Types de douleurs et leurs traitements
Professeur Serge BLOND
Clinique de Neurochirurgie
Centre d'Evaluation et de
Traitement de la Douleur
Hôpital Roger Salengro
CHRU
59037 Lille Cedex
Cet exposé ne concernera que les douleurs chroniques rebelles, là où les traitements étiologiques et symptomatiques ont déjà été entrepris et ne permettent pas d’obtenir un soulagement significatif.
En premier lieu, il est important de souligner qu’à chaque fois, la prise en charge diagnostique et thérapeutique de ces douleurs constituent « une épreuve nouvelle » : toute ébauche de solution suppose un abord à chaque fois individualisé et réinventé, signifiant donc la nécessité d’accorder au patient un temps suffisant pour replacer la douleur dans l’histoire de sa maladie et dans sa biographie. Il s’agit d’un préalable indispensable, permettant de déceler des arguments essentiels en faveur de tel ou tel diagnostic à l’origine d’une orientation thérapeutique mieux adaptée.
Lors de la première consultation, il est absolument indispensable de restituer la chronologie des faits depuis le traumatisme initial ou la pathologie inaugurale jusqu’aux douleurs actuelles pour lesquelles il convient de proposer éventuellement un nouveau traitement à visée antalgique. Cette démarche est souvent difficile en raison de l’ancienneté des faits, mais elle est indispensable pour établir un éventuel support organique à partir duquel pourra éventuellement être précisé une physiopathogénie en tenant compte des données séméiologiques. Cela suppose donc une révision de tous les diagnostics proposés en tenant compte des constatations anatomiques et en analysant tout particulièrement les résultats des différents traitements proposés. Parallèlement, il convient toujours d’évaluer l’attitude du patient à l’égard des diagnostics proposés et des traitements préconisés. En outre, dans ce contexte de chronicisation, il convient également d’établir une distinction claire entre douleur et éventuel handicap de telle sorte que l’on puisse mieux estimer les attentes du patient et définir avec lui des objectifs réalistes. Enfin, inévitablement, il convient de repérer « d’éventuels bénéfices secondaires », de nature variable, susceptibles de gêner l’évaluation du profil douloureux ou encore la mise en place des traitements adaptés.
« Bien comprendre pour bien traiter »
Cet adage est plus que jamais d’actualité ! Quelle que soit la nature de la douleur chronique, il convient tout d’abord de repérer ou de confirmer le diagnostic étiologique : cette étape demeure primordiale d’autant que la chronicisation des faits peut aboutir à une « banalisation de cette approche essentielle » source d’erreurs préjudiciables. Ce n’est qu’en fonction de ce diagnostic et des données d’une analyse séméiologique minutieuse que l’on peut approcher la physiopathogénie de la douleur chronique en établissant une distinction claire entre :
- Les douleurs par excès de stimulation nociceptive : il s’agit de douleurs en rapport avec une lésion tissulaire à l’origine de la libération de substances inflammatoires, responsables d’une sensibilisation des nocicepteurs à la périphérie et secondairement d’une activité centrale anormale de type sensibilisation : il s’agit par exemple de douleurs post-opératoires, de douleurs rhumatologiques ou encore de douleurs liées à une évolutivité néoplasique.
- Les douleurs neuropathiques : il s’agit de douleurs initiées ou causées par une lésion primitive ou un dysfonctionnement du système nerveux. La lésion nerveuse peut être périphérique (intéressant les nerfs périphériques, les racines, le ganglion sensitif ou le plexus) ou centrale (moelle épinière, cerveau). Dans ce contexte, le système nociceptif est lésé au niveau périphérique ou central : la douleur survient volontiers dans une zone très déficitaire, correspondant au territoire d’innervation de la lésion nerveuse. L’un des paradoxes de ces douleurs est la combinaison fréquente de symptômes positifs (douleurs ou paresthésies) et d’un déficit sensitif qui peut être partiel ou complet, avec ou sans phénomène d’allodynie, d’hyperpathie ou d’hyperalgésie.
- Les douleurs « dysfonctionnelles », encore appelées idiopathiques ou psychogènes, ne résultent donc ni d’une inflammation ni d’une lésion nerveuse évidente. Il s’agit par exemple des douleurs de la fibromyalgie, de l’algodystrophie ou syndrome douloureux régional complexe de type 1, des céphalées, de certaines algies orofaciales idiopathiques… Dans ce contexte, l’on peut éventuellement évoquer la possibilité d’un dysfonctionnement d’origine centrale des contrôles modulateurs de la douleur …
- Les douleurs « mixtes » : plusieurs mécanismes générateurs peuvent être impliqués dans la genèse de ces douleurs, associant peu ou prou un excès de nociception, une lésion nerveuse périphérique ou centrale, un dysfonctionnement d’ordre sympathique et une composante psychogène susceptible de compliquer l’évaluation du profil douloureux. Un exemple peut être fourni par certaines lombo-radiculalgies post-opératoires associant une composante nociceptive liée à des médiateurs de l’inflammation issus du disque dégénéré sans compression mécanique et une composante neuropathique, liée à une souffrance ancienne et persistante d’une racine malgré la décompression radiculaire…
Cette double approche étiologique et physiopathogénique doit ensuite être complétée par une évaluation précise du profil douloureux en tenant compte de tous les facteurs susceptibles d’intervenir dans l’expression d’une douleur chronique rebelle : facteurs sensori-discriminatifs, facteurs cognitifs, facteurs thymiques, facteurs comportementaux, approche bio-psycho-sociale…
Ce n’est qu’au terme de cette démarche très « chronophage » que l’on peut proposer une approche thérapeutique « adaptée » en tenant compte des traitements déjà préconisés dans un tel contexte !
- Les douleurs par excès de stimulation nociceptive justifient le recours aux antalgiques habituels selon les paliers thérapeutiques définis par l’Organisation Mondiale de la Santé : le choix du médicament doit tenir compte de l’intensité réelle de la douleur, des traitements déjà effectués jusqu’à présent et de la survenue éventuelle d’effets secondaires indésirables. Le premier palier repose sur une prescription d’antalgiques non opioïdes, parfois associés à un co-analgésique. Le 2ème palier est constitué par les antalgiques opioïdes faibles, notamment à base de Dextropropoxyphène, de Tramadol, de Dihydrocodéine ou de Codéine. Le 3ème palier est représenté par les opioïdes forts classés en agonistes purs (la Morphine, l’Oxycodone, le Fentanyl, l’Hydromorphone, la Méthadone, la Péthidine), les agonistes partiels (Buprénorphine) et les agonistes antagonistes (Pentazocine et Nalbuphine). Les modalités de prescription de ces derniers traitements sont différentes selon qu’il s’agit de douleurs liées à une évolutivité néoplasique ou de douleurs chroniques dites « bénignes » : dans ce dernier contexte, il convient de développer tout particulièrement la notion de « contrat thérapeutique ».
- Les douleurs neuropathiques justifieront le recours aux antidépresseurs tricycliques (Amitriptyline, Imipramine, Chlomipramine …) et à ceux ayant une action combinée sérotoninergique et noradrénergique (Duloxétine …). En 1ère intention ou en complément des antidépresseurs, l’on pourra également prescrire des anticonvulsivants parmi lesquels il faut citer les inhibiteurs des canaux sodiques (réduction des activités ectopiques) : Carbamazépine, Oxcarbazépine, Lamotrigine, Topiramate, mais également la Gabapentine (analogues du gaba), la Prégabaline, le Valproate de sodium et le Clonazépan. Dans ce contexte, il convient également de citer la neurostimulation transcutanée, la stimulation médullaire et la stimulation chronique du cortex moteur sans omettre les approches corporelles et psychothérapiques et certaines techniques de médecine physique et de réadaptation.
- Les douleurs « dysfonctionnelles » doivent être traitées de manière « non agressive », basées sur un important travail d’écoute en donnant la priorité à l’approche psychologique, aux techniques comportementales et à un travail de réassurance.
- Les douleurs « mixtes » peuvent justifier un traitement « panaché », associant antalgiques habituels, antidépresseurs tricycliques et anticonvulsivants, mais une telle orientation thérapeutique suppose des arguments indiscutables en faveur de l’origine combinée des douleurs : en aucun cas, le recours aux anticonvulsivants ou aux antidépresseurs ne doit être uniquement envisagé parce que l’on ne comprend pas l’inefficacité des traitements antalgiques classiques.
- Dans certains cas, le recours à une structure pluridisciplinaire de prise en charge de la douleur chronique rebelle s’avère nécessaire en raison de la complexité du diagnostic étiopathogénique, de l’intrication de multiples facteurs intervenant dans l’expression douloureuse ou de la nécessité d’une approche pluridisciplinaire lors de la définition et de la mise en place de traitements spécialisés (morphine en cas de douleurs chroniques « bénignes », recours aux techniques de neuromodulation …).