L'enfant hyperactif
Professeur Pierre DELION
Service de pédopsychiatrie
Hôpital Fontan
CHRU de Lille
59037 LILLE Cedex
L’instabilité psychomotrice de l’enfant est un symptôme qui prend place dans différents tableaux cliniques. Aujourd’hui, cette pathologie peut être décrite de deux manières différentes, non pas tant sur le plan des signes cliniques qui se retrouvent dans les deux approches, que sur le plan de la perspective nosographique qui la sous-tend. Nous procèderons, par souci de rendre compte de ces deux mouvements différents, en commençant par ce qu’il est convenu d’appeler l’hyperactivité ou hyperkinésie et les troubles déficitaires de l’attention, puis nous poursuivrons par l’abord de la perspective classique historique de l’instabilité psychomotrice.
CLINIQUE
Nous avons actuellement trois grands systèmes de classifications : la Classification Française des Troubles Mentaux de l’Enfant et de l’Adolescent (CFTMEA), la Classification Internationale des Maladies (CIM10) et le DSM IV. Dans les deux premières elle prend sa place comme « hyperkinésie » et dans la troisième comme hyperactivité avec déficit de l’attention et éventuellement impulsivité.
Classification française des troubles mentaux de l’enfant et de l’adolescent
Hyperkinésie, instabilités psychomotrices (6.08)
Cet ensemble est caractérisé par :
Sur le versant psychique : des difficultés à fixer l’attention, un manque de constance dans les activités, et un certain degré d’impulsivité
Sur le plan moteur : une hyperactivité ou une agitation motrice incessante.
Ces troubles, en décalage net par rapport à l’âge et au niveau de développement mental de l’enfant, sont plus importants dans les situations nécessitant de l’application, en classe par exemple. Ils peuvent disparaître transitoirement dans certaines situations, par exemple en relation duelle ou dans une situation nouvelle. Inclure : les troubles de l’attention sans hyperactivité motrice proprement dite. Exclure : l’activité excessive adaptée à l’âge (chez les petits enfants notamment) ; l’instabilité psychomotrice liée à un déficit mental ou à des troubles de la personnalité ; les manifestations à type d’excitation maniaque.
CIM 10
Troubles hyperkinétiques : ensemble de troubles caractérisés par : un début précoce ; l’association d’une activité excessive et désorganisée, d’une inattention marquée et d’un manque de persévérance dans les tâches ; la présence de ces caractéristiques comportementales dans de nombreuses situations et leur caractère persistant (F. 90).
Quatre sous groupes :
F.90.0 : perturbation de l’activité et de l’attention « quand l’ensemble des critères du trouble hyperkinétique (F. 90) sont réunis alors que ceux de F. 91 (troubles des conduites) ne le sont pas. »
F. 90.1 : troubles hyperkinétiques et troubles des conduites « quand l’ensemble des critères du trouble hyperkinétique (F. 90) et l’ensemble des critères d’un trouble des conduites (F. 91) sont simultanément présents. »
F. 90.8 : autres troubles hyperkinétiques
F. 90.9 : troubles hyperkinétiques sans précisions
DSM IV
Troubles Hyperactivité avec Déficit de l’Attention (THADA)
- Présence soit de (1), soit de (2) :
(1) six des symptômes suivants d’inattention (ou plus) ont persisté pendant au moins six mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de développement de l’enfant :
(a) souvent, ne parvient pas à prêter attention aux détails, ou fait des fautes d’étourderie dans les devoirs scolaires, le travail ou d’autres activités
(b) a souvent du mal à soutenir son attention au travail ou dans les jeux
(c) semble souvent ne pas écouter quand on lui parle personnellement
(d) souvent, ne se conforme pas aux consignes et ne parvient pas à mener à terme ses devoirs scolaires, ses tâches domestiques ou ses obligations professionnelles
(e) a souvent du mal à organiser ses travaux ou ses activités
(f) souvent évite, a en aversion, ou fait à contrecœur les tâches qui nécessitent un effort mental soutenu (comme le travail scolaire ou les devoirs à la maison)
(g) perd souvent les objets nécessaires à son travail ou à ses activités (jouets, cahiers de devoirs, crayons, livres ou outils)
(h) souvent, se laisse facilement distraire par des stimuli externes
(i) a des oublis fréquents dans la vie quotidienne
(2) six des symptômes suivants d’hyperactivité-impulsivité (ou plus) ont persisté pendant au moins six mois, à un degré qui est inadapté et ne correspond pas au niveau de développement de l’enfant :
Hyperactivité
(a) remue souvent les mains ou les pieds, ou se tortille sur son siège
(b) se lève souvent en classe ou dans d’autres situations où il est supposé rester assis
(c) souvent, court ou grimpe partout, dans des situations où cela est inapproprié
(d) a souvent du mal à se tenir tranquille dans les jeux ou les activités de loisir
(e) est souvent « sur la brèche » ou agit souvent comme s’il était « monté sur ressorts »
(f) parle souvent trop
Impulsivité
(g) laisse souvent échapper la réponse à une question qui n’est pas encore entièrement posée
(h) a souvent du mal à attendre son tour
(i) interrompt souvent les autres ou impose sa présence
Certains des symptômes d’hyperactivité-impulsivité ou d’inattention ayant provoqué une gêne fonctionnelle étaient présents avant l’âge de 7 ans
- Présence d’un certain degré de gêne fonctionnelle liée aux symptômes dans deux, ou plus de deux types d’environnement différents
- On doit mettre clairement en évidence une altération cliniquement significative du fonctionnement social, scolaire ou professionnel
- Les symptômes ne surviennent pas exclusivement au cours d’un Trouble envahissant du développement, d’une Schizophrénie ou d’un autre Trouble psychotique, et ils ne sont pas mieux expliqués par un autre trouble mental (Trouble thymique, anxieux, dissociatif ou de la personnalité)
Description clinique[2]
Mais la clinique ne peut se réduire à cette description photographique des symptômes apparents de l’enfant. Il est nécessaire de l’aborder aussi d’une façon dynamique, avec l’idée que cette description doit permettre d’accéder en profondeur à cet enfant en souffrance psychique.
Instabilité motrice
C’est un enfant qui a la bougeotte et dont le comportement moteur est l’élément prévalent de la description qu’en font les parents et que constate le clinicien qui le reçoit dans son bureau de consultation. Il est très rapidement « en mouvement », conduit par une logique qu’il n’exprime pas habituellement avec le langage, et qui l’amène très vite à être non pas le sujet, mais l’objet de réprimandes de ses parents pendant la consultation. Son comportement est rapidement commenté comme celui qu’ « il a tous les jours à la maison et à l’école » et pour lequel « il faut absolument faire quelque chose ». Sa fébrilité apparaît davantage lorsqu’on lui demande d’exécuter quelques tâches pour entrer en contact avec lui ou mieux connaître son niveau. Le dessin est bâclé, les crayons sont abîmés, le papier froissé, les réponses inappropriées à ce qui est demandé. Tout se passe comme si l’enfant avait continué à utiliser sa motricité comme un enfant qui vient d’acquérir la marche, avec un plaisir évident à la découverte du monde. L’immobilité n’est pas possible pour lui, et quand, à force de réprimandes et de discours moraux, les parents obtiennent un moment de répit, celui-ci ne dure que quelques instants, et le rythme effréné reprend ses droits ; l’enfant grimpe, saute sur les chaises, ouvre les tiroirs, claque les portes, s’enfuie dans le couloir ou la salle d’attente, transformant dans certains cas la consultation en une séance de psychomotricité avant l’heure. Cet enfant envahit l’endroit où il est reçu par son comportement moteur et sonore, et amène assez rapidement les interlocuteurs directs et indirects à intervenir par des mesures agies pour limiter ses débordements. Très souvent, cet enfant donne l’impression, pour peu qu’on veuille bien observer avec attention son comportement, d’être l’objet de deux tendances contradictoires, dont l’une est nettement prédominante sur l’autre, l’emportant dans ses tourbillons incessants ; toutefois, lorsqu’il est possible d’obtenir un répit, et d’habiter quelque peu ce moment d’accalmie en relation avec lui, il n’est pas rare de constater qu’il peut montrer une autre facette en lui que celle du personnage de l’instable psychomoteur, manifestant alors ainsi une demande d’aide pour obtenir un apaisement dont il peut nous montrer alors qu’il en souffre lui-même. La consultation se termine fréquemment avec un sentiment d’épuisement de la part des parents qui se demandent s’ils vont être aidés pour leur enfant, et également de la part du clinicien qui a ainsi eu le sentiment de partager avec cet enfant et ses parents une expérience pénible, difficilement échangeable et pour laquelle il lui faut toute son expérience pour savoir qu’une solution est envisageable, possible et à mettre en œuvre au plus tôt.
L’instabilité psychique
L’enfant est en permanence sollicité par le stimulus qui lui parvient de l’extérieur ; tout est prétexte à découverte, mais dans le même temps, tout est ainsi prétexte à changer en permanence d’investissement, dans un mouvement psychique ininterrompu. Son intérêt s’éparpille, son attention est labile et changeante, ses raisonnements intellectuels sont rendus difficiles par ces incessants changements. La pensée logique est difficile, même si à l’évidence, cet enfant est souvent intelligent. Les activités qui demandent une continuité dans le déroulement des tâches sont interrompues avant la fin, oubliées, perdues… Cette manière d’être-au-monde amène cet enfant à de graves difficultés scolaires ; plusieurs de ses comportements vont résulter de son instabilité psychique, notamment en ce qui concerne ses rapports avec les autres qu’il va entraîner dans son mouvement perpétuel, selon une dynamique qui devient rapidement conflictuelle avec ses pairs et avec les adultes, l’amenant à se retrouver souvent en position de bouc émissaire.
Autres symptômes
L’angoisse dite psychomotrice
Dans les situations génératrices d’angoisse, d’insécurité, l’enfant va réagir par une augmentation de l’activité motrice, symptôme et défense contre cette angoisse. Il peut s’agir de différentes situations : séparation, tensions ou conflits intrafamiliaux, survenue d’une maladie physique etc.…En retour, le praticien expérimenté pourra souvent inférer l’existence de ces différents problèmes encore inapparents lors de l’augmentation des angoisses psychomotrices.
L’affectivité : Agressivité et irritabilité. Labilité émotionnelle et hyperémotivité.
Le terme d’irritabilité est parfois employé. On peut le rapprocher de celui d’excitabilité et situer ces deux termes dans le registre du réactionnel : ces enfants réagissent vivement sur le plan affectif. On parle également d’impulsivité, terme qui marque la tendance à répondre immédiatement à une force intérieure, à l’opposé du réactionnel. La labilité de l’humeur peut faire passer l’enfant des pleurs aux larmes très rapidement. Ces différentes perturbations de l’affectivité peuvent être regroupées dans la mesure où ce sont des enfants dont l’affectivité, les émotions, l’humeur sont manifestement et immédiatement perceptibles pour l’examinateur. Ces enfants « extériorisent immédiatement leurs émotions dans leur comportement [3]».
Une grande difficulté à établir des relations stables avec les autres amène cet enfant à un vécu qui peut devenir hostile et aboutir à des manifestations d’agressivité plus ou moins importante. En tout état de cause, l’affect dépressif est un de ceux qui sont souvent présents dans la vie psychique de ces enfants.
Le faible investissement du langage
L’investissement très prévalent du psychomoteur par l’enfant l’a amené au cours de son développement, à communiquer avec autrui par le biais de messages comportementaux d’une façon quelquefois plus « efficace » que par le langage articulé dans une parole. On peut se demander si le schéma interactif auquel il a abouti avec les autres et notamment les adultes, être l’objet de paroles sur-moïques en permanence, ne l’amène pas plus à contre-investir le langage qu’à ne pas l’investir suffisamment. Ces éléments semblent très importants pour poser les indications thérapeutiques en fonction de la possibilité que le langage redevienne un moyen d’échanges envisageable ou non.
Une certaine vulnérabilité sur le plan somatique expliquerait la fréquence de l’énurésie, des épisodes infectieux, des possibles retards de croissance et les accidents à répétition.
L’examen psychomoteur : Bucher insiste sur « d’une part, la dispersion des résultats d’habileté manuelle, le caractère commun à toutes les épreuves qui sont faites trop vite et par saccades, et d’autre part, sur le sur contrôle fréquent chez ces enfants qui, exigeant beaucoup d’énergie, ne peut le plus souvent se maintenir, et cède alors la place à plus ou moins brève échéance, au comportement inverse.[4] »
Bergès distingue deux types d’enfants :
« Certains sont caractérisés par un état tensionnel : il sont des crampes fréquentes, des blocages respiratoires, un certain degré de paratonie et un sentiment intérieur de tension qu’ils peuvent parfois exprimer. L’hyperactivité ou l’instabilité est alors considérée comme une irruption due à la faillite momentanée, ou plus durable, du système tensionnel.
Les autres, les plus nombreux, sont au contraire hypotoniques, pâles, présentent des tendances lipotymiques, une hypersudation, sont incapables d’une activité coordonnée dans les limites d’un cadre donné. Bergès propose à leur sujet les termes de « déhiscence » ou d’ « incontrôle émotionnel », et considère l’instabilité comme une quête incessante de limites, tant physiques que sociales chez cet enfant qui est toujours dans les jambes, qui se cogne aux objets et dont le comportement appelle sans cesse la réprimande.[5] »
INSTABILITE PSYCHOMOTRICE
Le syndrome d’hyperactivité de l’enfant est décrit pour la première fois en 1854 par Hoffmann[6].
Bourneville décrit en 1897 les enfants débiles légers instables : « leur mobilité est exubérante, ils ne restent en place nulle part, se lèvent de table à chaque instant sans motif. S’ils jouent, ils passent rapidement d’un jeu à l’autre. Dans le service, ils se font remarquer par l’indifférence aux observations, la désobéissance et l’indiscipline, mais ils sont suggestibles et peuvent se soumettre aux personnes qu’ils aiment[7]. » C’est en s’intéressant particulièrement à une pédagogie de l’enfant instable qu’il note les traits sémiologiques qui lui sont propres : « mobilité intellectuelle et physique extrême, susceptibilité et irritabilité, penchants à la destructivité, besoin d’une surveillance continuelle, insouciance et négligence, suggestibilité et soumission aux personnes aimées »[8]
En 1898, Kraepelin décrit les psychopathes instables chez les adultes. Cependant, 5% d’entre eux sont âgés de dix à quinze ans.
En 1901, Demoor décrit l’instabilité mentale infantile sous forme de « chorée mentale ». Elle peut exister avec ou sans arriération mentale et elle « associe de façon variable un déséquilibre affectif, un excès d’expression des émotions, une ambivalence des réactions, un manque d’inhibition et d’attention, un besoin incessant de mouvement et de changement, si bien que les paroles et les gestes sont saccadés. »[9]
Dans leur livre paru en 1905 sur « Les anomalies mentales des écoliers », J. Philippe et G. Paul-Boncour traitent un chapitre sur « les écoliers instables ». Les « difficultés d’apprentissage de ces écoliers viennent de leur incapacité à fixer leur attention. Brillants en certaines branches de l’enseignement, ils sont nuls dans certaines autres. Ils montrent dans leurs aptitudes une déconcertante dysharmonie. »[10]
Pour Dupré, l’instabilité est l’une des manifestations dues au « déséquilibre moteur congénital »avec la débilité motrice qu’il définit ainsi : « état pathologique congénital de la motilité, souvent héréditaire et familiale, caractérisée par l’exagération des réflexes tendineux, la perturbation des réflexes plantaires, les syncinésies, la maladresse des mouvements volontaires et enfin par une variété d’hypertonie musculaire diffuse, en rapport avec les mouvements intentionnels et aboutissant à l’impossibilité de réaliser volontairement la résolution musculaire (paratonie)[11]. », le tremblement essentiel, la chorée, l’épilepsie, le bégaiement, les tics et les stéréotypies. L’instabilité associe une « agitation motrice continue » et une « incapacité d’attention ». Pour lui, l’instabilité est constitutionnelle et « révèle l’étroite association étiologique et clinique des deux déséquilibres mentaux et moteurs »[12].
Heuyer, dans sa thèse de 1914 sur « Les enfants anormaux et les délinquants juvéniles », reprend les idées développées par Kraepelin en insistant sur la fréquence des « troubles du caractère et des instincts moraux chez les enfants instables alors que la débilité mentale est, contrairement au point de vue de Bourneville, loin d’être une constante chez ces enfants ». Heuyer est le premier auteur français à parler de l’instabilité de l’enfant comme d’un syndrome en raison de l’association d’un certain nombre de symptômes : défaut d’attention ou instabilité mentale, hyperactivité, comportement pervers avec incorrigibilité. »[13]
En 1923, Vermeylen divise l’étude des débiles en deux catégories, celle des harmoniques et des dysharmoniques. Dans cette deuxième population, il distingue les instables, les émotifs et les sots. Il considère alors l’instabilité comme « une fixation à un stade archaïque du développement, conservant comme lui la mobilité des impressions et des désirs, la dispersion de l’attention, la discontinuité dans les pensées et dans l’action, la versatilité des sentiments. »[14]
On peut dire avec Flavigny que Boncour, Heuyer et Vermeylen (1905, 1914 et 1923) « amènent à formuler l’hypothèse d’une dysharmonie dans l’évolution des fonctions de l’enfant instable.[15] »
H. Wallon[16] fait paraître en 1925 son fameux ouvrage sur l’enfant turbulent. Il propose une différenciation sémiologique précise, souligne le problème de maturité et aborde l’instabilité en termes non pas statiques mais dynamiques, sur le plan de la personnalité de l’enfant, suivi par Mâle et Abramson. Dans la reprise qu’il fait du problème de l’instabilité, Wallon, à partir de 214 histoires cliniques, va présenter une thèse principale portant sur les « Stades et troubles du développement psychomoteur et mental chez l’enfant », et une thèse complémentaire sur « L’enfant turbulent, recueil d’observations ». C’est dans cette seconde partie qu’il va se consacrer à l’étude des syndromes psychomoteurs, voie déjà ouverte par Dupré, Homburger, Gourevitch…Son principe va consister à grouper les divers troubles moteurs en fonction des différents centres nerveux qui les produisent et à en chercher des corrélations avec les perturbations psychiques. Il retiendra quatre syndromes en référence à ces critères. Le premier, le syndrome d’asynergie motrice et mentale est en rapport avec des signes d’insuffisance cérébelleuse, et donne la motilité et la mentalité asynergiques. Le second, ou syndrome psycho-moteur d’hypertonie, est en lien avec les pathologies sous corticale et mésencéphalique, et produit la motilité et la mentalité hypertonie-chorée. Le troisième, syndrome d’automatisme émotivo-moteur, découle de la pathologie opto-striée, et Wallon la met en rapport avec la perversité, décrite pour une part comme « conséquence psychique de la simple incontinence opto-striée ». Enfin, le quatrième, le syndrome d’insuffisance frontale, souligne les liens cliniques entre « l’insuffisance frontale et le psychisme de l’enfant ». Ces quatre syndromes ont en commun de comporter une instabilité importante. Puis quelques années plus tard, Wallon retiendra trois classes d’enfants instables : les enfants instables asynergiques, épileptoïdes, et subchoréïques. Pour cet auteur, l’enfant instable se caractérise par un arrêt du développement psychomoteur à un niveau variable suivant les cas. Le trouble psychomoteur n’épuise pas la psychopathologie infantile, mais dans la mesure où le développement psychomoteur est l’unique et le premier instrument de l’enfant, sa signification en est d’autant plus importante. Tout en reconnaissant une grande importance aux facteurs de milieu dans ces différents syndromes, Wallon fonde toutefois sa classification sur un substratum neuro-anatomique.
Au contraire, Mâle, en 1932, pense que « l’instabilité n’est pas le fait d’un processus psychomoteur particulier. Selon lui, l’affectivité pathologique évoluerait à partir d’un état indifférencié fait d’instabilité et d’hyperémotivité vers des troubles de plus en plus différenciés et fixés, comme dans les caractères paranoïaques ou pervers[17]. »
En 1933, Santa de Santis restreint le champ de l’instabilité à l’âge infantile et la considère comme l’expression de conflits de la personnalité en formation.
En 1940, Abramson[18] considère dans son ouvrage « L’enfant et l’adolescent instables », que l’instabilité est l’expression d’un déficit ou d’un déséquilibre dans les trois domaines des aptitudes intellectuelles, motrices et affectives. L’instabilité résulte de la dysharmonie entre ces trois registres. Elle décrit également qu’il existe une instabilité normale et propre au jeune enfant (troisième année), ainsi que des périodes d’instabilité normale au début de la scolarité et à la puberté.
En 1942, Chorus décrit l’instabilité chez l’enfant, cet « être instantané », comme survenant sur une personnalité particulière dont l’agitation motrice et l’attention labile sont deux expressions cliniques du même trouble basal.
Puis, quelques années plus tard, Beley (1951), Bourrat, et Kiener (1954) vont proposer leurs contributions à ces recherches, en insistant sur les oppositions acquises et constitutionnelles qu’ils retrouvent dans les histoires des enfants étudiés, et particulièrement sur l’importance des conditions affectives et éducatives. Kiener décrira quatre types de comportements : opposition, démission, auto-accusation et auto-punition, et tente de les différencier des autres formes de turbulence que l’on retrouve chez l’enfant épileptique, hypomane ou pervers.
Toutes ces études ont ouvert la problématique du repérage nosographique et vont ainsi rendre possible l’approche psychodynamique.
C’est à partir de 1950 environ, que Lebovici aborde ces questions avec une visée psychopathologique freudienne et l’instabilité devient dès lors l’expression symptomatique d’un mode de fonctionnement du psychisme de l’enfant en interaction avec son environnement notamment familial, ou à défaut, justement, des carences quantitatives ou qualitatives de cet environnement.
Ajuriaguerra, dans son « Manuel de psychiatrie de l’enfant[19] », distingue deux formes : l’instabilité subchoréïque ou instabilité psychomotrice, et l’instabilité affectivo-caractérielle. La première se présente comme « un mode d’être moteur, consécutif à une incapacité de frein des mouvements avec tout ce que cela représente comme complaisance et comme contrainte. Ce mode d’être moteur, normal à une certaine période de la vie, devient pathologique lorsqu’il persiste. On peut le considérer jusqu’à un certain point comme constitutionnel, soit qu’il s’agisse d’un excès de besoin de mouvements, soit d’une incapacité à les inhiber. ». La seconde concerne les enfants hyperactifs dont les attitudes sont plus structurées et organisées, car « elles sont davantage en relation avec les situations du milieu dans lequel ils vivent et le développement de leur personnalité. Ils feraient plus que les précédents, preuve d’intentionnalité et de direction dans leur agressivité et leur impulsivité. Ce type d’instabilité doit être mis en rapport avec des désordres de l’organisation de la personnalité survenus à un âge précoce. ». Dans les deux cas, il y a pour Ajuriaguerra un désordre de la capacité d’identification. Désordre secondaire chez les premiers, primitif chez les seconds. Mais chez tous deux la manifestation psychomotrice de l’instabilité empêche ou perturbe les identifications ultérieures.
Pour Bergès, les instabilités sont sans doute « les manifestations de troubles psychomoteurs les plus rencontrés en clinique, et leur description n’aurait guère d’intérêt, si la sémiologie psychomotrice ne permettait d’apporter un éclairage sur leur sens, et donc le chemin à prendre pour aborder leur thérapeutique[20] ». Pour lui, cette symptomatologie semble très liée à une quête identificatoire à la puissance de l’adulte, sous la présence permanente du regard maternel.
Dugas[21] étudie les différences entre l’hypomanie et l’hyperactivité chez l’enfant. Il s’agit pour lui « de deux entités différentes dans lesquelles l’hyperactivité est présente dans les deux cas, tandis que les troubles de l’humeur (exaltation, euphorie, jovialité…) et les troubles intellectuels (logorrhée, fuite des idées…) caractéristiques des états hypomaniaques, sont absents chez les enfants hyperactifs »[22].
Cependant, Diatkine[23] et Denis, dans leur contribution au Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, insistent sur les aspects cliniques fréquents des instabilités psychomotrices dans l’étude des psychoses infantiles. En rappelant les études de M. Klein, ils reprennent les mécanismes de l’identification projective et des défenses maniaques, et concluent que l’instabilité majeure ne peut se distinguer de l’hypomanie facilement, sauf à perdre de vue l’importance des difficultés voire des impossibilités à élaborer la position dépressive de tels enfants.
Il est à noter les résultats des études[24] sur les familles de l’enfant instable avec « du côté maternel, une proximité des fantasmes de mort à l’égard du garçon, volontiers masqués derrière une attitude protectrice jouant alors comme une sollicitation incestueuse, et du côté paternel, un évitement de la relation entre père et fils, favorisé par l’attitude de la mère ayant tendance à ne pas supporter l’interférence du père dans la relation entre elle et l’enfant.[25] »
Enfin, il est intéressant de se souvenir des recherches de Balint[26] s’efforçant de formaliser le champ de cette relation duelle pré ou anobjectale qu’il appelle la « zone du défaut fondamental ». Se fondant sur le couple d’opposés dégagé par Imre Hermann à partir des observations des primates : « s’accrocher/partir à la recherche », il créé deux néologismes pour désigner deux attitudes fondamentales antinomiques : « le philobatisme et l’ocnophilie ». L’investissement porte sur des modes de sentir et de se mouvoir. Si l’ocnophile aime s’accrocher, s’agripper, le philobate aime bouger, marcher à l’infini, il investit le mouvement. Un autre membre de l’école de Budapest, Leopold Szondi[27] dialectisera ce « partir à la recherche » avec les formes élémentaires du vecteur « contact » dans le cadre plus général de ses recherches sur le « Destin des pulsions », pour en faire une variation de la structure dépressive.
HYPERKINESIE ET TROUBLES DEFICITAIRES DE L’ATTENTION
C’est en 1902 que Still propose d’expliquer les comportements excessifs et socialement inappropriés comme résultant de l’intervention d’un dysfonctionnement cérébral entraînant une perte de contrôle moral : le « Brain damage syndrom ».
« Hohmann-Kennedy emprunte le terme à la sémiologie neurologique de l’adulte en 1921 dans une étude sur les séquelles des traumatismes crâniens et des encéphalites de l’épidémie de Von Economo chez l’enfant. Mais c’est surtout dans les années 1930 que le terme apparaît appliqué spécifiquement à l’enfant : d’abord Lereder et Ederer qui décrivent un syndrome d’hypermobility neurosis of chilhood. Ils mettent l’accent sur l’examen neurologique qui met en évidence des signes extra-pyramidaux.[28] »
En 1937, « Bradley décrit un syndrome fait de troubles de l’attention, d’hyperactivité et de labilité émotionnelle sans déficit de l’intelligence, qu’il met sur le compte d’une lésion cérébrale probable. Il repère en outre un effet paradoxal de deux types de drogues : le trouble est aggravé par les barbituriques qui sont habituellement sédatifs, alors qu’il est amélioré par les amphétamines dont on aurait pu craindre qu’elles n’aggravent l’hyperactivité motrice »[29].
En 1947, Strauss et Lehtinen ajoutent aux troubles décrits par Bradley des désordres cognitifs et perceptivo-moteurs, objectivés par des tests ainsi qu’une inadaptation scolaire et familiale, pour définir le syndrome de « minimal brain injury » ou « lésion cérébrale a minima [30]».
Eisenberg, en 1957, décrit l’hyperkinésie comme un symptôme, un trouble du comportement qui se caractérise par une activité motrice exagérée et une dispersion de l’attention.
En 1962, Prechtl cherche à isoler un syndrome neurologique spécifique dans le groupe des enfants hyperkinétiques, le « syndrome choréiforme », défini par des mouvements anormaux associés à des signes neurologiques à l’examen. C’est à cette époque que le Groupe d’Etudes Internationales d’Oxford propose de substituer au terme de « lésion cérébrale a minima » celui de « dysfonctionnement cérébral minime », ce qui permet de ne pas disposer de preuves de lésions anatomiques.
Avec Barkley, on peut résumer l’évolution des idées dominantes en quatre périodes : « 1900-1960 : une lésion cérébrale (Brain damage) est responsable de troubles du comportement, et notamment du comportement hyperactif ; 1960-1969 : le déclin du dysfonctionnement cérébral mineur et l’âge d’or du syndrome de l’enfant hyperactif ; 1970-1979 : l’émergence des déficits de l’attention (Douglas, 1972) ; 1980-1989 : la création du syndrome « Trouble déficitaire de l’attention » (Attention Deficit Disorder), puis du Trouble déficitaire de l’attention/hyperactivité (Attention Deficit Hyperactivity Disorder ) »[31].
Comme le constate Dopchie, « la genèse du concept de syndrome hyperkinétique est donc indissolublement liée aux travaux sur les conséquences des lésions cérébrales chez l’enfant.[32] »
Références :
[1] Professeur de pédopsychiatrie, Faculté de médecine de Lille 2, Chef du service de pédopsychiatrie au CHRU de Lille.
[2] Cette description clinique s’est inspirée des travaux de Christian Mille, Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Ferrari, P., Epelbaum, C., dir., Flammarion, Paris, 1994, 203-204.
[3] Micouin, G., op. Cit. P.487.
[4] Bucher, H., Les problèmes psychomoteurs chez l’enfant, Expansion Scientifique Française, 1980.
[5] Bergès, J., Les troubles psychomoteurs chez l’enfant, in Lebovici, S., Diatkine, R., Soulé, M., Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, PUF, 1985, 2, 363-383.
[6] Hoffmann, H., Der Strunwelpeter: oder Lustige geschichten und drollige bilder, Leipzig, Verlag, 1854.
[7] Bourneville, DM., Le traitement médico-pédagogique des différentes formes de l’idiotie, in Duché, Histoire de la psy de l’enfant, p.216.
[8] id
[9] Duché DJ., Histoire de la psychiatrie de l’enfant, PUF, 1990, p216.
[10] Id, p.216.
[11] Dupré, E., Les déséquilibres constitutionnels du système nerveux, Baillères, Paris, 1919.
[12] Bercherie, P., Les fondements de la clinique, Seuil/Ornicar, Paris, 1980, 187.
[13] Duché, DJ., id, p.217.
[14] Duché, DJ., id, p.217.
[15] Flavigny, C., Psychodynamique de l’enfant instable, Psychiatrie de l’enfant, XXXI, 2, 1988, 454.
[16] Wallon, H., L’enfant turbulent, PUF, collection Quadrige, Paris, 1984.
[17] Mâle, P., La genèse des troubles du caractère chez l’enfant, Evol. Psychiatr., 1932, 3, 39-56.
[18] Abramson, J., L’enfant et l’adolescent instables, Alcan, Paris, 1940.
[19] Ajuriaguerra, J., Manuel de psychiatrie de l’enfant, Masson, Paris, 1973, 279-280.
[20] Bergès, J., Les troubles psychomoteurs chez l’enfant, Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Lebovici, S., Diatkine, R., Soulé, M., PUF, Paris, 1985, 366.
[21] Dugas, M., L’hyperactivité chez l’enfant, PUF, Paris, 1987.
[22] Malka, J., Réflexion à partir de la notion d’instabilité chez l’enfant, Thèse de médecine, Angers, 1999, p.26.
[23] Diatkine, R., Denis, P., Les psychoses infantiles, Traité de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, Lebovici, S., Diatkine, R., Soulé, M., PUF, Paris, 1985, 199.
[24] Mallarive, J., Bourgeois, M., L’enfant hyperkinétique. Aspects psychopathologiques, Ann. Médico-psychol., 1976, 1, 107-119.
[25] Flavigny, C., id. P.456.
[26] Balint, M., Notes critiques concernant la théorie des organisations prégénitales de la libido, Amour primaire et technique psychanalytique, Payot, Paris, 1973.
[27] Schotte, J., De l’école hongroise de psychanalyse à Szondi et à la psychiatrie d’aujourd’hui, Le contact, De Boeck, Bruxelles, 1990.
[28] Micouin, G., Boucris, JC., L’enfant instable ou hyperkinétique, Psychiatrie de l’enfant, XXXI, 2, 1988, 481.
[29] Malka, J., op. cit., p.27.
[30] Micouin, G., Boucris, JC., op. cit., p.481.
[31] Dugas, M., Hyperkinésie et troubles déficitaires de l’attention, Dictionnaire de psychopathologie de l’enfant et de l’adolescent, PUF, Paris, 2000, 327.
[32] Dopchie, N., Le syndrome hyperkinétique, Psychiatrie de l’enfant, 1968, 11, 2, 589-629.