L'accident ischémique transitoire (AIT)
Les accidents ischémiques transitoires (AIT) représentent un type particulier d'ischémie cérébrale ne laissant pas de séquelle, et dont le diagnostic est en général rétrospectif. Ils témoignent d'un risque élevé d'infarctus cérébral à brève échéance. C'est donc une urgence neurologique qui justifie revanche un bilan étiologique urgent permettant la mise en place dans les premières heures des mesures de prévention secondaire grâce auxquelles 4 infarctus cérébraux sur 5 faisant suite à un AIT sont évités.1
1. Qu’est ce qu’un AIT ?
La définition classique d'un AIT établie dans les années 1950, en faisait un épisode de dysfonctionnement cérébral, oculaire, ou médullaire, focal, dont l’origine présumée est ischémique, et s’accompagnant d’un retour à la normale en moins de 24 heures. C'est donc une définition purement clinique, qui se basait sur le postulat - faux - selon lequel lorsque le déficit régresse en moins de 24 heures il n'y a pas de lésion cérébrale. Cette définition est excellent pour l'épidémiologie car elle permet de classer tous les participants comme ayant ou n'ayant pas présenté un AIT. Mais elle est fausse car certains déficits transitoires ne sont pas ischémiques, près de 50% des patients répondant à cette définition ont un infarctus en IRM. La limite de 24 heure avait été fixée arbitrairement.
La définition moderne d'un AIT en fait un épisode de dysfonctionnement cérébral, oculaire, ou médullaire, focal, dont l’origine présumée est ischémique, s’accompagnant d’un retour à la normale, et sans anomalie parenchymateuse en imagerie.2 Cette définition se base réellement sur l'état du parenchyme cérébral. La durée n'intervient plus dans la définition, mais il est signalé que celui ci est en général de 10 minutes. Cette définition est adaptée à la pratique clinique mais pas à l'épidémiologie.
2. Quelles sont les causes?
Les causes des AIT n'ont rien de spécifique. Elles sont les mêmes que dans toute ischémie cérébrale: athérome des vaisseaux cervicaux et intracrâniens, cardiopathies emboligènes, maladies des petites artères intracérébrales, autres causes identifiées (dissections, angéites, angiopathies toxiques etc) et causes inconnues. De même, les facteurs de risque sont ils identiques à ceux de toute ischémie cérébrale (âge, hypertension artérielle, diabète, hypercholestérolémie, tabagisme, etc).
3. Quelles sont les présentations cliniques?
Il est exceptionnel que les patients puissent être examinés pendant l'épisode. Le diagnostic est donc rétrospectif, probabiliste et repose exclusivement sur la description qu'en fait le patient. Les caractéristiques générales sont le début brutal, le caractère déficitaire (perte de fonction), focal (tout peut s'expliquer par une seule lésion) et la régression complète avec un examen normal après l’épisode.
Les présentations les plus fréquentes sont l'hémiplégie/hémiparésie, le déficit sensitif hémicorporel, l'aphasie, la cécité monoculaire, l'hémianopsie latérale homonyme ou trouble de coordination unilatéral
4. La description clinique est elle importante?
La description clinique du patient est cruciale car c’est sur elle seule que se fait le diagnostic. Il y a parfois des difficultés d’analyse du patient : une paralysie est décrite comme une lourdeur ou une impression d’être attiré d’un côté, un déficit sensitif comme des paresthésies voire des douleurs et un trouble de l’équilibre comme un vertige. Aphasie et dysarthrie sont souvent confondues, comme cécité monoculaire et hémianopsie latérale homonyme.
5. Quels sont les erreurs diagnostiques les plus fréquentes ?
Les erreurs se font plus souvent par excès (affirmer un AIT alors qu'il ne s'agit pas d'un AIT : "TIA mimics") que par défaut (ne pas identifier l'AIT : "TIA chameleons"). Les erreurs par excès les plus fréquentes sont les aura migraineuses, les déficits post critiques, les hypoglycémies, et les vertiges ORL (< 3% des vertiges accompagnés sont vasculaires et < 1% des vertiges isolés).
6. Quels examens effectuer?
• Pour conforter le diagnostic d'AIT:
L'essentiel du diagnostic repose sur la description clinique, mais celle ci ne suffit pas. Il faut d'une part s'assurer que les symptômes ne soient pas en rapport avec une autre affection neurologique voire une hémorragie. Seule l'imagerie cérébrale le permet, idéalement par IRM ou au minimum par scanner. L'absence d'anomalie du parenchyme cérébral susceptible d'expliquer les symptômes est essentielle au diagnostic.
• Pour déterminer l'étiologie:
D'autres examens sont nécessaires pour dépister l'étiologie, en urgence pour la plupart :
– Vaisseaux cervicaux et intracrâniens : ARM cervicale et intracrânienne, doppler cervical et transcrânien.
– Cœur : auscultation, ECG, monitoring 48-72h, ETT (parfois ETO, Holter, holter implantable)
– Biologie : NF, VS
– Selon contexte : screening toxicologique, hémocultures, sérologies, électrophorèse de l’hémoglobine, génétique.
• Pour déterminer les facteurs de risque selon l’étiologie
– Athérome : bilan lipidique
– Cardioembolie : hormones thyroïdiennes
– Maladie des petites artères: holter tensionnel
7. Quels délais de prise en charge?
Une prise en charge en urgence est recommandée car :
– La probabilité de dépister l’étiologie (donc de prescrire une prévention secondaire adaptée) diminue avec le temps.
– Le traitement optimal est mis en place en moyenne en 24 h dans centre spécialisé vs. 20 j en ambulatoire (p <0.0001), et le risque d’AVC à 90 j est de 2.1% après admission en centre spécialisé vs. 10.3% en ambulatoire (réduction relative de risque: 80%).3
– Le risque d'AVC est maximal au début, puis diminue avec le temps.4
– La plupart des infarctus cérébraux post AIT surviennent dans les 48 h: le risque est de 9.9% à 2 jours, 13.4% à 30 jours et 17.3% à 90 jours.4
8. Comment évaluer le risque après un AIT?
Certains patients sont plus à risque que d'autres après un AIT. On les identifie par:
– Le score de risque dit "ABCD2" repose uniquement sur des critères d'anamnèse identifiables dès l'admission du patient : A (pour age) avec 1 point si > 60 ans, B (pour "blood pressure", pression artérielle) avec 1 point si PAs > 140 mmHg ou PAd > 90, C (pour clinical features, présentation clinique) avec 2 points si déficit moteur unilatéral, 1 point si troubles du langage sans déficit moteur, D (pour duration, durée) avec 2 points si 60 minutes ou plus, 1 si 10 minutes ou plus, et D (pour diabetes mellitus, diabète) avec 1 point si présent. Un score de 0 à 3 suggère un faible risque (1% à 48h, 3.1% à 90 jours) et un score de 6 ou plus un haut risque (8.1% à 48h et 17.8% à 90 jours).4
– La présence d'une anomalie en IRM chez un patient ayant un AIT ancienne définition indique un risque plus élevé
– La présence d'une sténose carotide >50% ou une occlusion intracrânienne avec un déficit de perfusion indiquent un risque très élevé.
9. Faut-il hospitaliser les AIT?
Les recommandations américaines (les plus récentes) indiquent une hospitalisation immédiate en unité spécialisée pour les AIT datant de moins de 72 h, pour ceux qui datent de plus de 72 h uniquement en présence d'un score ABCD2 >2
Les intérêts de l'hospitalisation en urgence sont d'affirmer au plus vite le diagnostic, de préciser au plus vite l'étiologie et de mettre en route au plus vite la prévention secondaire.
10. Quelle prise en charge thérapeutique?
• Immédiate
Après imagerie l'aspirine 160 à 325 mg (puis 75 mg) ou le clopidogrel 300 mg (puis 75 mg). La combinaison ASO + CLO est à l’étude. Dans circonstances exceptionnelle où l’imagerie est réellement impossible (isolement géographique comme une ile, pays en guerre, pays sans accès à l’imagerie etc.) l'aspirine peut être donnée sans imagerie
• Rapidement
– Correction des facteurs de risque : HTA, statines, sevrage tabagique
– Anti thrombotiques: antiplaquettaires en général, anticoagulants si cardiopathie
– Endartérectomie carotide indiquée dans des délais cours (idéal = 48h, jamais plus de 15 jours) si sténose ipsilatérale > 70% (quelque soient âge, sexe et symptômes) et si sténose de 50 à 69% (si sexe masculin, symptômes autres que cécité monoculaire, et âge laissant supposer au moins 3 à 5 ans d'espérance de vie).
11. Quel risque à long terme?
Alors que le risque majeur à court terme est neurologique, le risque à long terme est coronaire.
Messages clés :
1) Les AIT récents (datant de moins de 72h) doivent être admis en unité neurovasculaire, et ceux qui datent de quelques heures (moins de 6 à 12h) doivent être régulés par le 15.
2) la moitié du risque neurologique se passe dans les 48 heures suivant l'AIT
3) il est possible par une démarche diagnostique rapide et une filière bien organisée d'éviter 4 infarctus cérébraux sur 5 faisant suite à un AIT
4) Sur le court terme le risque est cérébral mais sur le long terme le risque est coronaire.
1. Rothwell PM, Algra A, Amarenco P. Medical treatment in acute and long-term secondary prevention after transient ischaemic attack and ischaemic stroke. Lancet. 2011;377:1681-92.
2. Albers GW, Caplan LR, Easton JD, Fayad PB, Mohr JP, Saver JL, Sherman DG; TIA Working Group. Transient ischemic attack--proposal for a new definition. N Engl J Med. 2002;347:1713-6.
3. Rothwell PM, Giles MF, Chandratheva A, Marquardt L, Geraghty O, Redgrave JN, Lovelock CE, Binney LE, Bull LM, Cuthbertson FC, Welch SJ, Bosch S, Alexander FC, Silver LE, Gutnikov SA, Mehta Z; Early use of Existing Preventive Strategies for Stroke (EXPRESS) study. Effect of urgent treatment of transient ischaemic attack and minor stroke on early recurrent stroke (EXPRESS study): a prospective population-based sequential comparison. Lancet. 2007;370:1432-42.
4. Giles MF, Rothwell PM. Risk of stroke early after transient ischaemic attack: a systematic review and meta-analysis. Lancet Neurol. 2007;6:1063-72.