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Cerveau, reproduction... les étonnantes perspectives des neurosciences

 

Docteur BEAUVILLAIN

Directeur recherche neurosciences INSERM

Unité INSERM 837

Centre Jean-Pierre Aubert

1 place de Verdun

59045 Lille Cedex

 

 

L’influence des structures corticales sur la fonction de reproduction chez les mammifères a vraisemblablement été imaginée très tôt mais ce n’est qu’en 1856 qu’un médecin espagnol, Maestre de San Juan, l’exprime pour la première fois dans une publication. Son hypothèse est basée sur l’observation d’un de ses patients qui souffre d’une complète absence d’odorat associée à un hypogonadisme et une absence de puberté. A la mort de son patient Maestre fait une autopsie et observe une complète absence de nerfs olfactifs. Ce n’est que 120 ans plus tard que l’on comprendra le pourquoi de cette association.

De 1920 à 1930 l’implication de l’hypophyse dans la fonction de reproduction est décrite de façon incontestable. Bien que cette glande soit localisée à la base du cerveau, la partie impliquée dans cette fonction n’est pas constituée de cellules nerveuses. Dès les années 30 on parle déjà de deux substances sécrétées par cette glande qui seront précisément caractérisées 20 ans plus tard comme hormones : la FSH (follicle stimulating hormone) et la LH (luteinizing hormone). La première favorise la maturation des follicules et la deuxième l’ovulation. La notion d’axe hypothalamo-hypophysaire apparaît vers 1950. De nombreuses expériences démontrent que le cerveau est susceptible d’influencer l’hypophyse vraisemblablement grâce à des « neurohormones » déversées dans les vaisseaux qui l’irriguent. Ces neurohormones seront caractérisées en 1971 par l’équipe de Schally et par celle de Guillemin. Ces résultats contribueront à leur décerner le prix Nobel en 1977.

Pour la fonction de reproduction une seule neurohormone a été caractérisée jusqu’à maintenant. Celle-ci est constituée de 10 acides aminés. Elle est susceptible de faire sécréter de la LH et de la FSH par les cellules gonadotropes de l’hypophyse. Pour cette raison, on l’appelle maintenant «gonadotropin releasing hormone » (GnRH) ou gonadolibérine en français. Cette substance peut effectivement être qualifiée de neurohormone-clé puisqu’il a été clairement démontré que son absence entraine une stérilité et une absence de puberté.

La structure de la GnRH connue, les travaux suivants ont eu pour objectifs, 1) déterminer où sont localisés les neurones synthétisant la GnRH, 2) préciser comment est sécrétée la neurohormone, 3) comprendre comment les organes périphériques dialoguent avec le cerveau et, 4) savoir comment les neurones à GnRH peuvent intégrer des informations diverses : environnement, état énergétique, horloge circadienne, saisons etc.

C’est l’école lilloise de neuroendocrinologie menée par Julien Barry qui, la première, décrit les neurones à GnRH dans l’hypothalamus du Cobaye (1973). Cette découverte laisse perplexe et dubitatif le monde scientifique avant d’être effectivement reconnue à sa juste valeur. Alors que le cerveau contient plusieurs milliards de neurones, environ 2000 neurones sont seulement susceptibles de fabriquer de la GnRH. Plus curieux encore, il semble que parmi ces 2000 neurones seulement 20% sont mobilisés au moment de l’ovulation chez la femelle. Par ailleurs ils sont dispersés dans l’hypothalamus contrairement aux autres systèmes neuroendocriniens dont les neurones sont groupés en structures organisées.

La poursuite des travaux a permis de démontrer que ces cellules déversent la GnRH dans les capillaires de façon pulsatile. Cette pulsatilité est régulière chez le mâle mais est modifiée de façon cyclique chez la femelle. Cette pulsatilité implique une synchronisation des cellules cependant difficile à comprendre étant donnée leur dispersion. Actuellement différentes théories sont avancées pour expliquer cette synchronisation mais aucune n’est vraiment définitive. Il semblerait cependant que celle-ci implique un neurotransmetteur capable de diffuser rapidement pour informer au plus vite les cellules. Ce neurotransmetteur pourrait être un gaz comme le monoxyde d’azote(NO) mais pourrait être aussi la kisspeptine récemment identifiée comme la substance la plus active sur les cellules à GnRH.

Le rétrocontrôle du système à GnRH est assuré par les hormones sécrétées par les gonades et notamment par la testostérone, les œstrogènes, la progestérone. La cyclicité chez les femelles est  essentiellement œstrogèno-dépendante. De nombreuses recherches se sont attachées à comprendre comment les œstrogènes agissent sur le système à GnRH. Ceci a soulevé des polémiques qui ont  duré plus de 20 ans car paradoxalement les œstrogènes ne sont pas capables d’agir sur les cellules à GnRH, faute de récepteurs. Par contre, les œstrogènes peuvent moduler l’activité d’autres neurones localisés dans différentes zones du cerveau, suggérant que la régulation ostrogénique est indirecte. Effectivement il a pu être démontré que des neurones sensibles aux œstrogènes étaient en communication directe avec les neurones à GnRH et pouvaient de cette façon moduler leur activité. Quatre régions du cerveau dont 3 situées dans l’hypothalamus et une englobant plusieurs petites régions du tronc cérébral (partie arrière du cerveau) sont riches en récepteurs aux œstrogènes et se projettent sur les neurones à GnRH. Ces régions sont connues pour être impliquées dans la régulation de la prise alimentaire, dans l’appréciation de l’état énergétique de l’individu, dans la prise en compte des événements environnementaux, et sur l’intégration des rythmes (jour-nuit, saison etc..). Ces régions contiennent plusieurs types de neurones dont les substances actives (neurotransmetteurs ou neuromodulateurs) ont pu être déterminées. Parmi elles, le glutamate, le GABA, la noradrénaline, la neurotensine, le NPY, des dérivés de la proopiomélanocortine, le VIP et la kisspeptine précédemment évoquée. Tous ces phénotypes neuronaux peuvent exprimer des récepteurs aux œstrogènes et peuvent donc être sensibles aux hormones sexuelles mais à des degrés plus ou moins importants. En fait ces dernières années, les recherches se sont focalisées sur les neurones à kisspeptine qui apparaissent maintenant comme les meilleurs intermédiaires entre les gonades et les cellules à GnRH. De fait et inversement aux autres types cellulaires ils contiennent presque tous des récepteurs aux œstrogènes.

Les quatre régions évoquées ci-dessus sont celles qui sont directement en relation avec les cellules à GnRH. Cependant ces régions reçoivent des informations d’autres régions du cerveau elles-mêmes sous l’influence d’autres structures. Depuis quelques années des approches neuroanatomiques plus modernes, faisant appel à des modèles transgéniques et à l’utilisation de virus ont permis d’observer l’ensemble du réseau en relation directe et indirecte avec les cellules à GnRH. Il a pu être ainsi observé que plus de 50 régions sont susceptibles de moduler les cellules à GnRH. Ainsi presque tous les noyaux hypothalamiques apparaissent intervenir dans la régulation des cellules à GnRH. Par ailleurs des cellules localisées dans le cortex, l’amygdale et le système olfactif ont la possibilité de moduler l’activité des cellules à GnRH.

En dehors des travaux effectués sur l’étude des circuits et la régulation au niveau du corps cellulaire, d’autres recherches ont été effectuées au niveau de la zone de sécrétion de la neurohormone. En fait l’étude du passage de la GnRH de la terminaison nerveuse au capillaire met en évidence des événements cellulaires très complexes et très inattendus. Ainsi, les cellules gliales longtemps considérées comme des cellules annexes (soutien, nutrition) et les capillaires, considérés comme de simples voies véhiculant le sang, apparaissent comme des acteurs majeurs en sécrétant des substances capables de dialoguer avec les terminaisons nerveuses. Ce dialogue peut mener à des modifications morphologiques du parenchyme nerveux (plasticité morphologique) facilitant la libération de la neurohormone ou à des stimulations directes de la sécrétion. Ces travaux contribuent à développer l’idée que la régulation de la reproduction par le cerveau n’est pas qu’une histoire de neurones mais est le fruit d’une grande collaboration entre des cellules nerveuses, différents types de cellules gliales et de cellules endothéliales. Cette collaboration apparaît essentielle pour un  bon fonctionnement du système neurohormonal à GnRH.

Certaines applications cliniques sont issues de l’ensemble de ces recherches. Ainsi l’hypogonadisme hypogonadique a pu être traité par administration pulsatile de GnRH. Les agonistes ou antagonistes de la GnRH peuvent être utilisés pour soigner des pubertés précoces ou au contraire pour des castrations chimiques. Par ailleurs des agonistes et antagonistes de la GnRH sont utilisés systématiquement dans les protocoles de fécondation in vitro afin d’optimiser les prélèvements ovocytaires. Actuellement les chercheurs fondamentaux en relation avec l’industrie pharmaceutique et les cliniciens travaillent sur l’utilisation de la kisspeptine qui serait plus appropriée que la GnRH dans certaines applications et qui pourrait avoir moins d’effets secondaires. Les recherches génétiques permettent dans d’autres cas de bien connaître pourquoi le complexe hypothalamo-hypophysaire ne fonctionne pas. Ainsi certaines mutations de gènes ont pu être mises en évidence dans la maladie de Kalman empêchant la migration des neurones à GnRH des placodes olfactives vers l’hypothalamus. Dans d’autres cas on a pu démontrer que le non fonctionnement des cellules à GnRH était lié à une mutation de certains de leurs récepteurs : une mutation du récepteur GPR54 par exemple a pu être incriminé bien avant que l’on connaisse son ligand naturel qui s’avère être la kisspeptine.

Grâce à nos recherches sur le rôle essentiel des interrelations neuroglioépithéliales, on peut imaginer d’autres cibles thérapeutiques mais de nombreuses molécules qui participent au fonctionnement du tractus hypothalamo-hypophysaire et en particulier dans le phénomène de libération sont ubiquitaires. Il faudra donc trouver un moyen de bien cibler les cellules. Ceci devient maintenant possible grâce aux progrès de biologie moléculaire mais cela va demander encore beaucoup de temps. Notons enfin qu’une collaboration avec les cliniciens du CHRU de Lille, des études actuellement en cours nous laissent espérer que certaines anomalies hypothalamiques touchant la plasticité morphologique pourraient être appréciées grâce à des observations en IRM.