Utilisation et surveillance des neuroleptiques
Les neuroleptiques, symboles de la camisole
chimique ?
S’ils le sont effectivement dans l’esprit du grand
public, les neuroleptiques, et leurs descendants modernes que constitue le
groupe des antipsychotiques atypiques, n’en sont pas moins des médicaments qui
représentent une classe pharmacologique dont l’apport thérapeutique est
indiscutable. Encore faut-il bien les connaître, pour respecter leurs
indications et pour en limiter l’incidence des effets secondaires.
Historiquement, l’apparition des neuroleptiques a
révolutionné en son temps la prise en charge des troubles psychiatriques aigus
et sévères et ouvert de nouvelles voies thérapeutiques au travers de la
chimiothérapie psychiatrique. La caractérisation première des neuroleptiques à
effet antipsychotique fait appel à des critères cliniques et neurologiques
relativement simples. Ces produits ont ensuite bénéficié de développements
successifs qui ont conduit, en usant de possibilités d’exploration et de
recherche améliorées et au travers de reformulations théoriques
pharmacologiques et de nouvelles modélisations des maladies psychiatriques, à
l’apparition d’une nouvelle génération de médicaments, les antipsychotiques
atypiques. Ces médicaments disposeraient d’un spectre d’activité plus large,
d’un moindre risque neurologique et d’un profil de tolérance cognitif et
fonctionnel plus favorable pour le patient. La présence d’un risque métabolique
augmenté reste cependant un point de vigilance notable.
Les antipsychotiques de première génération - les
neuroleptiques - et de deuxième génération - les antipsychotiques atypiques -
forment un groupe de médicaments particulièrement hétérogène. Ils appartiennent
à différentes classes chimiques qui correspondent à des structures différentes,
présentent des effets biologiques et pharmacologiques divers qui conduisent à
des indications multiples, et leurs effets secondaires sont également
d’intensité et de nature variables. Ces molécules possèdent en effet des
propriétés et un spectre d’activité parfois très large qui implique une
activité sur des voies multiples et variées de la neurotransmission, bien
au-delà d’une activité dopaminergique caractéristique d’une efficacité dans la
schizophrénie.
Le maniement de ces molécules puissantes obéit à
certaines règles qui impliquent la connaissance des molécules, le respect des
indications et le repérage de symptômes cibles, la reconnaissance des effets
souhaités et indésirables, et la surveillance régulière et adaptée du
traitement.
L’indication principale de ces antipsychotiques
est évidemment la schizophrénie, dans ses différentes formes, principalement
productive, déficitaire ou désorganisée. Même si la cible thérapeutique
privilégiée que constitue le délire est la plus accessible au traitement
antipsychotique, ce traitement présente une activité non négligeable sur les
autres dimensions du trouble schizophrénique que sont les symptômes négatifs ou
les éléments dissociatifs. Il convient cependant de distinguer:
Un effet syndromique sur le trouble psychotique
dans son ensemble,
Un effet symptomatique sur des symptômes cibles
(délire, anxiété, thymie, dissociation, déficit, sommeil...).
Ces deux dimensions, complémentaires, rendent
compte, dans le cadre de troubles chroniques au long cours d’un “effet
modificateur du cours de la maladie”, avec l’objectif recherché de modifier la
présentation symptomatique, de réduire le risque de rechutes pathologiques
aigues, et d’améliorer le pronostic fonctionnel d’une pathologie sévère aux
conséquences graves et multiples, psychiques et somatiques. Des schémas
thérapeutiques sont utilisables, qui tiennent compte des différentes molécules
disponibles, de leur spectre d’activité, de leur capacité sédatives, mais
également des différentes formes galéniques dont la voie injectable à effet
immédiat ou à forme retard à action prolongée, ou même des associations
médicamenteuses à visée symptomatique qui sont généralement la règle. La
relative souplesse d’utilisation ainsi que le profil efficacité / tolerance
permet d’élargir l’utilisation des antipsychotiques à des populations
spécifiques plus ciblées : femme enceinte, enfant, toxicomanie, ou même personnes
agées sous certaines reserves.
Progressivement et par analogie clinique et
pharmacologique, les indications psychiatriques se sont étendues au trouble
bipolaire de l’humeur, tandis que l’activité de certaines molécules
antipsychotiques sur les symptômes comportementaux, affectifs, thymiques ou
anxieux présents dans la schizophrénie ont conduit à élargir les indications à
ces troubles, en dehors même du contexte psychotique: traitement des troubles
du comportement et de l’agitation, anxiété-symptôme ou trouble anxieux,
induction d’une indifférence affective lors de troubles psychiatriques non
psychotiques, voir même en dehors de toute considération nosographique, voire
même au cours de situations de souffrance psychique comorbide à un trouble non
psychiatrique. Les neuroleptiques sont par ailleurs également utilisés dans
d’autres indications non psychiatriques comme les vomissement, les vertiges ou
les bouffées de chaleur.
Si les antipsychotiques sont des molécules à fort
potentiel, leurs effets secondaires et indésirables sont non négligeables et
nécessitent une attention particulière et un programme de surveillance
spécifique. Celui-ci fait l’objet de la part même des autorités de santé de
recommandations qui se basent sur les effets les plus fréquents et insistent
sur l’évaluation clinique et paraclinique minimale et nécessaire préalable à
l’instauration d’un traitement antipsychotique, surtout dans la cadre d’une
prescription au long cours.
Si les effets secondaires neurologiques immédiat
et tardifs sont caricaturaux d’une mauvaise tolérance des premiers
neuroleptiques, les antipsychotiques atypiques sont caractérisés par des
anomalies, variables selon les molécules, mais parfois préoccupantes. Celles-ci
sont en lien avec l’activité thérapeutique intrinsèque du médicament, mais
aussi avec l’absence de spécificité biologique en lien avec un spectre d’action
pharmacologique large et qui caractérise les molécules “sales” biologiquement
parlant : effet neurologique ou endocrinien et dopamine, effet sédatif et
histamine, effet hypotenseur et adrénaline...
Ces effets secondaires se répartissent entre des
effets communs aux différentes molécules antipsychotiques, en raison de leur
mode d’action principal, et des effets plus spécifiques à certains médicaments
du fait d’une activité spécifique thérapeutique ou d’un effet intrinsèque au
produit.
Ainsi, à côté des classiques troubles
dyskinétiques, nettement moins fréquents depuis l’introduction des
antipsychotiques atypiques, ou de l’abaissement du seuil épileptogène,
l’hyperprolactinémie peut être mis en lien avec des modifications
dopamine-dépendantes ou les troubles
métaboliques avec des interférences avec les voies du métabolisme lipidique ou
glucidique. Les troubles psychiatriques au long cours sont pourvoyeurs de
complications somatiques par eux-mêmes, en particulier cardio-vasculaires, et
l’attention des prescripteurs est actuellement attirée sur les risques de mort
subite et de troubles du rythme cardiaque par allongement du QT lors de la
prescription de molécules à potentiel neuroleptique et antipsychotique.
Des effets secondaires idiosyncrasiques, tel le
rare syndrome malin des neuroleptiques ou les altérations de la lignée
leucocytaire sanguine sont également possibles et à surveiller régulièrement.
Points-clés:
-
Les
antipsychotiques sont des médicaments d’une incontestable utilité dans les
troubles psychiatriques majeurs mais sont également utilisés dans des
indications multiples
-
La
antisychotiques atypiques, dits de deuxième géneration ont un meilleur profil
de tolérance neurologique que les neuroleptiques et un spectre d’activité
thérapeutique élargi
-
La notion de
traitement de fond d’un trouble psychiatrique est à compléter par le concept
plus pertinent de modificateurs du cours de la maladie chronique
-
Une
évaluation préthérapeutique clinique et paraclinique est indispensable à la
mise en route d’un traitement
-
La
surveillance d’un traitement par antipsychotiques et la gestion des risques
doit impérativement rester une priorité (neurologique, métabolique, cardiaque,
hématologique)
Références:
1)
Olié JP, Dalery J,
Azorin JM : Médicaments antipsychotiques : évolution ou révolution ?,
Acanthe éd., 2001.
2)
Stahl SM :
Psychopharmacologie essentielle, Médecine-Sciences Flammarion éd., 2002.
3)
Thomas P : Les
antipsychotiques, Médecine-Sciences Flammarion éd., 2013.
4)
HAS : Guide
Affection de longue durée : Schizophrénie, juin 2007.
5)
AFSSAPS : suivi
cardio-mlétabolique des patients traités
par antipsychotiques, mars 2010.