Coeur et sport



Dr Cécile DEFRANCE

 

La pratique régulière d’une activité physique est globalement bénéfique en terme de morbi-mortalité : Elle diminue de 35% la mortalité cardio-vasculaire et de 33% la mortalité toutes causes1. Cependant, au moment-même de la pratique du sport, l’individu soumet son système cardio-vasculaire à des contraintes hémodynamiques inhabituelles, parfois majorées par le stress (compétition) et/ou par des conditions météorologiques défavorables. Cette situation de contrainte multifactorielle favorise la révélation d’une cardiopathie méconnue jusqu’alors, sous la forme d’un trouble du rythme, d’un infarctus, ou même de mort subite.

La mort subite lors de la pratique du sport a une incidence variable selon la population que l’on étudie : 1/200 000 chez les jeunes compétiteurs, 1/15 000 chez « le sportif amateur du dimanche ». Au total on estime qu’il y aurait, en France, environ 1000 à 2000 morts/an pendant la pratique du sport. De plus, les causes de mort subite varient selon la population concernée. Si la mort subite du sportif jeune, compétiteur ou professionnel, est très médiatisée, celle du sportif amateur est totalement méconnue du grand public, générant souvent une incompréhension de la part des familles des victimes, incompréhension susceptible d’aboutir à une procédure médico-légale.

Pour le médecin généraliste amené à rédiger des certificats de non-contre-indication au sport, le problème quotidien est de repérer les sujets à risque de mort subite, et de leur proposer un dépistage adapté.

Dans 90% des cas, l’étiologie de la mort subite est cardiovasculaire, et il s’agit parfois de la première manifestation d’une cardiopathie qui était méconnue jusqu’alors chez un sujet asymptomatique et/ou paucisymptomatique.

 

  1. Causes de mort subite lors de la pratique du sport, et bilan à réaliser

 

Il faut distinguer les causes de mort subite du sujet jeune, souvent provoquée par des cardiopathies congénitales et/ou génétiques, de celles de la mort subite du sujet plus âgé (au-delà de 35 ans), qui sont largement dominées par la coronaropathie.

 

 

    1. Chez le sujet jeune (< 35 ans)

 

La mort subite est souvent mal acceptée, du fait de sa survenue chez un sujet jeune et « apparemment en bonne santé », qui pratiquait du sport parfois à un bon niveau. C’est le mode de révélation d’une cardiopathie qui était méconnue, et asymptomatique dans 50% cas.

 

On peut distinguer différentes causes :

-          cardiopathies congénitales malformatives (anomalie de naissance des coronaires par exemple), parfois dans un contexte qui doit interpeler (Syndrome de Marfan…)

-          cardiopathies génétiques : cardiomyopathie hypertrophique (CMH, dysplasie arythmogène du VD (DAVD), cardiopathie dilatée…

-          cardiopathies rythmiques sur cœur anatomiquement sain : Syndromes du QT long et du QT court, Syndrome de Brugada…

 

Pour ces pathologies, l’interrogatoire doit être méticuleux, notamment pour ce qui concerne les antécédents familiaux de mort subite, et les antécédents personnels de syncope. Il faudra aussi rester vigilent sur des symptômes à type de douleur thoracique, dyspnée inhabituelle ou palpitations (trouble du rythme). Cependant, l’examen clinique est souvent pauvre et insuffisant, et il faudra recourir à l’ECG, qui est anormal dans 60% des cas de ces pathologies du sujet jeune.

 

En effet, cet examen a prouvé son efficacité, pour un moindre coût2. En Italie a été mis en place depuis 20 ans un programme de dépistage cardiovasculaire chez les jeunes compétiteurs (12-35 ans), avec examen clinique et ECG systématique tous les deux ans : ce protocole a permis de diminuer de 89% le nombre de morts subites du sportif en 20 ans.

 

Pour cette raison la Société Européenne de Cardiologie recommande la réalisation d’un examen clinique avec ECG tous les 2 ans chez les sportifs compétiteurs de 12 à 35 ans.

En 2009 la Société Française de Cardiologie a édité ses propres recommandations, qui espacent ce contrôle (sans preuve scientifique démontrée) : examen clinique avec ECG tous les 3 ans de 12 à 20 ans, puis un contrôle tous les 5 ans jusque 35 ans.

 

La nécessité de répéter ces examens dès l’adolescence et jusqu’à l’âge de 35 ans se justifie :

-          d’une part par l’apparition parfois tardive des premières manifestations de ces pathologies (par exemple, pour la CMH, le bilan peut-être normal à 15 ans, douteux à 20 ans, et franchement anormal à 22 ans)

-          d’autre part par l’évolutivité de certaines pathologies (par exemple CMH, mais aussi valvulopathies, syndrome de Marfan..)

 

En cas de doute persistant suite à l’interrogatoire, l’examen clinique, ou sur l’ECG de repos, le sportif devra bénéficier d’un bilan plus ou moins exhaustif comprenant : échocardiographie, test d’effort, holter ECG, IRM cardiaque, coroscanner… examens prescrits par le cardiologue en fonction des résultats des premières explorations.

 

 

 

    1. Chez le sujet de plus de 35 ans

 

La mort subite du sujet senior est beaucoup plus fréquente que celle du jeune compétiteur. Si les causes retrouvées chez le sujet jeune existent également chez le sportif senior, elles sont néanmoins largement dépassées, en nombre, par la coronaropathie, dont l’incidence augmente fortement avec l’âge (> 35 ans chez l’homme et > 45 ans chez la femme).

Cette coronaropathie est d’autant plus fréquente qu’il existe des facteurs de risque cardiovasculaire associés : hérédité, tabagisme, dyslipidémie, hypertension artérielle, diabète…etc.

 

La coronaropathie peut se révéler sous forme de mort subite, mais aussi sous forme d’infarctus (environ 8000 à 10000 cas/an pendant le sport), ou encore sous forme d’angor. Le mécanisme est la rupture de plaque athéromateuse dans 90% cas, alors que le spasme concernerait environ 10% des cas. L’influence des facteurs de risque est légèrement différente de celle des infarctus survenant dans la population générale : 25% des infarctus sont liés au tabac chez le sportif (contre une proportion moindre dans la population générale), et l’hérédité prend également une place significative. La dyslipidémie joue également un rôle important, justifiant la recommandation empirique du club des cardiologues du sport de conseiller un LDL cholestérol inférieur à 1.60 g/l chez tout patient sportif, puisque celui-ci soumet son système cardiovasculaire à des contraintes plus importantes que le sujet sédentaire.

 

Il faut également rappeler que l’infarctus du sportif peut survenir sur des lésions athéromateuses modérées, voire minimes, notamment s’il existe des conditions particulières lors de la pratique du sport (chaleur et déshydratation, froid extrême, stress / compétition…)

 

La coronaropathie est mal dépistée par l’ECG de repos, et l’examen de référence est ici le test d’effort. Même si cet examen est peu prédictif de l’infarctus aigu « accidentel » lors de la pratique sportive, il permet néanmoins de dépister des lésions coronariennes significatives chez certains sportifs, souvent asymptomatiques, alors que l’on retrouve des lésions parfois très sévères en coronarographie. Cette situation est expliquée par le « conditionnement myocardique à l’ischémie » réalisé par la pratique sportive régulière, qui favorise la création d’une circulation collatérale.

 

En cas de test douteux, le cardiologue pourra s’aider de la scintigraphie, ou du coroscanner, avant de proposer éventuellement  la coronarographie.

 

Chez le sportif vétéran, il faudra donc réaliser un interrogatoire minutieux (à la recherche des antécédents personnels et familiaux, mais aussi des symptômes coronariens a minima), un examen clinique complet, un dépistage des facteurs de risque avec biologie récente, un ECG de repos, ainsi qu’un test d’effort éventuellement complété par les examens cités ci-dessus.

 

Le test d’effort devra être renouvelé régulièrement, tous les 5 ans en absence de facteur de risque, ou plus souvent s’il existe des facteurs de risque cardiovasculaire, notamment le tabagisme, ou en cas d’apparition de symptôme. A partir de 60 ans, si le sujet reste sportif, il est recommandé de réaliser une épreuve d’effort annuelle en raison de l’incidence élevée de la coronaropathie dans cette tranche d’âge.

 

Les sujets porteurs d’une cardiopathie ou d’une hypertension artérielle peuvent bénéficier d’une épreuve d’effort annuelle, quelque soit leur âge.

 

Le bilan avec test d ‘effort doit également être proposé à tout sujet symptomatique, quelque soit son âge, surtout s’il est fumeur.

 

Il peut également être proposé à tout sujet souhaitant reprendre une activité physique intense au-delà de 40 ans, surtout s’il était auparavant sédentaire et/ou qu’il présente au moins un facteur de risque comme le tabagisme.

 

Ces indications sont normalement remboursées par la sécurité sociale.

 

  1. Conduite à tenir pratique pour le médecin traitant

 

Il ne faut pas oublier que la principale mesure de prévention de la mort subite est le dépistage des cardiopathies qui pourraient déclencher une mort subite. L’augmentation du nombre de défibrillateurs automatiques sur les stades et dans les lieux publics aura certainement un effet favorable, mais ce n’est que le dernier maillon de la chaîne de prévention. Le premier maillon est représenté par le médecin traitant, dont le rôle est de dépister les sujets, informer et éduquer les sportifs qui viennent le consulter.

 

Contrairement à une idée reçue, le sport ne tue pas. C’est le fait de soumettre à de fortes contraintes le système cardiovasculaire d’un malade qui s’ignore. Expliquer l’intérêt d’un dépistage permet souvent d’obtenir, dans un deuxième temps, l’adhésion du patient pour la réalisation de ce dépistage.

 

En pratique, il faudra recommander :

 

-          Entre 12 et 35 ans : un examen clinique avec ECG tous les 2 à 3 ans (voire tous les 5 ans entre 20 et 35 ans selon la société française de cardiologie)

-          Un premier test d’effort vers 35 ans (hommes) ou 40 ans (femme), ou auparavant en cas de symptôme, de tabagisme, ou de 2 autres facteurs de risque associé. Ce premier test peut être plus précoce si existence de facteurs de risque sévères.

-          Un test d’effort au minimum  tous les 5 ans si la pratique sportive intense est poursuivie, ou sinon guidée par les symptômes

-          Un test d’effort tous les ans après 60 ans si la pratique sportive est poursuivie, ou en cas de cardiopathie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Ce n’est qu’après avoir réalisé un dépistage conforme aux recommandations que le médecin peut signer, « en toute tranquillité », un certificat de non contre-indication au sport.

 

Pour les sportifs inscrits sur liste de haut niveau, ou pour les professionnels, le type d’examen à réaliser et la fréquence des bilans est déterminée soit par le ministère, soit par la fédération concernée, soit par le club… Le médecin traitant n’est pas impliqué dans cette démarche, car ces sportifs bénéficient d’un suivi spécifique.

Pour les autres sportifs (amateurs qu’ils soient compétiteurs ou non), le médecin traitant est en première ligne.

 

Le médecin a aussi pour fonction d’informer le sportif :

- sur l’intérêt du bilan de dépistage, et de son caractère impératif pour obtenir le certificat…

- sur la nécessité de le reconsulter en cas de symptôme, même apparemment mineur, lors de la pratique du sport

- sur les méfaits du tabagisme chez le sportif, et sur l’intérêt du dépistage régulier des facteurs de risque

- sur les dangers du dopage, notamment dans certains sports à risque

 

Au terme du dépistage le « certificat de non contre-indication » pourra être rédigé. Il doit comporter :

-          les nom, prénom, et identification du médecin (comme une ordonnance)

-          les nom, prénom, et date de naissance du sportif

-          les disciplines sportives concernées (un certificat pour chaque sport)

-          préciser s’il s’agit d’une pratique loisir ou en compétition

-          la date de rédaction/signature du certificat, qui reste valable un an.

 

 

 

En cas de contre-indication temporaire ou définitive, il est nécessaire de préciser dans le dossier, par écrit que le patient a été informé et qu’il a bien compris l’interdiction de sport, avec le risque de mort subite.

 

Un certificat écrit peut également lui être remis pour compléter la démarche.

 

 

 

  1. Les 10 règles d’or de bonne pratique de l’activité sportive
    (Club des Cardiologues du sport)

 

1/ Je respecte toujours un échauffement et une récupération de 10 min lors de mes activités sportives

2/ Je bois 3 à 4 gorgées d’eau toutes les 30 min d’exercice à l’entraînement comme en compétition

 

3/ J’évite les activités intenses par des températures extérieures < – 5° ou > 30°


4/ Je ne fume jamais 2 heures avant ni 2 heures après une pratique sportive


5/ Je ne prends pas de douche dans les 15 min qui suivent l’effort

6/ Je ne fais pas de sport intense si j’ai de la fièvre, ni dans les 8 jours qui suivent un épisode grippal (fièvre courbatures)


7/ Je pratique un bilan médical avant de reprendre une activité sportive intense si j’ai plus de 35 ans pour les hommes et 45 ans pour les femmes


8/ Je signale au médecin toute douleur dans la poitrine ou essoufflement anormal survenant à l’effort *


9/ Je signale à mon médecin toute palpitation cardiaque survenant à l’effort ou juste après l’effort *


10/ Je signale à mon médecin tout malaise survenant à l’effort ou juste après l’effort *

    

* Quels que soient mon âge, mes niveaux d’entraînement et de performance, ou les résultats d’un précédent bilan cardiologique

 

Ces « règles d’or » peuvent être téléchargées sur le site du Club des Cardiologues du Sport.

 

 

 

 

 

 

Références :

 

1-Nocon M et al Eur J Cardiovasc Prev Rehabil. 2008;15:239-46

2-Corrado D et al. JAMA 2006 ; 296 : 1593-1601

 

3-Corrado D, Basso C, Schiavon M, Pelliccia A, Thiene G : Preparticipation screening of young competitive athletes for prevention of sudden cardiac death. J Am Coll Cardiol 2008 ; 52 :1981-1989