Cancer du sein : classification clinique et anatomopathologique
Jacques Bonneterre, Université de Lille,
Centre Oscar Lambret
A)
Généralités sur les tumeurs solides
Avant
d’entrer dans le vif du sujet, des notions de base permettront de mieux comprendre la suite :
1- Un cancer est une masse tumorale
comportant une tumeur (dite primitive) et des cellules tumorales disséminées
dans l’ensemble du corps ; environ 1/100 000 peut proliférer dans un
organe et donner des métastases.
2 - Traiter un cancer ne consiste pas à
enlever une tumeur mais à diminuer
le plus possible une masse tumorale, seule façon d’éviter la récidive.
3- Les cellules tumorales existent dans
l’organisme bien avant le diagnostic et certaines persistent après le
traitement. Un cancer est une maladie chronique. Moins il reste de cellules ,
plus faible est le risque de récidive ; mais le risque 0 n’existe pas.
4 - A côté de la masse tumorale, le 2°
facteur à prendre en compte est l’agressivité tumorale , responsable de la
rapidité de croissance tumorale.
5 - Plus la masse tumorale est importante
et plus la tumeur est agressive, plus grand est le risque de récidive.
6 - La cinétique d’apparition des
récidives varie en fonction des caractéristiques tumorales, maximal dans les 5
premières années pour les tumeurs agressives, relativement constant dans le
temps pour les tumeurs moins agressives.
B) Comprendre le compte rendu
de RCP :
1 - Carcinome canalaire invasif (= infiltrant),
le plus souvent, ou carcinome lobulaire invasif parfois associé à un carcinome
(ou épithélioma) in situ (ou intra épithélial) ; un carcinome in situ doit
être considéré comme une lésion pré-cancéreuse ; Un carcinome lobulaire invasif est plus souvent multifocal,
moins bien limité avec des métastases plus souvent abdomino-pelviennes ;
il est moins chimiosensible qu’un carcinome canalaire.
2 - La tumeur est mesurée, ce qui permet de
la classer en T1 ( <2cm), T2 (
2 à 5 cm), T3
(plus de 3cm),T4 avec atteinte des structures de voisinage quelque soit
la taille ; lorsque la tumeur est multifocale, on peut faire la somme des
tailles des différentes tumeurs pour évaluer la masse tumorale mais, lors de la
classification TNM, seule la taille de la tumeur la plus volumineuse est prise
en compte.
3 - Ganglion sentinelle positif ou non :
le ganglion sentinelle est considéré comme le premier ganglion de la chaine axillaire.
S’il est indemne d’envahissement tumoral, il a été montré que le curage serait
inutile car négatif. On le met en évidence en injectant un produit radioactif
dans la tumeur ou en région péri-aréolaire ; il est révélé en utilisant
une sonde. Il peut y avoir plusieurs ganglions sentinelles. Le ganglion peut
être macroscopiquement indemne mais être le siège de micrométastases ou de
cellules tumorales isolées, n’entrainant pas un mauvais pronostic.
4 - Grade histopronostique : il
quantifie, de 1 à 3, la formation de tubules, l’anisonucléose et le nombre de
mitoses. La somme de ces scores permet de classer les tumeurs en 3 groupes :
score 1 tumeur bien différenciée, peu proliférative, de bon pronostic, et peu
sensible à la chimiothérapie ; 3 peu différenciée, très proliférative, de mauvais pronostic
mais sensible à la chimiothérapie et 2 intermédiaire.
5 - Récepteurs hormonaux : les
récepteurs de l’estradiol et de la progesterone sont recherchés
systématiquement sur les biopsies ou pièces opératoires par technique
immunohistochimique. Elles sont le témoin du rôle des hormones, en particulier
de l’estradiol, sur la prolifération cellulaire . Inversement, seules les cellules ayant de tels
récepteurs pourront répondre à un traitement anti-hormonal (abusivement appelé
hormonothérapie). Il s’agit de produits bloquant les récepteurs (anti-estrogènes)
ou s’opposant à la production des estrogènes (suppression ovarienne chez la
femme en activité génitale et inhibiteurs d’aromatase chez la femme
ménopausée). Une tumeur hormonosensible a, globalement, un meilleur pronostic qu’une
tumeur non hormonosensible mais les récidives peuvent survenir de façon
beaucoup plus tardive que pour les tumeurs non hormonosensibles.
6 - HER2 : HER2 est un oncogène
surexprimé dans environ 15% des cancers du sein ; cette surexpression
s’explique par une amplification du gêne HER2 qui peut être recherchée par une technique
de biologie moléculaire (RT PCR) ; HER2 se comporte comme un récepteur de
facteur de croissance activé en permanence ; ces tumeurs sont très
prolifératives donc spontanément de mauvais pronostic. Elles sont sensibles aux
anticorps anti HER2 (Trastuzumab, Pertuzumab) ; un traitement par ces
molécules permet aux cancers HER2 positifs d’avoir un pronostic comparable aux
cancers HER2 négatifs.
7 - KI67 : il s’agit d’un antigène
exprimé pendant la division cellulaire. Le pourcentage indique le pourcentage de cellules en cours de
division au moment du dosage. L’index mitotique mesuré dans le grade
histopronostique est un comptage des cellules en cours de mitoses. La valeur du
KI 67 a un intérêt pronostique, un taux élevé étant le témoin d’une agressivité
tumorale importante et donc d’une sensibilité importante à la chimiothérapie.
C) Des caractéristiques
tumorales à la proposition d’un traitement adjuvant :
L’objectif
d’un traitement adjuvant est de diminuer le risque annuel de récidives et de
décès.
Le risque de récidive (locale
ou métastatique) varie en fonction des caractéristiques tumorales ; schématiquement, les cancers
hormonosensibles ont un risque qui
varie peu dans le temps à partir du traitement initial. Les cancers non hormonosensibles,
« triples négatifs », ou HER2 positifs ont un pic de risque au cours
des 5 premières années après le traitement initial ; le risque après la 5°
année est proche de celui des tumeurs hormonosensibles ; il est même
légèrement inférieur. Quelque soit le type de cancer du sein, il n’y a pas de
recul à partir duquel le risque est nul. Bien sûr, il existe une « zone
grise » regroupant des tumeurs de « pronostic intermédiaire »,
essentiellement des tumeurs faiblement hormonosensibles , avec des facteurs de
mauvais pronostic
Le niveau de risque de
récidive varie en fonction de l’importance de la masse tumorale : plus la tumeur est volumineuse, plus
important est le nombre de ganglions régionaux, plus important va être le
niveau de risque annuel de récidive
Bien
sûr, le niveau individuel de risque est inconnu pour chaque malade.
De
façon schématique, on va considérer 3 groupes pronostiques :
1- Les cancers de mauvais pronostic pour
lesquels une indication de chimiothérapie est formelle vont regrouper
a) les cancers agressifs, triple négatifs
ou avec amplification de HER2 , quelque soit leur masse tumorale
b) Les cancers peu
hormonosensibles, de grade 3 avec un KI 67 élevé, quelque soit leur masse
tumorale
c) Les cancers hormonosensibles, de grade
2 avec un KI 67 intermédiaire et une masse tumorale « importante »
2 - Les cancers de bon pronostic très hormonosensibles, de grade 1 sans hyperexpression de
HER2 avec un KI 67 faible, quelle que soit leur masse tumorale vont relever
d’une hormonothérapie ; le risque de récidive est plus faible et la
chimiothérapie peu efficace.
3 - les cancers de pronostic
intermédiaire n’entrent dans aucune de ces catégories ; l’indication de
chimiothérapie repose sur des arguments discutables et peut donc varier selon
les praticiens. Schématiquement, plus le nombre de facteurs pronostiques est
élevé, plus mauvais est le pronostic Une solution possible consiste à utiliser
une signature génétique qui permet de reclassifier entre moitié et 2/3 des
tumeurs en bon ou mauvais pronostic.
D) Quelle efficacité des
traitements adjuvants ?
La
chimiothérapie diminue le risque de récidive d’environ 40 % sur une population
générale. Ceci veut dire que si le risque annuel de récidive est de 20%, la
diminution absolue du risque est d’environ 8% ; 8% des malades tireront un
bénéfice de la chimiothérapie. Si le risque annuel de récidive est de 5%, 2%
des patientes en tireront un bénéfice.
L’hormonothérapie
diminue le risque de récidive d’environ 50% sur une population hormonosensible.
Le même calcul s’applique.
Les
effets de la chimiothérapie et de l’hormonothérapie s’ajoutent.
E) Conclusion
Un
cancer du sein se caractérise par sa masse tumorale (taille de la tumeur et
nombre de ganglions axillaires envahis) et son agressivité dont dépend la
cinétique d’apparition des métastases et sa chimiosensibilité. Ces facteurs
sont pronostiques et certains sont prédictifs. La tentative de synthèse de ces
facteurs est à l’origine de l’indication de chimiothérapie et/ou
d’hormonothérapie.