Diarrhée chronique de l'adulte
Docteur Jean-François CLAERBOUT
La diarrhée chronique se définit par une émission de selles supérieure à 300 grammes pendant 24 heures et cela depuis plus de trois semaines.
Cette définition « officielle » n’est pas celle qu’utilisent nos patients : ils nous parlent d’une fréquence de selles importante, supérieure à leurs habitudes. Ils nous parlent d’un aspect de selles qui ne leur convient pas, car liquide ou mou.
En fait ce sont leurs plaintes, parfois réitérées qui nous amènent à envisager l’exploration de leur transit intestinal.
Plutôt que de chercher à affirmer la réalité de cette diarrhée, il faut dans un premier temps éliminer ce qui n’en est pas une, c’est-à-dire la « fausse diarrhée », symptôme fréquent, souvent méconnu du patient comme de son médecin. La fausse diarrhée correspond en fait à une traduction particulière de sujets constipés(ées) qui ont des exonérations fragmentées, incomplètes, fréquentes dans la journée, mais avec un colon, voire un rectum, empli de matières ne s’éliminant que de façon partielle, insuffisante, donnant ainsi l’illusion de selles fréquentes et d’aspect différent. Un interrogatoire attentif, la notion d’une constipation habituelle, parfois bien tolérée, se modifiant récemment à la faveur d’un blocage intestinal (accident, hospitalisation, médicament constipant) doivent permettre de redresser le diagnostic. Le toucher rectal, par la mise en évidence de matières (voire d’un fécalome) confirmera cette fausse diarrhée. Tout l’art de notre profession sera alors de convaincre ces patients(es) de l’existence de cette constipation, et de modifier leurs habitudes alimentaires et médicamenteuses contraires.
Il convient également de différencier une diarrhée chronique, d’une incontinence fécale difficilement avouée, justifiant alors d’une exploration ano-rectale sphinctérienne.
L’élimination de glaires rectales parfois déclarée comme « diarrhée » amènera à rechercher des lésions rectales tumorales ou inflammatoires.
D’abord deux aphorismes à avoir en tête en permanence :
- 90 % des causes des diarrhées chroniques sont coliques
- 80 % sont fonctionnelles
La démarche diagnostique s’effectue en trois étapes successives :
1- clinique :
l’enquête clinique initiale permet souvent d’évoquer l’étiologie et oriente les
examens complémentaires
2- morphologique (endoscopie, histologie, imagerie)
précède toute autre exploration en raison de sa rentabilité diagnostique
3- chimique : l’exploration des selles n’intervient que secondairement
Première étape clinique
L’interrogatoire est capital et permet d’éviter des examens inappropriés.
Caractères de la diarrhée :
état antérieur du transit
mode de début, évolution dans le temps
facteur déclenchant ou aggravant : aliment, médicament, événement de vie
jeûne, médicament
Evolution dans la journée :
une diarrhée chronique nocturne est souvent organique
une diarrhée matinale et post-prandiale est souvent motrice
Aspect des selles :
consistance, présence de sang, glaires, pus, aliments non digérés
Signes associés :
douleurs, ballonnement, vomissements
fièvre, signes cutanés, oculaires, articulaires
retentissement sur l’état général
Contexte général :
Familial : thyroïde, diabète, cœliaque, mici, polypes et tumeurs
Personnel : chirurgie, profil psy, médicaments, risque HIV
habitudes alimentaires, voyage à l’étranger
L’examen Clinique :
masse abdominale, douleur, hépatomégalie
examen proctologique : fissure, fistule, TR
peau, thyroïde, gg…
A l’issue de cette enquête initiale, méthodique, il est possible de répondre à 3 questions :
1 - s’agit-il d’une vraie diarrhée ?
2 - y a-t-il des signes qui orientent vers une démarche spécifique ?
antécédents de chirurgie digestive, de radiothérapie abdominale
contexte endocrinien
séjour en pays d’endémie parasitaire
médicament favorisant : faire une enquête quasi policière :
traitements cachés, occasionnels, inavoués, oubliés…
3 - faut-il passer à une deuxième étape stratégique ?
OUI : si la diarrhée est récente < 3 mois
modification brutale et inexpliquée du transit
sujet > 45 ans
éléments d’inquiétude : amaigrissement, hémorragie, fièvre
NON : on peut évoquer alors l’hypothèse de colopathie fonctionnelle
diarrhée ancienne, d’allure motrice, examen clinique normal
pas de retentissement sur l’état général, contexte général évocateur
on traite (antispasmodiques, lopéramide..),
on surveille et on évalue l’efficacité thérapeutique
Deuxième étape biologique et morphologique
3 objectifs : rechercher une cause parasitaire
une anomalie biologique infra clinique
une pathologie organique du colon
1- Examen parasitologique des selles
standard : lambliase, giardiase
adapté : si séjour en pays d’endémie ou HIV
la coproculture n’a ici aucun intérêt en dehors de la recherche particulière de Clostridium
si une colite post-antibiotique est évoquée
2- Examens biologiques « standard »
NF, VS, CRP, glycémie, protidémie, cholestérolémie,
K, Ca, ferritine, TSH
Ils permettront d’évoquer un syndrome inflammatoire, une hémorragie occulte
une malabsorption, une hyperthyroïdie…
3- La coloscopie avec iléoscopie éventuellement accompagnée de biopsies
objectivera une pathologie tumorale et /ou inflammatoire du colon
et sera complétée au cours de la même AG d’une endoscopie haute
avec biopsies duodénales (malabsorption)
A l’issue de cette deuxième étape,
on aura reconnu la grande majorité des causes des diarrhées
S’il n’y a pas d’anomalie biologique et morphologique,
l’hypothèse de colopathie fonctionnelle est vraisemblable :
on rassure, on traite et on surveille…
Troisième étape : chimique
F Exploration fonctionnelle… et étude du mécanisme de la diarrhée.
Si, comme dit plus haut, la coproculture n’a pas sa place, c’est ici que vient s’inscrire la recherche de graisses sur la totalité des selles de 3 jours, après régime de charge en lipides.
Au-delà de 5 à 7 gr de graisses par 24 heures, on parle de stéatorrhée.
Ce qui permet de distinguer :
- les diarrhées avec stéatorrhée :
par maldigestion d’origine bilio-pancréatique
par malabsorption d’origine intestinale
- les diarrhées hydroélectrolytiques sans stéatorrhée :
exsudatives lésionnelles : tumeurs, colites
osmotiques
sécrétoires
motrices
Maldigestion d’origine bilio-pancréatique
Un déficit enzymatique pancréatique, notamment en lipase, crée une insuffisance pancréatique, limitant la dégradation des grosses molécules lipidiques au niveau duodénal, et bloquant les possibilités d’absorption au niveau du grêle, d’où leur élimination fécale.
Etiologies : pancréatites chroniques, cancer du pancréas,
cholestases chroniques
la mucoviscidose.
Malabsorption d’origine intestinale
L’insuffisance d’absorption au niveau du grêle se manifeste par une stéatorrhée avec amaigrissement et signes de carence : glycémie, cholestérolémie, K, Ca, ferritine, TP, B12, folates…
Le diagnostic est affirmé par les biopsies duodénales per-endoscopiques, et l’exploration morphologique du grêle (vidéo capsule, entéroscanner, entéroscopie)
Etiologies : Lambliase
Maladie coeliaque : atrophie des villosités, Atc antitransglutaminase
Ttt : régime sans gluten
Anomalies anatomiques du grêle : résections, fistules, diverticules..
Maladie de Whipple : hypertrophie d’origine bactérienne des villosités
Ttt : antibiothérapie
Lymphome, sclérodermie, amylose, mastocytose, Waldmann
Maladie des chaînes α, lymphangiectasies…
(et autres causes exceptionnelles…)
Diarrhées osmotiques
L’ingestion de solutés de faible poids moléculaire peu ou pas absorbables provoque une hyperosmolarité du contenu fécal et un appel d’eau vers la lumière intestinale.
Cette dilution est à l’origine d’une diarrhée abondante : 500 à 1000 gr / 24 heures. Les selles sont mousseuses, irritantes.
Météorisme et flatulence sont provoqués par l’augmentation des acides organiques.
Cette diarrhée est améliorée par le jeûne et la réduction des ingestions osmotiques.
Etiologies : Laxatifs osmotiques: sulfate de Na
lactulose
Antiacides : Mg
Abus d‘Hydrates de Carbone : fermentation
Déficit en lactase, et autres sucrases (congénital ou acquis)
Sorbitol : chewing gum
Mannitol
Fructose : abus de jus de fruits
Diarrhées sécrétoires
par augmentation des sécrétions digestives qui dépassent les capacités de réabsorption.
Les selles sont alors liquides, aqueuses, diurnes et nocturnes
abondantes = 1litre / 24 h
associées à une hypokaliémie, une insuffisance rénale fonctionnelle
La diarrhée résiste au jeûne.
Etiologies : Laxatifs drastiques : anthraquinones, phénolphtaléines
Biguanides, colchicine
Lésions coliques hyper sécrétantes
tumorales : villeuses
inflammatoires : colites ulcérées, microscopiques
Vipome : Werner-Morisson (tumeur pancréatique)
Diarrhées motrices
Par accélération du transit, le test au carmin est inférieur à 8 heures.
Les selles sont nombreuses, impérieuses, matinales : réveille-matin, et postprandiales,
avec résidus alimentaires. Leur abondance est moyenne < 500 gr / 24 h, contrastant avec le nombre d’exonérations.
Cette diarrhée répond aux ralentisseurs du transit, et est améliorée et même stoppée par le jeûne.
Etiologies : Endocriniennes : Hyperthyroïdie : TSH
K médullaire Thyroïde : Thyrocalcitonine
Carcinoïde : Sérotonine, 5 HIAA urinaires
Zollinger-Ellison : Gastrine
➾ Chromogranine = tumeur endocrine hyper sécrétante
Octréoscan
Neurologiques : alcoolisme chronique
sympathectomie lombaire, vagotomie
neuropathie végétative du diabète
Anatomique : gastrectomie, résections du grêle, fistules
Diarrhée fonctionnelle idiopathique : 80 % des cas
Ce qu’il faut retenir
- 90% des diarrhées chroniques sont d’origine colique
- les causes des diarrhées chroniques sont très nombreuses mais le diagnostic étiologique est souvent facile, dès le bilan initial
- les diarrhées hydro électrolytiques sont plus fréquentes que les diarrhées par malabsorption
- les diarrhées hydro électrolytiques sont le plus souvent idiopathiques correspondant à la colopathie fonctionnelle mais il s’agit néanmoins d’un diagnostic d’élimination
- la maladie cœliaque est la malabsorption la plus fréquente
- il y a une cinquantaine d’étiologies possibles, mais 5 doivent être évoquées d’emblée
par leur fréquence, leur gravité ou leur facilité diagnostique :
Colopathie fonctionnelle
Tumeur colorectale
Diarrhée médicamenteuse : antibiotiques, laxatifs
Parasitose : giardiase
Crohn et RCH
Pratiques à privilégier
- un interrogatoire et un examen clinique complets et attentifs,
complétés par quelques examens biologiques simples
éviteront souvent bien des examens inutiles
- en l’absence d’éléments d’orientation, le bilan d’une diarrhée débute par
des examens morphologiques : iléo coloscopie endoscopie haute biopsies
- l’examen parasitologique des selles est utile
Pratiques à éviter
- l’examen fonctionnel de la digestion n’a aucun intérêt,
- en revanche, le dosage des graisses fécales peut-être utile secondairement
- la coproculture n’est pas utile
(sauf chez l’immunodéprimé ou pour rechercher un clostridium)
- la maladie cœliaque est la malabsorption la plus fréquente
- il y a une cinquantaine d’étiologies possibles, mais 5 doivent être évoquées d’emblée
par leur fréquence, leur gravité ou leur facilité diagnostique :
Colopathie fonctionnelle
Tumeur colorectale
Diarrhée médicamenteuse : antibiotiques, laxatifs
Parasitose : giardiase
Crohn et RCH