L'obésité chez l'enfant
Professeur Dominique TURCK
Unité de Gastroentérologie, Hépatologie et Nutrition
Clinique de Pédiatrie
Hôpital Jeanne de Flandre et Faculté de Médecine, Université de Lille 2, Lille
Introduction
Au début du 21e siècle, l’obésité chez l’enfant et l’adolescent est devenue un problème majeur de santé publique dans la quasi-totalité des pays industrialisés, y compris en France, même si notre pays n’est pas le plus touché au sein de l’Union européenne. Cette explosion épidémique concerne tous les professionnels de la santé, médicaux et non médicaux, dont le rôle est essentiel, tant dans une démarche de prévention et d’éducation pour la santé que de dépistage précoce et de prise en charge.
Définitions
L’obésité correspond à un excès de masse grasse. Il est nécessaire d’utiliser l’indice de masse corporelle (IMC) (ou indice de corpulence ou indice de Quetelet) pour affirmer l’existence d’un surpoids ou d’une obésité. Cet indice est le rapport du poids (exprimé en kg) sur la taille au carré (exprimée en mètre carré). Chez l’adulte, le surpoids et l’obésité sont respectivement définis, quel que soit le sexe, par un IMC égal ou supérieur à 25 et 30 kg/m2. Chez l’enfant, les variations physiologiques de corpulence au cours de la croissance et l’augmentation progressive de la taille nécessitent l’utilisation de courbes de référence. Ces courbes, établies en fonction de l’âge et du sexe, figurent dans les carnets de santé depuis 1995. Elles sont valables quelle que soit l’origine géographique de l’enfant. Elles montrent que l’IMC augmente de façon très sensible au cours de la première année de la vie, puis diminue progressivement jusqu’à l’âge de 6 ans. A cet âge, on observe une remontée progressive de la courbe, appelée depuis les travaux de Mme Rolland-Cachera, épidémiologiste française, le rebond d’adiposité. Plus ce rebond est précoce, plus le risque de devenir obèse dans l’enfance et l’adolescence est élevé.
La diminution des valeurs de l’IMC entre 1 an et 6 ans traduit la diminution physiologique de l'adiposité et de la corpulence survenant à cette période de la vie où l’impression clinique peut être parfois trompeuse. En effet, entre 5 et 8 ans, les enfants ayant une corpulence normale paraissent plutôt minces ; c'est pourquoi il est parfois difficile de repérer cliniquement un surpoids en train de se constituer si les courbes de corpulence ne sont pas tracées. Notons également qu’au moment du pic de corpulence vers un an, l’apparence visuelle de l’enfant peut être mal interprétée. L’enfant peut paraître trop gros alors qu’il est de corpulence normale pour son âge.
Les valeurs d’IMC situées au-delà du 90ème percentile définissent un surpoids alors que celles situées au-delà du 97ème percentile définissent une obésité.
Prévalence
La prévalence du surpoids et de l’obésité chez l’enfant était en France de l’ordre de 6% dans les années 80 et de 12% au début des années 2000. La dernière enquête disponible, l’enquête nationale nutrition santé (ENNS), réalisée en 2006-2007, montre une prévalence du surpoids de 14,3% chez les enfants de 3 à 17 ans, identique chez les garçons et les filles, alors que la prévalence de l’obésité est de 3,7%. Une étude récemment menée avec le ministère de l’Education nationale chez les enfants de CE1-CE2 âgés de 7 à 9 ans montre une prévalence stable du surpoids à 18,1% et de l’obésité à 4%.
Il faut noter que cette stabilisation mise en évidence chez les enfants est réalisée à un niveau de prévalence moins élevée que la moyenne des autres pays européens. Il serait cependant tout à fait prématuré d’affirmer la stabilisation du surpoids et de l’obésité infantiles. Il ne s’agit pour le moment que de tendances statistiques affirmées sur 2 mesures successives dans le temps. Il faudra au minimum une 3ème mesure allant dans le même sens pour affirmer une stabilisation.
Derrière cette stabilisation apparente, se cache un creusement des inégalités socio-économiques particulièrement préoccupant. En effet, le lien entre l’obésité et le statut économique et social est désormais bien démontré à tout âge. Comme chez les adultes, il existe une différence entre les enfants issus de catégories aisées sur le plan socio-économique, pour lesquels la tendance est à la diminution, et ceux issus de catégories défavorisées, dont la prévalence de surpoids et d’obésité continue à croître légèrement. En France, le surpoids et l’obésité sont plus fréquents dans les familles de faibles revenus, avec en outre des disparités régionales importantes : le Nord-Pas-de-Calais, l’Auvergne, la Lorraine et le Languedoc sont les régions les plus touchées.
En Europe, la France, les Pays-Bas et la Suède sont les pays où la prévalence de l’obésité infantile est la moins élevée. En Suède, 17,6% des garçons et 27,4% des filles de 6 à 11 ans sont en surpoids, et les filles de 4 ans ont 6 fois plus de « chances » d’être obèses aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Au Royaume-Uni, une des nations les plus touchées en Europe, 29% de la population pédiatrique, y compris les adolescents, soit près d’un sujet sur 3, est en surpoids ou obèse.
Soixante-quinze millions d’enfants vivent dans l’Union européenne : on estime que 22 millions sont en surpoids, soit 29% d’entre eux, et que 5,1 millions sont obèses, soit 6,8% d’entre eux.
Consommation énergétique
Dans la plupart des pays, les études de consommation alimentaire mettent en évidence une diminution des apports énergétiques depuis quelques dizaines d’années, de l’ordre de 200 à 300 kcal/jour chez l’adulte. Cela semble indiquer que l’augmentation de la prévalence de l’obésité n’est pas en relation, en tout cas pas de façon évidente, avec une augmentation de l’apport calorique journalier dans les populations. Les enquêtes alimentaires, qui ne sont certes pas toujours très fiables (sous-déclaration des prises alimentaires par les individus ou changements de comportement liées à la « surveillance » représentée par la tenue d’un carnet alimentaire pendant quelques jours consécutifs) ne permettent pas d’établir ce lien. Dans des travaux récents, l’hypothèse d’un déséquilibre qualitatif des apports de nutriments au début de la vie a été évoqué comme facteur de risque de développer une obésité. Il a été ainsi montré que l’allaitement maternel diminuait de l’ordre de 20% le risque d’apparition d’une obésité pendant l’enfance et l’adolescence et que ce risque était d’autant plus diminué que la durée de l’allaitement maternel avait été prolongée. Le rôle de l’apport en protéines ou du rapport entre acides gras de type oméga 6 et oméga 3 pendant les premières années de la vie reste encore spéculatif.
Sédentarité
Il apparaît désormais que l’obésité augmente en même temps que la sédentarité. La dépense d’énergie liée à l’activité physique a diminué dans les sociétés industrialisées du fait de conditions de vie plus confortables (transports motorisés, ascenseurs, chauffage central, climatisation) et de loisirs sédentaires (télévision, jeux vidéo). Certaines études ont montré que le temps passé à regarder la télévision durant l’enfance es prédictif d’une obésité à l’adolescence. Quelle que soit la façon d’estimer le niveau d’activité physique, il semble bien exister une association entre l’augmentation de la prévalence de l’obésité infantile et l’évolution vers une sédentarité accrue dans les populations. Le lien de causalité reste cependant à démontrer avec certitude.
Génétique
L’influence de facteurs génétiques dans la prédisposition à l’obésité est maintenant bien établie. Les études épidémiologiques génétiques ont permis d’identifier un rôle de l’hérédité dans la détermination et l’évolution de la masse corporelle. Selon le type d’étude, les valeurs d’héritabilité de l’obésité varient cependant de 10 à 80 %, ce qui illustre leur imprécision méthodologique. Les études manipulant l’alimentation de couples de jumeaux monozygotes pendant quelques semaines ont montré que les différences de réponses entre jumeaux de paires différentes sont plus importantes qu’entre les jumeaux de même génotype, confirmant ainsi que l’hérédité dans des conditions environnementales définies intervient dans la prédisposition à la prise de poids. Plusieurs gènes sont actuellement impliqués dans les formes d’obésité monogénique, qu’ils s’agisse des gènes codant pour la leptine ou encore du gène MC4R (récepteur de type 4 de la mélanocortine identifié chez 1 à 3 % des enfants obèses).
Conséquences de l’obésité
Le risque à long terme associé à l’obésité de l’enfant ne peut être évalué qu’au moyen d’études épidémiologiques reliant le degré d’obésité dans l’enfance à la survenue de pathologies ou de décès pendant une période d’observation prolongée. Ces études constituent notre seule source de données. Il faut cependant garder en mémoire qu’elles relatent l’expérience d’individus qui étaient obèses pendant la première moitié du 20ème siècle dans des conditions très différentes de celles des enfants actuels. Une obésité apparue durant l'enfance a souvent un retentissement délétère sur la santé à l'âge adulte. Les quelques études épidémiologiques publiées ont établi une surmortalité chez l'adulte de 50 à 80 % associée à ce type d'obésité précoce. Cet excès de mortalité à l'âge adulte est surtout d'origine cardiovasculaire, et touche davantage les garçons. A plus brève échéance, chez l'enfant obèse, des anomalies apparaissent (retentissement respiratoire, augmentation de la pression artérielle et des anomalies des lipides sanguins, notamment hypertriglycéridémie et diminution de l’HDL cholestérol). Une hyperinsulinémie est fréquente et des cas de diabète de type 2, ainsi que des lésions artérielles précoces, ont également été décrits chez des adolescents présentant une obésité sévère.
Par ailleurs, l’obésité influe négativement sur l’estime de soi, l’intégration puis l’évolution sociale.
En pratique
L’objectif est d’agir sur un ensemble de comportements conduisant à la sédentarité et à des prises alimentaires mal adaptées.
Il s’agit de proposer une prise en charge de proximité de l’enfant et de ses parents associant une prise en charge diététique, une incitation à l’exercice physique et une réduction de l’inactivité, mais surtout une modification des comportements de l’enfant et de sa famille.
Le type de prise en charge sera adapté à chaque situation. Cette prise en charge peut faire appel à des structures spécialisées et multidisciplinaires[1] et s’accompagner d’un suivi psychologique si nécessaire. Cette prise en charge doit s’inscrire dans la durée et un suivi régulier est mis en place sous la responsabilité du médecin traitant en concertation avec les autres professionnels de proximité concernés.
Les points suivants sont des conditions indispensables au succès :
1. Obtenir l’adhésion de l’enfant et de sa famille ;
2. Associer l’entourage de l’enfant (famille, école) ;
3. Prendre en compte les contraintes environnementales (habitudes familiales, mode de vie…) ;
4. Mettre en place un accompagnement continu à long terme ;
5. Veiller à ne pas culpabiliser, blesser ou stigmatiser l’enfant ;
6. Connaître l’image que les parents ont de leur enfant en surpoids ou obèse afin que la prise en charge ne soit pas stéréotypée mais individualisée et adaptée au mieux à l’enfant et à sa famille. Les impressions négatives des professionnels de santé sur le surpoids ou l’obésité de l’enfant ne sont pas toujours, loin s’en faut, partagées par les parents, en particulier dans les milieux défavorisés.
Conclusion et recommandations
Chez les jeunes, les conduites responsables de surpoids ou d’obésité sont liées à plusieurs facteurs (place de l’alimentation et du repas dans la vie familiale, équilibre des menus, consommation d’aliments et de boissons sucrés ou salés en dehors des repas, déficit d’activité physique).
Les recommandations suivantes peuvent être formulées.
En ce qui concerne le dépistage, il faut mesurer et peser les enfants tous les ans pour suivre l’évolution de la courbe de corpulence en utilisant les courbes du carnet de santé et également les disques de calcul de l’IMC qui ont été distribués par le Ministère de la Santé dans le cadre du Programme National Nutrition Santé (PNNS). La courbe de corpulence permet de visualiser l’âge du rebond d’adiposité (indicateur prédictif du risque d’obésité) et de repérer précocement un surpoids ou une obésité en train de se constituer, et cela alors même que l’excès pondéral de l’enfant peut ne pas être détectable cliniquement. Il faut également identifier les enfants à risque de développer une obésité, en particulier ceux dont les parents sont obèses, et ceux qui ont présenté un rebond d’adiposité précoce, avant l’âge de 6 ans.
Dans le domaine de la prévention du développement de l’obésité chez l’enfant à risque, il faut favoriser le rééquilibrage de l’alimentation, en particulier la lutte contre les grignotages, et la lutte contre la sédentarité. Les enfants sont souvent incités par la publicité à consommer des aliments dits facultatifs à forte charge énergétique. Il faut favoriser l’exercice physique et essayer de diminuer le temps passé devant la télévision et les divers écrans.
Dans le domaine de la réglementation, il faut promouvoir un étiquetage compréhensible sur les produits alimentaires, indiquant systématiquement les principales informations d’ordre nutritionnel sur ces produits (calories, graisses dont graisses saturées, sucres simples, sel, etc…), avec des mesures concomitantes d’éducation nutritionnelle de la population pour une meilleure compréhension de cet étiquetage. Un meilleur contrôle de la nature des messages publicitaires destinés aux jeunes enfants est également indispensable. Il faut certainement réfléchir sur l’exemple de la Suède, du Québec et plus récemment du Royaume-Uni, qui ont interdit les messages publicitaires concernant les produits alimentaires destinés aux enfants âgés de moins de 12 ans. Une réflexion dans ce sens a été lancée tout récemment par le Ministère de la Santé, le 4 février 2008. En France, la législation et la réglementation prévoient déjà que les messages publicitaires en faveur des boissons avec ajout de sucre, de sel ou d’édulcorant et des produits alimentaires manufacturés soient accompagnés d’une information à caractère sanitaire (loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique). Le Ministère a également annoncé une incitation au retrait des confiseries et des sucreries aux caisses dans les enseignes de la grande distribution, ave l’objectif d’un retrait effectif d’ici la fin du mois de juin 2008. Il est également nécessaire de maintenir l’interdiction de la collation matinale en milieu scolaire et des distributeurs automatiques dans les écoles et les lycées. Certes, il faudrait être naïf pour penser que ces mesures vont résoudre à elles seules l’épidémie actuelle mais elles ont une valeur d’exemplarité importante.
BIBLIOGRAPHIE :
1. ANAES. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge de l’obésité de l’enfant et de l’adolescent. Septembre 2003. 143 pages.
2. Institut national de prévention et d’éducation pour la santé. Evaluer et suivre la corpulence des enfants. 2004. 12 pages.
3. Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Obésité : dépistage et prévention chez l’enfant. Paris : Editions INSERM, 2000, 325 pages.
4. Sites Internet :
- www.sante.gouv.fr rubrique « les dossiers » rubrique N comme Nutrition
- www.lasantevientenmangeant.inpes.sante.fr