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L'Insuffisance Rénale Chronique (IRC), la néphroprotection.


 

Professeur Christian NOEL

Clinique de néphrologie

CHRU de Lille

59037 LILLE CEDEX

 

Prolégomènes à toute métaphysique rénale

(Néphroprécaution et néphrovigilance et néphroprotection)

 

Pour un médecin, protéger le rein fait à présent partie de ce qu’il est convenu d’appeler « les bonnes pratiques cliniques ». Que veut dire protéger le rein ? Dans le nouveau langage conceptuel, cela correspond à prévenir les phénomènes de « réduction néphronique ». Pas si simple ou alors très ambitieux voire prétentieux puisque nous n’en sommes pas à ralentir le vieillissement, même si certains osent l’annoncer. L’allongement de la durée de vie est un phénomène autre qui intègre en fait plusieurs choses dont la qualité de l’environnement, la diminution de la pénibilité au travail, la prévention des maladies infectieuses, la diminution de la mortalité périnatale… la prévention par la tentative sociétale et devenue moraliste de diminuer les facteurs de risque cardio-vasculaires. Tout cela aboutit à l’allongement de la durée de vie et à l’apparition de nouvelles maladies comme le cancer et la démence d’Alzheimer qui font partie à présent de notre environnement quotidien. L’insuffisance rénale chronique fait partie de notre environnement quotidien également puisque de rare, elle est devenue fréquente, dans le même contexte d’une population vieillissante qui a accumulé les conséquences de l’angiosclérose, intégrant le diabète de type 2 comme phénomène étiopathogénique. En vieillissant, les reins, comme les autres organes, s’altèrent et, pour limiter ses conséquences, il s’agit de les protéger d’un certain nombre d’agressions. Un des problèmes est que l’on a oublié à quoi servent les reins. Aussi bizarre que cela puisse paraître, si l’on sait à quoi servent le cœur, le cerveau, le foie, les muscles etc.… n’avons-nous pas oublié à quoi servent les reins ? La première réponse classique est de répondre « à épurer les déchets azotés ». Cette expression très savante reste vraie évidemment mais donne à cet organe double une image de vulgaire station d’épuration qui n’a pas la noblesse du cœur qui depuis l’antiquité est le centre de toute vie, ou du foie merveilleuse usine productrice de toutes nos substances internes de vie.

Pourtant, sans les reins, on ne tiendrait pas debout et les mammifères, par exemple, ne pourraient pas chasser ou rechercher leur nourriture. Nous serions comme des misérables vautrés en permanence sur le sol, la proie de n’importe quel prédateur, incapables de nous accoupler et de nous reproduire. Les prédateurs étant également dépendant d’une fonction rénale, rassurez vous, il n’y aurait pas non plus de prédateur, bref il n’y aurait pas de vie.

Mais qu’est-ce donc que cette noble fonction rénale qui nous permet de tenir fiers et gaillards. C’est tout simplement le maintient de la volémie, indispensable pour se tenir debout et pour lutter contre la loi de gravitation universelle. Et oui, nous habitons sur une planète et sommes soumis à cette loi. Or, la volémie dépend du bilan hydrosodé, c'est-à-dire de l’eau et du sel, éléments fondamentaux de notre environnement planétaire (3/4 de la surface de la terre sont des océans). La volémie c’est l’eau et le sel ensemble. En effet, il faut différencier le bilan de l’eau libre, non liée au sel, régulé par la soif mais également notre noble rein qui règle l’excrétion de l’eau libre pour ne pas passer notre temps si précieux à boire des litres d’un liquide devenu si précieux également. Notre vie, avec toutes ses fonctions cellulaires, dépend également de notre équilibre osmotique, la concentration en eau.

Pour maintenir notre volémie, nous absorbons par voie digestive, à travers l’alimentation et les boissons, une certaine quantité d’eau et de sel. Le rein va réguler l’excrétion d’eau et de sel afin de maintenir la volémie dont les stigmates cliniques les plus évidents sont l’évolution du poids et de la pression artérielle (PA). Cette excrétion d’eau et de sel, à travers les urines est donc fondamentale. En ambiance d’inflation hydrosodée, il est logique d’imaginer que la quantité d’urines, et donc de sel lié à l’eau, va être augmentée. L’inverse se produit en ambiance de déplétion sodée, la diurèse se réduit pour conserver la volémie et …nous permet de tenir debout.

Lorsque les reins fonctionnent normalement (alors que l’excrétion hydrosodée se régule dans le temps par ce qu’on ne peut pas passer sa vie à uriner), si l’ingestion d’eau et de sel est importante alors que l’on fonctionne en relatif « circuit fermé », le niveau de PA va progressivement augmenter. En déplétion sodée, le rein va diminuer l’excrétion urinaire d’eau et de sel pour tenter de rétablir la volémie. S’il n’y parvient pas, la PA baisse, la station debout peut devenir difficile et finalement le  rein va souffrir car il ne pourra pas maintenir une pression de filtration suffisante pour assurer ses autres missions. C’est l’insuffisance rénale fonctionnelle. C’est donc bien la quantité de sel dans les urines qui est importante à considérer, cette excrétion urinaire de sel étant obligatoirement diluée dans une certaine quantité d’eau, vecteur de cette substance dissoute dans l’urine. Physiologiquement, en état d’hypervolémie, la quantité d’eau et de sel dans les urines sera importante. En état d’hypovolémie, la quantité de sel et d’eau sera diminuée. N’oublions pas que de façon simultanée, le rein devra maintenir l’équilibre osmotique et, recevant le message grâce à la production d’ADH, il régulera en même temps la quantité d’eau à excréter, pour maintenir une osmolalité viable, par une excrétion d’eau libre à un autre niveau du tubule urinaire.

 

Outre les différentes variations de l’environnement et de l’alimentation, nous intervenons tous les jours avec notre arsenal thérapeutique en modifiant les mécanismes qui nous permettent une bonne régulation hydrosodée. De plus, en vieillissant et en ayant accumulé les agressions vasculaires, nos reins n’ont plus la même capacité à réguler notre volémie ou notre capacité d’excrétion d’eau libre. Il parait donc important de savoir « comment çà marche » pour prendre conscience du danger et adapter nos interventions à bon escient.   

 

L’adaptation de l’excrétion urinaire d’eau et de sel se fait par la régulation de l’hémodynamique intra rénale. Pour le rein, le message indicateur de la volémie est le niveau de pression artérielle à ce niveau. Au niveau glomérulaire, portion initiale de l’unité néphronique, il existe un filtre (la barrière glomérulaire) qui va laisser passer une certaine quantité d’eau et de sel pour former l’urine dite primitive qui se retrouve dans le tube urinaire proximal. La PA en amont, au niveau de l’artère afférente, va déterminer un certain niveau de pression de filtration, ainsi que le niveau de vasoconstriction au niveau de l’artère efférente qui, si elle augmente, va augmenter le niveau de pression intra glomérulaire. Il existe un jeu incessant de vasoconstriction/vasodilatation à l’afférence et l’efférence (pour maintenir un niveau de pression de filtration glomérulaire et donc, la formation d’urine primitive). Ce système est maintenu par les prostaglandines et l’angiotensine. On comprend donc qu’un organisme imprégné de thérapeutiques anti-prostaglandine ou anti-angiotensine va avoir du mal à adapter son hémodynamique intra rénale et donc son excrétion hydrosodée, notamment lorsqu’il en aura besoin, c'est-à-dire en situation de déplétion sodée. N’oublions pas que les premiers produits inhibiteurs de l’enzyme de conversion ont été découverts dans les venins de serpent du désert. Pour manger leurs proies favorites (petits rats du désert) les serpents utilisent leur venin qui les immobilise. En effet, compte tenu de l’environnement, ces petits rats du désert ont un système d’économie d’eau et de sel extrêmement performant avec une hémodynamique intra rénale maintenue en permanence activée par l’angiotensine. Sans angiotensine, plus de volémie et ils se vautrent lamentablement dans le sable à la merci de leur prédateur.

 

Néphroprécaution.

Ainsi donc, toutes les mesures de « vigilance rénale » seront établies par l’attention sophistiquée que l’on doit porter à l’équilibre hydrosodé des patients chez qui l’on utilise des thérapeutiques modifiant l’hémodynamique intra rénale (IEC, ARA 2, AINS, bétabloquants) surtout en ambiance de déplétion sodée, évènementielle ou thérapeutique (diurétiques), qui plus est chez des patients fragilisés par la vieillesse et/ou les maladies cardio-vasculaires. 

 

Le plus étonnant est que les néphrologues recommandent eux-mêmes l’utilisation de ces venins de serpent pour prévenir l’hyperfiltration glomérulaire, source de sclérose glomérulaire. C’est la prévention de cette fameuse pathologie de réduction néphronique (néphroprotection) qui va limiter la pression de filtration et la protéinurie, source de vieillissement rénal prématuré.

O tempora O mores

 

PS : Pour surveiller la volémie (état d’hydratation extra-cellulaire) d’un patient nous disposons de moyens très sophistiqués des temps modernes : la pesée (pèse-personne) et la pression artérielle (tensiomètre).