Les douleurs abdominales de l'enfant
Pr Alain MARTINOT
Les douleurs abdominales sont un motif de consultation très fréquent chez l’enfant.
Leur grande majorité est fonctionnelle, en rapport avec des affections sans gravité.
Le risque est de méconnaître une urgence chirurgicale ou médicale à éliminer.
Les fréquences cardiaque et respiratoire doivent toujours être mesurées car polypnée et tachycardie sont constantes en cas d’urgence grave.
L’âge est un élément clé dans l’évaluation des douleurs abdominales (tableau).
· L’évolution dans le temps permet de différencier les douleurs récurrentes des aiguës.
· Plus la douleur est fixe et localisée, persistante et continue, et plus elle est éloignée de la ligne médiane, plus son étiologie organique est probable.
· Les douleurs peuvent être paroxystiques (invagination intestinale aiguës (IIA), lithiase urinaire), de début particulièrement brutal (douleur de début « horaire » de l’IIA), d’évolution naturellement migratrice (douleur de l’appendicite aiguë d’abord péri ombilicale puis localisée en fosse iliaque droite), ou projetées (pneumopathies, torsion de cordon spermatique).
· Les caractères de la douleur et sa localisation sont difficiles à préciser chez l’enfant de moins de 5 ans, a fortiori chez les moins de 2 ans.
Aucun examen complémentaire n’est systématique.
· Les indications de la radiographie d’abdomen sans préparation de face (ASP) doivent être limitées à la recherche de niveaux hydro-aériques, d’un pneumopéritoine, d’un corps étranger ou de calcifications (lithiases ou stercolithe).
· Il n’y a donc aucune indication d’ASP en pratique ambulatoire.
· L’échographie abdominale est essentielle en cas de suspicion d’IIA, de complications d’un mésentère commun ou de pathologie annexielle, et peut aider au diagnostic d’appendicite après avis chirurgical.
· La radiographie de thorax est indiquée en cas de polypnée, signe essentiel, de douleur thoracique associée, surtout s’il existe une fièvre. Les pneumopathies représentent 2 % des douleurs abdominales aux urgences. Des signes respiratoires (toux et surtout polypnée, anomalies auscultatoires) et une fièvre orientent vers ce diagnostic.
Le tableau présente les différentes étiologies en fonction de l’âge et de la gravité.
· Le diagnostic d’appendicite est d’autant plus difficile que l’enfant est jeune, notamment avant 3 ans où le diagnostic est presque toujours fait au stade de péritonite (tableau d’occlusion fébrile ou de sepsis). Un taux de leucocytes et de CRP normaux n’élimine en rien l’appendicite. En cas de doute, la surveillance clinique et un nouvel examen quelques heures plus tard par un chirurgien constituent les moyens diagnostiques les plus performants.
· Une occlusion intestinale est le premier diagnostic à évoquer chez tout nourrisson ayant des vomissements « verts » et chez tout enfant ayant des antécédents d’intervention chirurgicale abdominale « attention aux balafrés de l’abdomen »
· Les seules urgences gynécologiques se révélant par des douleurs abdominales sont la torsion d’annexe saine ou pathologique, le saignement intra-kystique, et la grossesse extra-utérine.
· La torsion testiculaire est une des seules urgences urologiques avec le traumatisme testiculaire. La palpation du testicule est difficile car douloureuse. Aucun signe clinique n’est pathognomonique: le testicule est ascensionné, le scrotum parfois œdématié, le cordon douloureux, le réflexe crémastérien parfois aboli. Aucun examen complémentaire ne doit retarder l’exploration chirurgicale effectuée au moindre doute.
· Le diagnostic de constipation est trop souvent évoqué devant une douleur abdominale alors qu’il n’en représente que 2 à 7 % des étiologies. Les selles sont peu fréquentes (moins de 1/jour chez le petit nourrisson, moins de 2/semaine chez l’enfant plus grand), et surtout dures, difficiles à émettre, éventuellement accompagnées de rectorragies. La douleur abdominale ne doit être rattachée à une éventuelle constipation que quand les autres causes organiques ont été éliminées. L’ASP n’est d’aucune utilité au diagnostic de constipation.
· Les causes fonctionnelles sont les plus fréquentes. Les arguments en faveur d’une cause fonctionnelle sont : l’absence de fièvre, de diarrhée, de vomissements, l’absence de retentissement sur le poids, les bénéfices secondaires apportés par la douleur à l’enfant, et surtout l’absence de cause organique. Des examens complémentaires limités (recherche d’un syndrome inflammatoire, d’une infection urinaire ici absents) et non invasifs (échographie en dehors de l’urgence) seront effectués uniquement dans un second temps et en cas de persistance d’une anxiété importante des parents et/ou de l’enfant.
Cas du Nourrisson
· Le nourrisson ne peut exprimer verbalement sa douleur qui doit être reconnue devant des pleurs anormaux, une attitude figée, une tachycardie et/ou polypnée.
· Son origine abdominale peut être suspectée devant : des antécédents ou une cicatrice de chirurgie abdominale, la position du nourrisson (hanches fléchies), une anorexie (refus du biberon), des vomissements (bilieux), une diarrhée ou une absence de selles, une décoloration des selles et/ou des urines foncées, des signes fonctionnels urinaires.
· L’urgence est à la reconnaissance d’un choc devant une tachycardie, une polypnée, et des signes de vasoconstriction cutanée.
· L’inspection à distance du nourrisson est essentielle, notamment après 9 mois compte tenu du risque de provoquer les pleurs, et de perdre ainsi la possibilité de recueil de nombreux critères de gravité. On apprécie le teint (pâle ou gris en cas de sepsis ou d’hypovolémie), la mobilité spontanée (psoïtis, attitude antalgique), la respiration (polypnée de pneumopathie, hyperpnée d’acidose), le volume et la mobilité de l’abdomen avec la respiration (polypnée superficielle lors des péritonites),
· Une pyélonéphrite, une pneumopathie, une méningite doivent être suspectées devant tout nourrisson geignard et fébrile.
· Une invagination intestinale aigüe (IIA) doit être suspectée devant une douleur paroxystique avec refus du biberon, une occlusion sur bride en cas d’antécédent de chirurgie abdominale. La triade « crises douloureuses paroxystiques, vomissements et émission de sang par l’anus » est très évocatrice d’IIA, mais n’est présente que dans 25 % à 50 % des cas. Les formes à symptomatologie incomplète sont fréquentes et il existe des formes trompeuses avec signes neurologiques au premier plan : hypotonie, prostration ou convulsions. Toute suspicion d’IIA justifie en premier lieu une échographie dont la valeur prédictive négative est proche de 1.
· L’examen des orifices herniaires et des organes génitaux externes est systématique à la recherche d’une hernie inguinale, d’une hernie de l’ovaire ou d’une torsion de testicule. La hernie inguinale n’est une urgence qu’en cas d’étranglement. La tuméfaction inguinale n’est plus réductible, est dure, tendue, douloureuse : l’enfant présente un tableau d’occlusion du grêle. Il existe de plus un risque de souffrance testiculaire important. Une réduction ne doit pas être tentée sui une hernie de l’ovaire est suspectée.
Tableau : Etiologies des douleurs abdominales aiguës en fonction de l’âge et de la gravité
< 2 ans |
2 à 5 ans |
5 à 12 ans |
> 12 ans |
Causes graves ne devant pas être méconnues (classées par ordre de gravité puis de fréquence) |
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- invagination intestinale - hernie étranglée - volvulus du grêle - traumatisme - appendicite, péritonite - pneumopathie - pyélonéphrite - acidocétose diabétique - crise drépanocytaire |
-invagination intestinale - hernie étranglée - volvulus du grêle - appendicite, péritonite - traumatisme -acidocétose diabétique -myocardite, péricardite - crise drépanocytaire - hépatite |
- appendicite, péritonite - volvulus du grêle - invagination intestinale - traumatisme - torsion d’annexe -torsion cordon spermatique - acidocétose diabétique - myocardite, péricardite - crise drépanocytaire - hépatite |
- appendicite, péritonite -torsion cordon spermatique - grossesse extra-utérine - torsion d’annexe - traumatisme - acidocétose diabétique - myocardite, péricardite - crise drépanocytaire - hépatite |
Causes fréquentes |
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- gastroentérite - constipation - adénite mésentérique - coliques (<3 mois) |
- gastroentérite - pneumopathie, asthme - infection urinaire - constipation - adénite mésentérique |
- gastroentérite - pneumopathie, asthme - infection urinaire - constipation - adénite mésentérique - causes fonctionnelles |
- gastroentérite - pneumopathie, asthme - infection urinaire - constipation - adénite mésentérique - dysménorrhée, ovulation - causes fonctionnelles |
Causes plus rares |
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- intoxications |
- purpura rhumatoïde - cholécystite, pancréatite - intoxications - tumeurs |
- purpura rhumatoïde - lithiase urinaire - ulcère gastroduodénal - cholécystite, pancréatite - intoxications - tumeurs |
- purpura rhumatoïde - orchiépididymite - lithiase urinaire - ulcère gastroduodénal - cholécystite, pancréatite - intoxications - tumeurs |