Les néphropathies
Rôle du généraliste dans la prise en charge de l’Insuffisance rénale
L’insuffisance rénale effraye toujours les cliniciens par sa complexité apparente, et les conduites à tenir extrêmement variables où la frontière entre les limites de l’hospitalisation et le maintien à domicile sont étroites.
Le diagnostic passe forcément par un prélèvement sanguin (créatinine sérique) et l’on distinguera :
- l’insuffisance rénale aiguë (IRA)
- l’insuffisance rénale chronique (IRC)
- l’IRA sur IRC
Par définition, pour ce qui concerne l’IRA, il faut disposer d’une biologie antérieure pour affirmer l’IRA (diagnostic différentiel = IRA sur IRC) ce qui n’est pas toujours possible d’autant que l’autre critère (imagerie) correspond à la présence de reins de taille normale alors qu’on sait que les néphropathies diabétiques (également l’amylose ou la polykystose) peuvent par exemple, conserver très longtemps (parfois jusqu’au stade terminal) des reins de taille normale.
En fait, en dehors des IRA médicamenteuses ou du myélome où l’IR peut être de découverte systématique sur un bilan non ciblé, les IRA surviennent la plus part du temps dans un contexte clinique brutal et sémiologiquement riche (saignement aiguë, déshydratation patente, sepsis sévère ….) où l’IRA est toujours recherchée (dosage de créatinine sérique).
L’IRA sur IRC sera envisagée si le contexte clinique est finalement peu évocateur ou disproportionné à l’élévation importante de la créatinine sérique (exemple déshydratation peu symptomatique et chiffres de créatinine très élevés). Cette situation est certainement plus fréquente qu’on ne le pense compte tenu du nombre d’IRA adressées en néphrologie chez des personnes âgées au décours, par exemple, d’un épisode simple de déplétion sodée alors que le patient était placé sous inhibiteurs de l’enzyme de conversion associé ou non à un diurétique. La créatinine sérique revient souvent à la normale après correction des troubles hydroélectrolytiques et de la volémie mais l’IRA imméritée a pour signification, non pas une IRC mais au moins une néphropathie sous jacente (dans le cas présent par exemple, une néphropathie vasculaire). Dans d’autres cas, une néphropathie avec insuffisance rénale chronique inconnue antérieurement, sera révélée par un épisode d’IRA. Dans certain cas, cette IRA sur IRC pourra même conduire à une IRC terminale, épisode ultime d’une néphropathie restée silencieuse jusqu’à lors.
C’est dire une première fois l’importance de disposer d’une créatinine sérique chez tout patient ayant une prescription médicamenteuse quelle qu’elle soit et notamment de diurétiques, IEC/ARAII, AINS où le rein soumis à une agression hypovolémique, sera dans l’incapacité d’assurer son travail d’épargner l’excrétion sodée en cas de besoin. L’urée sanguine est moins fiable car extrêmement dépendante de l’état d’hydratation et/ou de l’état nutritionnel.
Dans ces situations, si le niveau de créatinine indique la gravité de l’IR, c’est à la kaliémie qu’il faut penser car c’est elle qui met le patient en danger vital en sachant que la prescription de médicaments ayant un effet sur l’hémodynamique intra rénale est très pourvoyeuses d’hyperkaliémie (IEC/ARAII, AINS, Bétabloquant, Spironolactone), même à des degrés d’IR modestes. Ceci amène à énoncer une autre règle fondamentale qui est de toujours prescrire une kaliémie de façon associée et immédiate au dosage de la créatininémie.
Le rôle du généraliste est :
- de prescrire une créatininémie associée à une kaliémie devant tout état de déplétion sodée grave ou même modeste chez des personnes fragilisés et/ou « débilités » (diabète, âge > 70 ans, prescriptions médicamenteuses à risque hémodynamique) ou chez un patient que l’on sait porteur d’une néphropathie, avec ou sans IRC.
- De prescrire une créatinémie associée à une kaliémie chez le patient connu en IRC à la moindre situation clinique significative (autre qu’une déplétion sodée).
- D’établir chez ces mêmes patients fragilisés une surveillance systématique du poids et de la pression artérielle et de prévenir les patients sous diurétiques d’arrêter ces produits en cas de fièvre, de diarrhée, de grande chaleur ou tout autres causes de déplétion sodée. Chez le patient en insuffisance cardiaque, une visite s’impose pour confirmer ou non cette attitude.
- pour tout patient en IRC, même modeste, il faut prescrire une boite de kayexalate à garder au domicile, afin de pouvoir utiliser ce quélateur du potassium sans attendre en cas de besoin, au moindre appel du médecin traitant.
L’IRC terminale est une pathologie dont l’incidence et la prévalence est la plus élevée dans le NPDC par rapport aux chiffres de France Métropolitaine. On attribue cela à l’incidence très importante du diabète qui, avec les néphropathies vasculaires du sujet âgé représentent à présent les deux premières causes d’IRC.
Trois choses importantes sont à prendre en considération.
1- D’une part, 40% des patients arrivés au stade terminal dans le NPDC le sont en référence tardive c'est-à-dire que leur pathologie rénale n’était pas connue ou négligée et découverte peu de temps avant la mise en dialyse. Les conséquences sont dramatiques pour ces patients car non seulement ils sont précipités dans une prise en charge très lourde du jour au lendemain avec des conséquences psychologiques et sociales majeures, mais de plus il n’y a eu aucune prise en charge des complications liées à l’IRC pendant des années ce qui en fait les malades les plus graves avec un pronostic vital extrêmement péjoratif par rapport à ceux qui sont suivis régulièrement tout au long de leur parcours pathologique.
Leur chance d’accéder à la greffe rénale qui représente pourtant la meilleure prise en charge possible de survie quantitative et qualitative ainsi que la moins coûteuse, est extrêmement faible.
Pour pallier cette problématique, le dépistage de l’IR et la prise en charge coordonnée avec les néphrologues sont les deux réponses à apporter. Le médecin généraliste est au centre de cette problématique d’une part en dépistant l’IR par le dosage de la créatinine sérique chez les patients à risque et en associant systématiquement à tout prélèvement biologique sanguin (quel qu’en soit l’indication) ce dosage (toujours associé à la kaliémie comme déjà dit).
2- La protéinurie est fondamentale à déterminer. En effet, lorsqu’elle est présente avant ou dès la découverte de l’IR, elle indique le diagnostic de néphropathie glomérulaire et sous entend la nécessité d’une biopsie rénale pour un diagnostique étiologique. Lorsqu’elle apparaît dans le cours évolutif d’une IRC, elle indique un diagnostic de néphropathie de réduction néphronique qui signe une évolutivité défavorable à court ou moyen terme.
3- Enfin, il s’agit d’un nombre très important de patients et les spécialistes néphrologues ne peuvent en assurer le suivi, leur mission essentielle étant la prise en charge de l’IRC terminale. Il faut donc recréer le lien avec le médecin généraliste en adaptant et en coordonnant ce suivi en fonction de la gravité du patient qui ne tient pas seulement à la gravité de l’IR mais également aux pathologies associées, notamment sur le plan cardiovasculaire et l’âge. La meilleure façon de désorganiser le fonctionnement de suivi d’une file active de maladie chronique est de shunter le généraliste ce qui aboutit non seulement à une augmentation des coûts mais également à une perte de confiance du patient. Je souhaiterais aborder les outils modernes qui sont représentés par l’éducation thérapeutique, la télémédecine et finalement le DPC ainsi que le problème éthique du traitement dit « conservateur ».
Lorsque le patient en IRC terminale est pris en charge en dialyse (hémodialyse ou dialyse péritonéale) ou en greffe, il y a également un rôle pour le généraliste qui à l’heure actuelle est pourtant clairement écarté de sa mission à savoir le premier recours et le maintient à domicile. Là aussi, l’éducation thérapeutique et peut être la Télémédecine pourront permettre aux généralistes de retrouver leur rôle essentiel et je dirais comment.
Sur le plan sociétal, c’est le généraliste également qui doit faire le relai des progrès et innovations thérapeutiques dans le domaine de l’IRC et il est d’une importance majeure de comprendre, par exemple, que la « promotion » de la greffe avec donneur vivant passe par lui.
Le dépistage des maladies rénales chroniques restent l’apanage du MG. Dans la mesure où il s’agit d’une maladie silencieuse, le but est de cibler les patients qui ont le plus de chance de développer cette pathologie :
- les patients avec antécédents personnel de problème rénaux et des antécédents familiaux de maladie rénale
- les patients avec HTA ancienne
- les patients ayant déjà présenté une pathologie athéromateuse
- les diabétiques et les patients âgés de plus de 70 ans.
La découverte d’une insuffisance rénale chronique implique la recherche d’une protéinurie (albuminurie rapporté à la créatininurie sur échantillon urinaire), la réalisation d’une échographie rénale (éliminer une obstruction et confirmer la chronicité avancée en cas de petits reins). La démarche étiologique tient compte des antécédents mais surtout, la présence d’une protéinurie (albuminurie > 0,500mg/L) implique la plus part du temps une biopsie rénale pour étiqueter une néphropathie glomérulaire. Quel que soit la maladie rénale en cause, la protéinurie est un facteur de risque évolutif. Ainsi, en cas d’IR modérée, sans protéinurie, on a le temps devant soi et le néphrologue peut être contacté pour évoquer un bilan complémentaire et les modalités de surveillance. En revanche la protéinurie sous entend très souvent une biopsie rénale et un passage obligatoire par le néphrologue.
Le patient étiqueté avec une maladie rénale chronique doit bénéficier d’un suivi comportant
- la surveillance pondérale (problèmes volémiques très fréquents chez eux),
- le contrôle de la pression artérielle et de la protéinurie qui sont des facteurs de risque d’évolutivité
- une réflexion perpétuelle sur le risque médicamenteux iatrogène
Pr Christian Noël