en dehors de la migraine.
Le traitement de la migraine chez l'enfant et
l’adolescent comporte trois parties associant des mesures pharmacologiques et
non pharmacologiques. Il est conseillé de remettre une notice écrite reprenant
ces informations données pendant la consultation. La première partie, outre une
explication adéquate de ce qu’est la migraine, est centrée sur la réassurance
de l’enfant et de ses parents - en expliquant au besoin qu’il n’existe pas de
processus expansif intracrânien. Elle comporte aussi des conseils d’hygiène de
vie et d’identification des facteurs déclenchant des accès, en vue de leur
éviction. Un traitement préventif est proposé en cas d’échec et/ou
d’indisponibilité des autres mesures, en privilégiant les thérapeutiques
préventives non médicamenteuses, comme la relaxation et/ou le rétrocontrôle
(biofeedback).
Le traitement de l’accès migraineux associe
repos au calme et utilisation raisonnée et adéquate d’un médicament par
intermittence. Parmi les médicaments de l’accès disponibles, seuls l’ibuprofène
et le sumatriptan ont une efficacité bien établie par plusieurs études
contrôlées chez l’enfant. Il est capital d’éduquer le patient à prendre le
médicament de crise le plus rapidement possible à partir du début de l’accès,
gage d’une efficacité optimale. Le respect d’une posologie correcte, supérieure
aux posologies antalgiques habituelles, doit être souligné (au moins 10 mg/kg
pour l’ibuprofène, 15-20 mg/kg pour le paracétamol). Parmi les triptans, c'est
le sumatriptan en solution pour pulvérisation nasale (Imigrane®
Spray nasal 10 ou 20 mg) dont l'efficacité est la mieux établie. En
France, c'est le seul triptan qui ait obtenu une AMM pédiatrique. Il peut être
utilisé à partir de l'âge de 12 ans. Il est remarquablement toléré,
l'effet indésirable le plus fréquent consistant en une perturbation transitoire
du goût. Les autres triptans n’ont pas l'AMM avant 18 ans en France. Toutefois,
l’efficacité du zolmitriptan, du rizatriptan et de l’almotriptan a été établie
par plusieurs études et ils peuvent s’avérer précieux en cas d’échec et/ou de
mauvaise tolérance des antimigraineux précédents. L’objectif du traitement de
crise est, comme chez l’adulte, d’obtenir un soulagement à 2 heures. En
conséquence, une seconde prise du médicament est conseillée à 2 heures en
l’absence d’amélioration. L’information sur le traitement de l’accès est
indissociable de la prévention de l’abus d’antalgiques: il est recommandé de ne
pas dépasser 2 jours de prises d’antalgiques par semaine. Il semble que le
paracétamol soit plus propice à induire des céphalées chroniques quotidiennes
par abus d’antalgiques que les AINS, ce qui constitue une autre raison de proposer
l’ibuprofène en première intention. En pratique, la stratégie thérapeutique
doit être bien définie et simultanément individualisée, fondée sur les
caractéristiques habituelles des accès migraineux chez l'enfant concerné, mais
aussi sur les données théoriques. Les prescriptions feront l’objet d’une
réévaluation régulière, avec l’obsession de la prévention de l’abus
d’antalgiques.
Il paraît opportun de
rappeler une étude publiée en 1996 dans laquelle Lewis et al avaient demandé à
des enfants consultant pour céphalées, ainsi qu’à leurs parents, ce qu’ils
attendaient de cette consultation (Headache 1996;36:224-230). Les 3 principaux
souhaits étaient : détermination de l’étiologie des céphalées, soulagement
et réassurance. Un autre souhait plus « régional » serait de pouvoir
disposer dans le Nord des méthodes thérapeutiques actuelles, recommandées au
niveau international, avant le XXIIème siècle !
Références
1
Headache Classification Committee
of the International Headache Society (IHS). The International Classification of Headache
Disorders, 3rd edition (beta version). Cephalalgia 2013;33:629-808
2 Cuvellier JC. Conduite à tenir devant des céphalées de l’enfant. Tout
Prévoir 2011;420:28-31
3 Cuvellier JC. Comment je prends en charge une céphalée chez l'enfant.
Pratique Neurologique – FMC 2015;6:197–206
4 Tourniaire B. Migraine de l’enfant : les bonnes pratiques. Douleur Analg
2010;23:14-20
5 Cuvellier JC. Céphalées et migraines de l'enfant. EMC Pediatr 2013;8(2):1–12
[Article 4-094-A-10].
6 Bonfert M, Straube A,
Schroeder AS, Reilich P, Ebinger F, Heinen F. Primary headache in children and
adolescents: update on pharmacotherapy of migraine and tension-type headache.
Neuropediatrics 2013;44:3-19
7 Cuvellier JC. Céphalées chez l’enfant (hors céphalées récurrentes). EMC
(Elsevier Masson SAS, Paris), Traité de Médecine Akos, 8-0020, 2011