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La dépression du sujet âgé


 

Docteur Jean ROCHE

Hôpital Gériatrique « les Bateliers »

CHRU de Lille

59037 LILLE Cedex

 

Le vieillissement de la population dans les pays occidentaux est un phénomène majeur dans l’organisation de nos sociétés. Etre vieux n’est plus une exception. La place des personnes âgées dans la famille ou dans la société s’en trouve profondément modifiée.

Cette évolution est à la fois une chance et une charge, le vécu de chacun sera très différent selon son environnement et son niveau d’autonomie. Ce vieillissement est inéluctable.

 On va vieillir comme l’on a vécu. Confronté aux exigences du vieillissement, le mode de fonctionnement antérieur de sa personnalité va être un facteur de stabilité ou de décompensation sur le plan psychique.

 

Epidémiologie de la dépression chez le sujet âgé

 

Sa fréquence varie en fonction de l’âge, du niveau socio-culturel, des comorbidités, du lieu de vie (domicile ou institution)… En population générale l’étude PAQUID en région Aquitaine avait retrouvé une prévalence des troubles dépressifs de l’ordre de 15%, soit des chiffres similaires à ce que l’on peut observer dans des pays comparables. En institution ce chiffre se situe plutôt entre 15 et 30% selon les études.

Si l’on ne considère maintenant que les dépressions les plus sévères (Episode dépressif majeur), la prévalence du trouble chez les plus de 65 ans est de 2 à 3%.

 

Un certain nombre de facteurs de risque de dépression existent, comme : un deuil récent, une dépendance physique, un antécédent de dépression (mais on peut faire un premier épisode dépressif à un âge avancé sans avoir d’antécédent psychiatrique).

 

Comme à tout âge, la dépression touche plus fréquemment la femme que l’homme.

 

Définition du trouble dépressif

 

Il n’y a pas de définition spécifique à la personne âgée. On se base donc sur les critères du DSMIV. On parlera principalement de dépression majeure (EDM) ou de dysthymie.

 

Ø  La dépression majeure se caractérise par une humeur dépressive (tristesse intense et prolongée) et /ou une diminution marquée des intérêts pour pratiquement toutes les activités.

Il pourra s’y associer une altération de l’appétit (avec une perte de poids de plus de 5% en l’absence de régime), un trouble du sommeil, une asthénie intense, une agitation ou un ralentissement psychomoteur, un sentiment de dévalorisation ou de culpabilité, un trouble de concentration, des idées suicidaires. Une fluctuation des troubles peut exister avec une majoration matinale et une relative amélioration en fin de journée.


 

Ø  La dysthymie est caractérisée par une humeur dépressive plus d’un jour sur deux pendant au moins deux ans.

Il s’y associe la présence d’au moins deux des symptômes suivants : trouble de l’appétit, trouble du sommeil, asthénie, faible estime de soi, difficultés de concentration, perte d’espoir.

 

 

Spécificités de la clinique gériatrique

 

Le diagnostic de trouble dépressif est plus difficile à poser que chez le sujet plus jeune. En médecine générale seul 40 à 50% des dépressions seraient diagnostiqués, et seulement la moitié de ces troubles correctement traités.

 

De nombreux symptômes de la dépression peuvent être rattachés à tord à l’âge du patient.

Ø  « Il ne fait plus rien »… Oui mais  il est vieux, voire malade !

Ø  « Il ne dort plus »… Oui qui ne se plaint pas de son sommeil avec l’âge !

Ø  « Il n’a plus faim »… Oui mais une personne âgée a moins de besoin qu’un sujet plus jeune !

Toutes ces fausses croyances et bien d’autres vont retarder le diagnostic et faussement rassurer la famille voire même son médecin. Le repérage des troubles dépressifs est important car il ne faut pas oublier qu’en France un  tiers des décès par suicide surviennent après 60 ans, soit 3000 à 4000 décès par an.

 

La présentation clinique dépressive peut être classique : patient triste ralenti exprimant un ras le bol de la vie, ou plus fréquemment atypiques suivant les symptômes qui vont prédominer.

 

  1. C’est le cas, par exemple, lorsque la plainte hypochondriaque est au premier plan, ce qui est particulièrement fréquent en gériatrie. Le mal être du patient va s’exprimer au travers d’une symptomatologie d’allure somatique. L’intrication avec de réelles pathologies organiques est alors fréquente. Il sera ainsi difficile de différencier une douleur d’angor et une anxiété avec sentiment d’oppression thoracique, une dyspnée chez un insuffisant respiratoire et un sentiment de gène respiratoire favorisé par son trouble dépressif… Pour nous aider dans le diagnostic il conviendra donc de rechercher d’autres symptômes en faveur d’une dépression. La liste des symptômes à rechercher a été décrite dans les définitions rappelées plus haut.

 

  1. Les dépressions « anxieuses » sont également fréquentes. Les symptômes dépressifs seront là mais « cachés » par une agitation anxieuse faussement rassurante. Au lieu d’avoir un patient passif replié sur lui-même on aura devant soi un patient qui bouge mais de façon inefficace, désordonnée.

 

  1. Les dépressions « hostiles » ; la dépression se présentera comme un trouble du caractère avec une irritabilité voire une agressivité à l’égard des autres.

 

  1. Les dépressions délirantes sont plus fréquentes que chez le sujet plus jeune, et ce même pour des dépressions d’intensités modérées. On retrouvera des idées d’incurabilité, de ruine. Un vécu persécutif sera présent, mais il aura une tonalité triste congruente à l’humeur…

 

 

Il conviendra de toujours rechercher une rupture par rapport à un état thymique antérieur, qui pourra faciliter le repérage du trouble dépressif.

 

Se pose également le problème spécifique de la démence. Les deux pathologies sont fréquemment retrouvées au grand âge. On risque donc de retrouver ces deux troubles chez un même patient. Les troubles démentiels débutants peuvent par ailleurs être à l’origine d’une réaction anxieuse voire d’un réel trouble dépressif et ce d’autant plus que le niveau d’anosognosie n’est pas trop élevé. On l’évoquera lorsque les plaintes cognitives semblent plus marquées sur les faits récents, lorsque les facteurs déclenchants du trouble dépressif sont difficiles à préciser, lorsqu’une certaine fluctuation des symptômes dépressifs est retrouvée…

 

 

Prise en charge thérapeutique

 

La prise en charge sera à la fois médicamenteuse et non médicamenteuse.

 

Le traitement médicamenteux classiquement comportera un antidépresseur. En première intention les Inhibiteurs de la recapture de la sérotonine (IRS) sont fréquemment utilisés. D’autres antidépresseurs peuvent être choisis en fonction de l’histoire clinique du patient et du profil d’effets secondaires du traitement. Ils devront être utilisés à dose efficace, dose efficace parfois atteinte par paliers pour s’assurer de la bonne tolérance du traitement. Les effets secondaires les plus fréquents des IRS sont les troubles digestifs, ainsi qu’un risque de survenue d’hyponatrémie par SIADH.

 

Les traitements antidépresseurs sont aussi efficaces chez le sujet jeune que chez le sujet âgé.

La durée du traitement antidépresseur sera de 6 mois s’il s’agit du premier épisode dépressif et d’un an minimum sinon. L’association avec un anxiolytique ou un hypnotique ne doit pas être systématique du fait d’un risque iatrogène élevé chez les personnes âgées.

 

Un suivi psychologique doit être proposé qui complétera efficacement le traitement médicamenteux. Il s’agira le plus souvent d’une psychothérapie de soutien qui aidera le patient à mieux comprendre sa maladie. Des interventions sur les aidants peuvent parfois être nécessaires.

 

Une réévaluation des aides à domicile sera effectuée pour maintenir au mieux le niveau nutritionnel et l’autonomie du patient.

 

L’hospitalisation s’imposera en cas de risque suicidaire élevé. Elle sera également proposée lorsqu’une perte d’autonomie physique importante sera objectivée ou lorsqu’un trop grand isolement social sera noté.

 

 

 

La dépression est une pathologie fréquente et sous diagnostiquée chez la personne âgée. Vu son impact sur l’autonomie, la qualité de vie et l’espérance de vie il convient de la prendre en charge précocement et de façon active même à un âge avancé.