Repérage précoce et interventions brèves en alcoologie
Dr Anne-Françoise HIRSCH
Les médecins généralistes (MG), choisis librement par les patients, ont (souvent à leur insu) un rôle de référent pour tout ce qui concerne leur santé. Ils sont garants du capital santé des personnes qu’ils reçoivent.
La prise en charge de la problématique alcool, le plus souvent centrée sur l’accompagnement du patient alcoolique, est souvent compliquée et chronophage.
Le concept de RPIB concerne « Monsieur tout le monde » et vise à faire prendre conscience du risque alcool avant que les dommages n’apparaissent.
L’obstacle à une pratique de repérage tient plus souvent aux inhibitions du médecin qu’aux réticences du malade.
L’intervention brève désigne une activité de conseil formalisée et relativement standardisée, destinée à aider les buveurs excessifs à réduire leur consommation.
Quand repérer ?
Le repérage précoce est un état d’esprit plus qu’un acte technique. Il doit être réalisé de façon systématique sans à priori alors que le repérage ciblé permet de reconnaître les buveurs excessifs porteurs d’un dommage non spécifique lié à leur consommation.
Situations pouvant suggérer une consommation excessive d’alcool
Troubles sociaux · Difficultés conjugales · Difficultés scolaires des enfants · Problèmes financiers chroniques · Licenciements multiples, absentéisme · Condamnation pour conduite en état d’alcoolisation · Violence intrafamiliale · Désinsertion sociale Troubles psychiques et comportementaux
Plaintes somatiques
Signes cliniques
Signes biologiques
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Comment repérer ?
L’utilisation d’un questionnaire simple dont les questions ont été soigneusement étudiées permet le recueil de renseignements permettant de construire une intervention brève adaptée au patient. Le questionnaire FACE (Formule pour Apprécier la Consommation en Entretien) permet de repérer les consommateurs excessifs. Il a été conçu pour des MG et des médecins du travail.
Questionnaire FACE
• A quelle fréquence vous arrive-t-il de consommer des boissons contenant de l’alcool ? *
Réponses : « jamais », = 0
« Une fois par mois ou moins », = 1
« 2 à 4 fois par mois », = 2
« 2 à 3 fois par semaine », = 3
« 4 fois ou plus par semaine » = 4
• Combien de verres standards buvez-vous au cours d’une journée ordinaire où vous buvez de l’alcool ? *
Réponses : « un ou deux », = 0
« trois ou quatre », = 1
« cinq ou six » = 2
« sept à neuf », = 3
« dix ou plus » = 4
• Votre entourage vous a-t-il fait des remarques au sujet de votre consommation d’alcool ? **
• Avez-vous déjà eu besoin d’alcool le matin pour vous sentir en forme? **
• Vous arrive-t-il de boire et de ne plus vous souvenir ensuite de ce que vous avez pu dire ou faire ? **
• Pour ces trois dernières questions : non = 0, oui = 4
* 12 Mois ** Vie entière
Un score de 5 à 8 chez l’homme (4 à 8 chez la femme) est évocateur d’une consommation excessive (il s’agit d’un repérage mais pas d’un diagnostic)
Comment conseiller ?
L’objectif est de provoquer une prise de conscience, inciter à un changement de comportement, être suffisamment bref pour être systématique, être empathique (sans juger, ni moraliser), respecter le choix du patient.
Il faut toujours avoir à l’esprit que le changement de comportement appartient au patient.
L’intervention se fera suivant le schéma suivant :
Restituer en l’expliquant le test de repérage
Expliquer le risque alcool
Définir le verre standard (les doses « maison »)
Souligner l’intérêt de la réduction
Décrire les méthodes pour réduire sa consommation
Valoriser les compétences du patient
A la fin de la consultation :
Le MG propose des objectifs, laisse le choix :
le sujet décide des actions, des moyens, du calendrier…
Il donne la possibilité d’en reparler lors d’une prochaine consultation.
Pourquoi c’est difficile pour le MG ?
Parler d’alcool est un sujet tabou et le médecin pense qu’il pourrait perdre son patient.
Les MG ont appris à travailler selon une démarche basée sur l’observation (signes, diagnostic, traitement) Ils n’ont pas de reconnaissance pour les actes de prévention.
Beaucoup de médecins sont ou ont été des consommateurs excessifs.
Le déni déstabilise souvent les MG.
Il est difficile de gérer le temps nécessaire pour aborder la question lorsqu’elle n’est pas le motif exprimé de la consultation.
La notion d’entretien motivationnel (et des techniques de communication qui y sont associées) est peu connue des MG (en particulier les questions ouvertes). Elle permet de ne pas juger mais d’être aidant dans l’accompagnement de la motivation au changement de comportement de nos patients.
Il s’agit de coconstruire la décision thérapeutique.
Nous avons à être patients avec nos patients…
Ce sont eux qui décident …quand et comment ils vont (ou ne vont pas) changer.
En quoi c’est facile ?
La diffusion du RPIB à grande échelle est lancée en France depuis 2006 par les autorités sanitaires françaises. Elle correspond à une application du programme de l’Organisation mondiale de la Santé. Les niveaux de risque ayant été définis par l’OMS, l’information donnée au patient n’est pas vécue comme une attitude paternaliste du médecin mais comme un transfert de connaissance. C’est un des éléments qui donne à cette intervention sa spécificité.
Cette notion de repère n’est pas possible pour la cigarette et encore moins pour le cannabis.
Elle permet d’avoir un discours adapté à la réalité de notre pays où la convivialité est synonyme de partage d’alcool.
Cette proposition de gestion des consommations est bien sûr totalement inadaptée aux patients alcoolo-dépendants…
* :Médecin coordinateur du CSAPA du Versant Nord Est de la métropole lilloise géré par l’ANPAA e mail :