L'insuffisance rénale
La reconnaître, la suivre (jusque quand), comment ne pas l’aggraver
Professeur Christian NOEL
L’insuffisance rénale chronique (IRC) est une maladie silencieuse qui diminue l’espérance de vie de façon majeure.
Elle peut créer des dégâts considérables avant même le stade dit terminal puisqu’elle fait le lit des futures complications cardiovasculaires ce qui explique en partie que les patients parvenant à ce stade terminal en référence tardive ont une espérance de vie très courte, même s’ils sont jeunes.
Ces quinze dernières années, l’augmentation de l’incidence de l’IRC terminale a été de 8%/an (Pour se donner une idée, lorsque l’on place son argent à 8%, on a doublé son capital en 10 ans!)
La reconnaître :
Même quand on ne suspecte pas une insuffisance rénale (ce qui est le plus fréquent des cas) il faut réaliser un dosage systématique de la créatinine sérique, c’est à dire lors de toute prise de sang, même si rien ne fait évoquer cette maladie.
Les étiologies les plus fréquentes de ces IRC ne sont plus les néphropathies glomérulaires primitives ou certaines maladies génétiques qui restent rares et dont l’incidence ne s’est pas modifiée. C’est le diabète et les néphropathies vasculaires qui représentent aujourd’hui les premières causes d’IRC parce que d’une part l’incidence du diabète de type 2 est devenue énorme et d’autre part parce que cette population vieillit. Les meilleures prises en charge cardio-vasculaires en amont ont fait que leur espérance de vie a augmenté et que ces patients arrivent à présent au stade d’IRC alors qu’ils mourraient auparavant. Quarante pour cent des patients arrivant actuellement en dialyse ont plus de 75 ans. Paradoxalement, l’augmentation de l’incidence de l’IRC terminale est donc le prix à payer de l’amélioration de la prise en charge médicale globale et en particulier cardio-vasculaire, de la même façon que l’Alzheimer resterait rare si l’espérance de vie était demeurée celle d’il y a 20 ans. C’est dire que la population cible essentielle pour rechercher une IRC correspond aux diabétiques et aux personnes de plus de 65 ans.
La suivre :
Une fois reconnue par le dosage de la créatinine sérique, il faut apprécier sa gravité et mener une réflexion étiologique.
1.De façon initiale, il faut :
- - évaluer le degré de gravité et donc estimer le risque hyperkaliémique notamment par les co-prescriptions médicamenteuses (IEC, ARAII, Bêtabloquants, AINS, spironolactone) et le contexte étiologique (Diabétique avec risque d’hyporéninisme/hypoaldostéronisme).
- - D’autre part on peut toujours être surpris par un contexte évolutif rapide qu’il faut éliminer par un deuxième dosage de la créatinine 3 à 4 jours après la première découverte (insuffisance rénale aiguë ou rapidement progressive).
- - Enfin, de façon systématique il est indispensable de rechercher une obstruction (même en l’absence d’argument anamnestique). L’échographie rénale identifiera donc la présence ou non d’une dilatation de la voie excrétrice urinaire et dans le même temps donnera une idée de la taille des reins et d’une éventuelle asymétrie de taille entre les deux reins. En effet, même si une taille normale ne peut pas faire éliminer une IR Chronique, sa diminution est un signe formel. Enfin, l’hémopathie la plus fréquente après soixante ans étant le myélome multiple, l’électrophorèse et l’immunoélectrophorèse des protéines sériques doit être réalisée. L’autre élément fondamental est la recherche d’une protéinurie. Elle se recherche à la bandelette urinaire ce qui permet de déterminer immédiatement la présence d’une hématurie ou non ou sur un simple échantillon des urines du matin qui s’exprimera en G/L. En fonction ou non de sa présence sera réalisée son expression sur 24h. Un premier avis néphrologique peut être demandé car celui-ci aidera à poursuivre ou non le bilan étiologique puis donnera les éléments de surveillance et quelques conseils de suivi.
2.Par la suite, après avoir précisé le diagnostic étiologique, il faut établir les éléments de surveillance et d’éventuelles mesures préventives pour ralentir l’évolution, informer le patient de ce risque évolutif.
- Diagnostic étiologique : il est parfois impossible lorsque l’IRC est très avancée. L’éventuel contexte anamnestique et les antécédents sont primordiaux et la question doit être posée au néphrologue correspondant. La présence d’une protéinurie par exemple aboutira le plus souvent à la proposition d’une biopsie rénale.
- Etablir les éléments de surveillance : pour cela, il faut d’abord évaluer le degré d’IRC (modérée : entre 30 et 60 ml/mn, sévère entre 15 et 30 ml/mn, pré-terminale voire terminale < 15 ml/mn). Il faut savoir que 30% des patients arrivent au stade terminal avec nécessité d’une prise en charge en dialyse ou en greffe (greffe préemptive) sans ne s’être rendu compte de quoique ce soit. C’est ce qu’on appelle la « référence tardive » qui aggrave le pronostic vital à court terme. On détermine pour cela le débit de filtration glomérulaire (clairance) en utilisant des formules de calculs (Cockcroft avec correction de la surface corporelle et les limites d’imprécision au dessus de 65 ans et pour les poids extrêmes ou, MDRD simplifié, notamment pour les valeurs estimées <30ml/mn et/ou les âges > 65 ans).
- Connaître le retentissement de cette IRC. On sait déjà que l’IRC est un facteur de risque cardiovasculaire à part entière raison pour la quelle il faut être très strict sur les cibles (HTA, dyslipidémie, surpoids et exercice physique et éventuelle équilibre glucidique). A partir de 3O ml/mn de DFG, le risque hyperkaliémique est le plus important et nécessite une surveillance étroite. Vont apparaître, une acidose métabolique pour laquelle il n’y a pas de traitement mais qui est une preuve indirecte d’une aggravation de la fonction rénale, une anémie normochrome-normocytaire que l’on respectera jusqu’aux taux de 10g/dl mais qui nécessitera par la suite la prescription d’Erythropoïétine, une tendance hyperphosphorémique et hypocalcémie sous entendant une hyperparathyroïdie secondaire installée. Parfois ces paramètres apparaissent alors que le taux de créatinine sérique n’a pas pratiquement varié ce qui représente le signe absolu de la nécessité d’un suivi alterné avec le néphrologue.
3.Cas particulier des personnes âgées. Il est certain qu’en appliquant les formules de calcul de DFG, un grand nombre de patients de plus de 70 ans paraissent avoir des insuffisances rénales sévères. En fait l’IRC est fréquente après 70 ans et même si les sujets âgés semblent pénalisés par les estimation du DFG il faut demeurer prudent et les considérer comme tels, c'est-à-dire comme les autres IRC en étant très prudent sur les thérapeutiques médicamenteuses et en veillant à la déplétion sodée.
Comment ne pas l’aggraver ? :
1- Comment tenter de ralentir son aggravation : Dans toute insuffisance rénale chronique existe un certain déterminisme de progression plus ou moins rapide en fonction de l’étiologie et/ou de la difficulté à contrôler une protéinurie glomérulaire et/ou les chiffres tensionnels. La destruction par fibrose d’un certain nombre d’unités néphroniques va s’accompagner d’une hyperfiltration des unités restantes et contribuer en soi à cette aggravation à partir de « phénomènes réactionnels » prolifératifs puis inflammatoires et enfin pro-fibrosants.
Ne pas aggraver une IRC c’est donc avant tout, essayer de contrôler un processus étiologique quand cela est possible (meilleur équilibre possible d’un diabète par exemple) et réduire la protéinurie et l’HTA. Les IEC et/ou les ARAII sont pour cela des outils médicamenteux précieux mais parfois difficiles à utiliser (risque d’aggravation de la fonction rénale et risque hyperkaliémique). Une bonne connaissance de son patient et de ses réactions lors de la prescription de ces produits permet le plus souvent de maintenir ces drogues. Les IEC et ARAII sont donc les produits susceptibles de prévenir l’aggravation à long terme de l’IRC en diminuant l’hyperfiltration mais en même temps, ils diminuent le flux plasmatique rénal et sont des facteurs hémodynamiques d’aggravation « aiguë » d’une IRC.
2- On peut aggraver une IRC par des produits directement néphrotoxiques mais ceux-ci sont finalement assez rares (aminosides et certaines chimiothérapies). Le plus souvent, ce sont des médicaments qui vont intervenir nom pas par une néphrotoxicité directe mais par un biais hémodynamique. C’est le cas des IEC/ ARAII et AINS ainsi que des diurétiques, qui, en l’absence d’évaluation initiale et régulière vont, le plus souvent de façon concomitante à une cause évènementielle de déplétion sodée (fièvre, diarrhée) ou lors d’injection de produit de contraste iodé vont empêcher l’augmentation réactionnelle et physiologique du débit sanguin rénal. Il faut donc éduquer le patient et lui recommander d’appeler son médecin à ces occasions pour entourer ces évènements afin éventuellement d’arrêter ces produits de façon transitoire et de corriger une éventuelle déplétion sodée. Il est vrai, surtout chez les patients vasculaires, que l’on peut aggraver l’IRC avec ces produits. Cependant, on peut accepter une élévation de 10% de la créatinine sérique si celle-ci reste stable par la suite. Il faut donc toujours vérifier les taux de créatinine sérique après mise en route des IEC ou ARA II (environ 1 semaine après) en évaluant notamment le risque hyperkaliémique. En effet, ce n’est pas l’augmentation de quelques points de l’urée ou la créatinine qui est dangereuse (molécules non toxiques en soi) mais bien le non contrôle de la kaliémie. En règle, les patients en IRC sous IEC ou ARA II doivent avoir un contrôle plus fréquent de la créatinine sérique et de la kaliémie, surtout s’ils sont vasculaires avec d’autres traitement potentiellement hyper kaliémiants (bêtabloquants), ou au moment d’un épisode de déplétion sodée.
Prévenir toute déplétion sodée demeure le point fondamental. A ce sujet, il faut éduquer les patients à appeler son médecin dans de telles circonstances et exiger une surveillance très stricte du poids et de ses variations
Pour :
- Diagnostic étiologique
- Eléments de surveillance
- Suivi alterné obligatoire si DFG< 30ml/mn (risque de référence tardive+++