Cardiologie infantile

 

Docteur Guy VAKSMANN

20 rue du Ballon

59000 LILLE


Souffle précordial chez l’enfant

 

Un souffle précordial est du à des turbulences sanguines suffisamment importantes pour produire un son audible au stéthoscope.

Les souffles cardiaques sont d’une extrême fréquence chez l’enfant et concernent parfois plus de 30 % des enfants de certaines tranches d’âges. Or moins de 1% de ces enfants sont atteints de cardiopathie, la plupart de ces souffles sont donc fonctionnels et surviennent chez des enfants au cœur normal. Parmi cette cohorte d’enfants avec souffle précordial, le rôle du médecin sera d’identifier les sujets pour qui les caractéristiques du souffle peuvent faire craindre la présence d’une anomalie cardiaque et pour qui des explorations complémentaires sont indiquées.

Caractéristiques des souffles fonctionnels :

 

Plutôt que de décrire dans le détail les multiples caractéristiques des différents souffles rencontrés dans les différentes cardiopathies de l’enfant, il est plus utile de décrire les caractéristiques des souffles fonctionnels les plus fréquemment rencontrés.

Un souffle fonctionnel est strictement systolique, bref, jamais holosystolique mais proto ou mésosystolique. Il est doux, peu intense, parfois musical, bien localisé et irradie peu. Les bruits du cœur sont normaux avec parfois un dédoublement inspiratoire physiologique du second bruit. Sa variabilité selon la position est aussi un élément distinctif, notamment lorsqu’un souffle entendu en décubitus disparait ou s’atténue très significativement en position debout. Sa variabilité dans le temps est aussi une caractéristique évocatrice. Les souffles fonctionnels sont souvent plus intenses en cas d’épisode hyperthermique en raison de l’augmentation du débit cardiaque lié aux états fébriles.

Le souffle fonctionnel le plus fréquent est le souffle de Still, bref, mésosystolique, musical, localisé à l’endapex et variable avec la position.

Le tableau I compare les principales caractéristiques des souffles fonctionnels et organiques.

 

Tableau I - Caractères comparatifs des souffles organiques et anorganiques.

Souffle organique 

Souffle anorganique 

Constant 

Variable (hyperdébit) 

Parfois frémissement 

Jamais de frémissement 

Longue durée 

Toujours bref 

Irradiation 

Peu d'irradiation 

Parfois diastolique 

Jamais diastolique 

Parfois systolodiastolique 

Systolodiastolique assis ou debout (souffle veineux) disparait à la compression cervicale douce.

Diminue à la manœuvre de Valsalva 

Disparaît à la manœuvre de Valsalva 

 

 

Quand demander un bilan cardiologique ?

 

Lorsqu’un souffle a les caractéristiques de l’organicité, un bilan complémentaire est bien sûr indiqué. Dans certaines circonstances, la présence d’un souffle d’allure bénigne devra également faire demander une expertise cardiologique :

- Sport de compétition chez l’adolescent

- Antécédents familiaux de cardiopathies héréditaires (notamment en cas de myocardiopathie hypertrophique).

- Souffle qui n’est pas isolé, soit qu’il s’accompagne d’une symptomatologie fonctionnelle suspecte comme des précordialgies d’effort, un essoufflement récent au repos ou à l’effort ou la survenue de malaise, soit qu’il s’accompagne d’une anomalie des bruits du cœur (bruit supplémentaire ou dédoublement fixe du second bruit), d’une hypertension artérielle ou d’une diminution des pouls fémoraux.

Au moindre doute quant à la bénignité d’un souffle, ou en cas d’anxiété importante de l’entourage, une exploration cardiologique avec échocardiographie est recommandée en raison de l’innocuité absolue de cet examen.

 

 

Malaises chez l’enfant 

 

Définitions : Le terme « malaise » n’est pas univoque et regroupe diverses situations au cours desquelles le sujet présente un inconfort associé à une modification de la coloration ou du comportement et susceptible, si la situation se prolonge, de conduire à une altération de la conscience. Compte tenu de la grande diversité des causes des malaises de l’enfant seul le problème des syncopes sera abordé dans cette mise au point.

La syncope se définit comme une perte de connaissance brutale et temporaire associée à une perte du tonus postural et dont la récupération est spontanée. La survenue d’une syncope chez un enfant ou un adolescent est un événement fréquent qui est souvent la source d’une grande anxiété pour le patient ou son entourage en raison du rapprochement qui est habituellement fait entre la survenue d’une telle manifestation et la mort subite et, de fait, la principale préoccupation du médecin ayant à prendre en charge un enfant victime de syncope est d’en éliminer une cause grave parfois létale.

 

Incidence et étiologies des syncopes chez l’enfant :

 

La prévalence des syncopes chez l’enfant est difficile à établir avec précision. Toutefois, deux chiffres rendent compte de l’extrême fréquence des syncopes à l’âge pédiatrique. D’une part, on estime qu’un enfant sur 2 aura été victime d’une syncope avant la fin de l’adolescence. D’autre part, près de un pour cent de la fréquentation des services d’urgence pédiatrique concerne des patients victimes de syncope

En fonction de leur mécanisme physiopathologique, on distingue les syncopes par dysrégulation du système nerveux autonome, les syncopes cardiaques, et les syncopes non cardiaques.

 

 

 

 

 

Syncopes liées à une dysrégulation du système nerveux autonome :

 

Syncope vasovagale : Il s’agit de loin la cause la plus fréquente des syncopes de l’enfant. Elle est retrouvée chez plus de 70% des patients de certaines séries pédiatriques mais doit rester un diagnostic d’exclusion. Elle est caractérisée par une interruption brutale du tonus vasomoteur ayant pour résultante une hypotension artérielle (réponse vasodépressive) ou une bradycardie (réponse cardio-inhibitrice). La plupart du temps ces 2 types de réponses coexistent (réponse mixte). Une période présyncopale, très évocatrice, est fréquente mais non constante marquée par des sensations vertigineuses, une vision floue, des nausées, des suées et une pâleur. Le plus souvent la syncope survient alors que le patient est en position debout prolongée mais peut aussi survenir lors du passage brutal de la position allongée ou assise à la position debout. Des circonstances favorisantes comme l’émotion, la fatigue, la fièvre, la vue du sang, une déshydratation ou une douleur sont classiques. La perte de conscience est brutale et de courte durée et peut parfois s’associer à une révulsion oculaire, des mouvements cloniques des extrémités et un relâchement des sphincters qui peuvent faire évoquer le diagnostic de comitialité. Ces syncopes convulsivantes sont plus fréquentes en cas de réponse cardio-inhibitrice. Au réveil, Il n’existe pas de phase confusionnelle mais une asthénie peut persister pendant quelques heures.

 

Hypertonie vagale : fréquente chez le sportif et l’adolescent elle se manifeste au repos par une bradycardie sinusale ou jonctionnelle et parfois par un bloc auriculoventriculaire intermittent. Une stimulation vagale supplémentaire comme celle réalisée par une manœuvre de Valsalva peut, par le biais d’une majoration de la bradycardie, favoriser une syncope.

 

Spasmes du sanglot : Le spasme du sanglot est la cause la plus fréquente des pertes de connaissance de l’enfant de 6 mois à 4 ans. Il s’agit d’un phénomène involontaire au cours duquel un facteur précipitant comme une colère ou une douleur est responsable de pleurs au décours desquels l’enfant présente une apnée et perd connaissance. On fait habituellement la distinction entre les formes cyanogènes et pâles du spasme du sanglot en fonction de la coloration de l’enfant au moment de la crise. Les 2 formes de spasmes du sanglot peuvent coexister chez le même enfant.

Les formes cyanogènes surviennent habituellement à la suite d’une frustration au décours de laquelle l’enfant pleure vigoureusement puis présente une apnée prolongée en fin d’expiration avant de se cyanoser et de perdre connaissance. Une rigidité des membres et une position en opisthotonos sont fréquentes. La perte de conscience est due à l’hypoxie et à la baisse du débit sanguin cérébral induite par la diminution du drainage veineux par élévation de la pression intra thoracique secondaire au blocage respiratoire. La perte de connaissance est brève (inférieure à une minute) et, au réveil, l’enfant reprend un comportement normal puis parfois s’endort secondairement.

Dans les formes pâles, l’accès est souvent typique et impressionnant pour l’entourage: il s’agit d’un enfant en bas âge qui après avoir pleuré brièvement devient pâle et hypotonique et perd connaissance, le plus souvent après un traumatisme mineur. Il peut ensuite se raidir, présenter une révulsion des globes oculaires et des mouvements cloniques des extrémités avant de reprendre conscience en 1 minute environ. Ces épisodes peuvent être reproduits par une compression oculaire (réflexe oculo-cardiaque) lorsqu’elle provoque une asystole, parfois majeure, suggérant une hypertonie vagale.

L’histoire naturelle de ces formes pâles et cyanogènes de spasmes du sanglot est leur résolution complète avant l’âge de 6 ans chez la quasi-totalité des patients.

 

 

 

 

 

Syncopes d’origine cardiaque

 

Causes mécaniques :

Un obstacle à l’éjection ventriculaire peut se compliquer de syncopes voire d’une mort subite. Cette complication est classique chez les patients atteints de rétrécissement aortique, de cardiomyopathie obstructive ou d’hypertension artérielle pulmonaire. Il s’agit alors de syncopes d’effort dont le mécanisme fait intervenir soit un bas débit cardiaque avec hypoperfusion cérébrale, soit une ischémie myocardique génératrice d’arythmies ventriculaires.

 

Causes rythmiques :

Les troubles du rythme cardiaque peuvent être à l’origine de syncopes chez l’enfant. Il peut s’agir de tachycardies extrêmes supraventriculaires ou ventriculaires ou de bradycardies majeures par bloc auriculoventriculaire. La perte de connaissance est consécutive à un bas débit cardiaque au point que la perfusion cérébrale devient insuffisante. On distingue habituellement les troubles du rythme en fonction de leur association ou non à une anomalie de l’anatomie du cœur. Les syncopes d’origine rythmique survenant sur cœur anatomiquement sain sont particulièrement redoutées. Il s’agit le plus souvent de maladies en rapport avec un dysfonctionnement des canaux ioniques membranaires regroupées sous le terme de canalopathies (tableau II). Ces affections sont autosomiques dominantes et il n’est pas rare de retrouver des antécédents familiaux de mort subite inexpliquée survenue chez des enfants ou des adultes jeunes.

 

Tableau II : principales canalopathies responsables de troubles du rythme cardiaque

Syndrome du QT long congénital

Syndrome de Brugada

Tachycardie ventriculaire catécholergique

Syndrome du QT court

Fibrillation ventriculaire idiopathique familiale

 

Il est intéressant de remarquer que dans certaines séries pédiatriques de syndromes du QT long congénital, une proportion importante de patients ont été suivis pour comitialité pendant plusieurs années avant que le diagnostic ne soit évoqué.

 

Syncopes d’origine extracardiaque

 

Causes neurologiques :

Avec les causes potentiellement létales, l’épilepsie représente la seconde étiologie importante à évoquer chez un enfant ayant fait une syncope en raison de ses implications multiples. Une perte de conscience survient habituellement si la crise est généralisée. Le diagnostic d’après la description de l’épisode n’est pas toujours facile à établir car certaines syncopes vasovagales peuvent s’accompagner de convulsions. Une comitialité est probable si la perte de connaissance a été précédée d’une aura, est survenue alors que le patient était en position allongée, a duré plus de 5 minutes, s’est poursuivie par une phase confusionnelle prolongée ou si des signes de focalisation neurologique ont été observés au décours de l’épisode.

Les migraines peuvent parfois se compliquer de syncope. Elles sont généralement précédées d’une aura et de violentes céphalées occipitales. Elles peuvent également s’associer à un déficit neurologique transitoire au décours de la crise.

 

 

Causes psychiatriques :

Les syncopes de cause psychiatrique surviennent plus volontiers chez la jeune fille, sont souvent récidivantes et accompagnées d’un riche cortège de signes cliniques. Une hystérie, une attaque de panique ou un syndrome dépressif doivent alors être évoqués. Dans une série de 79 enfants explorés par un tilt test, Kouakam et coll. ont retenu ce diagnostic dans 9% des cas.

 

Causes métaboliques :

Bien que souvent évoquée, l’hypoglycémie est rarement la cause d’une syncope. Pour retenir un tel diagnostic, il convient de documenter la concomitance de la perte de conscience et de l’hypoglycémie. Le test d’hyperglycémie provoquée et le cycle glycémique n’ont que peu d’intérêt.

 

 

Conclusion :

 

La prise en charge d’un enfant ou un adolescent victime de syncope commence par une bonne connaissance des différentes étiologies possibles. L’évaluation du patient fait tout d’abord intervenir un interrogatoire exhaustif faisant préciser les antécédents, les circonstances déclenchantes de la manifestation syncopale et une description aussi précise que possible de l’épisode ainsi qu’un examen clinique attentif afin de rechercher des éléments permettant de faire la distinction entre une cause bénigne et une cause potentiellement maligne. Le tableau III résume les circonstances qui, chez un patient victime de syncope doit faire rechercher une cause grave, potentiellement létale.

 

 

Tableau III : Circonstances évocatrices d’une cause grave de syncope

Antécédents familiaux de mort subite inexpliquée (canalopathie, CMH)

Antécédents de chirurgie cardiaque (troubles du rythme)

Syncope survenue au cours d’un effort physique (causes mécaniques, TV catécholergique)

Syncope survenue en milieu aquatique (syndrome du QT long de type 1)

Syncopes précédée d’un accès de palpitations (troubles du rythme)

Prise d’un traitement antiarythmique (trouble du rythme)

Risque d’intoxication médicamenteuse (trouble du rythme)

CMH : cardiomyopathie hypertrophique, TV : Tachycardie ventriculaire.

 

Quand demander un bilan cardiologique chez l’enfant avant de faire un certificat d’aptitude au sport ?

 

Un médecin qui rédige un certificat d’aptitude au sport engage sa responsabilité. La pratique d’une activité sportive peut représenter un danger pour certains sujets, notamment ceux atteints de cardiopathies pour qui le principal risque est celui de la mort subite. La fréquence réelle des morts subites d’origine cardiaque lors de la pratique du sport n’est pas connue précisément. Elle est aux alentours de 2/ 100 000 pratiquants âgés de 12 à 35 ans. Cette incidence est probablement sous estimée car bon nombre de morts cardiaques ne sont pas diagnostiquées.

 

 

 

 

 

Les éléments suivants retrouvés à l’interrogatoire du patient ou de sa famille ou à l’examen clinique doivent conduire à une exploration cardiologique complémentaire :

-          Antécédents familiaux de cardiopathie héréditaire (cardiomyopathie, canalopathie, anévrisme aortique compliquant une maladie du tissu élastique, pacemaker implantés chez des sujets jeunes)

-          Antécédents familiaux de morts subites inexpliquées survenues avant 45 ans

-          Antécédent personnel de chirurgie cardiaque

-          Antécédent personnel de trouble du rythme cardiaque

-          Antécédent personnel de syncope non typiquement vasovagale

-          Morphotype marfanoïde

-          Douleurs thoraciques à l’effort

-          Accès de tachycardie

-          Souffle précordial possiblement organique

-          Hypertension artérielle

 

Un programme de dépistage systématique des pathologies cardiaques chez les athlètes de compétition en Italie a permis de réduire la mort subite lors de la pratique du sport de 90 %.

 

Références :

 

Souffles précordial chez l’enfant :

- Sidi D et C. Almange. Souffle cardiaque chez l’enfant. : www.cardio-sfc.org/enseignement/cardiologues-en-formation/documents-de-travail/enseignement/cardiologues-en-formation/documents-de-travail/polycopies-de-cardiologie-et-maladies-vasculaires-reforme-du-2-eme-cycle-des-etudes-medicales/files/331.pdf

                     

Malaises chez l’enfant:

-          DiMario FJ. Prospective study of children with cyanotic and pallid breath-Holding spells. Pediatrics 2001;107:265-269.

-          Kouakam C, Vaksmann G, Lacroix D, Godart F, Kacet S, Rey C. Intérêt du test d’inclinaison dans la prise en charge des syncopes inexpliquées de l’enfant et l’adolescent. Arch Mal Cœur 1997 ;90-679-686.

-          Noizet-Yverneau O, Hue V, Vaksmann G, Cuvellier JC, Lamblin MD, Leclerc F, Martinot A. Syncope and pre-syncope in children and adolescents: a prospective study in a pediatric emergency care unit]Arch Pediatr. 2009 Aug; 16(8):1111-7.

-          Ross BA. Evaluation and treatment of syncope in children. In learning center Highlights from the American College of Cardiology, vol 10. Bethesda, Md, American College of Cardiology, 1990:21-24.

-          Vaksmann G. Syncopes chez l’enfant et l’adolescent. In : Kachaner J et Villain E : Les troubles du rythme cardiaque chez l’enfant. Cardiologie Pédiatrique; Paris: Flammarion, 2006:121-126.

 

Aptitude au sport chez l’enfant

- Corrado D, Basso C, Schiavon M, Pelliccia A, Thiene G : Preparticipation screening of young competitive athletes for prevention of sudden cardiac death. J Am Coll Cardiol 2008 ; 52 :1981-1989.