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La sciatalgie neuropathique


Professeur Serge BLOND

Clinique de Neurochirurgie – Centre d'Evaluation de Traitement et de la Douleur

Hôpital Roger Salengro – CHRU de Lille

 

 

Les suites d'une intervention rachidienne et notamment d'une intervention pour hernie discale lombaire peuvent être marquées par la survenue ou la persistance de radiculalgies "neuropathiques" qu'il convient de repérer rapidement car leur traitement est spécifique et exclut habituellement la notion de toute reprise chirurgicale.

 

La définition des douleurs neuropathiques fait toujours l'objet de nombreuses discussions, mais un consensus semble enfin se dégager en précisant qu'il s'agit "d'une douleur secondaire à une lésion ou à une maladie affectant le système somato-sensoriel". Cette affirmation permet d'établir une distinction claire avec :

· D’une part les "douleurs inflammatoires" signifiant une lésion tissulaire à l'origine de la libération locale de substances algogènes, responsables d'une sensibilisation des nocicepteurs périphériques ;

· D’autre part les douleurs ne résultant ni d'une inflammation ni d'une lésion nerveuse évidente, volontiers qualifiées d'idiopathiques, de psychogènes et plus récemment de "dysfonctionnelles", représentées par exemple par les douleurs de la fibromyalgie, de l'algodystrophie ou syndrome douloureux régional de type 1, des céphalées, des algies oro-faciales idiopathiques et des lombalgies chroniques. Dans ces différents contextes, l'on évoque en effet l'éventualité d'un dysfonctionnement d'origine centrale des contrôles modulateurs de la douleur.

 

Bien souvent, la distinction n'est pas aussi claire et c'est ainsi que dans un contexte d'interventions pour hernie discale lombaire, l'on parle souvent de douleurs mixtes associant la composante neuropathique à d'autres mécanismes distincts de type inflammatoire ou musculo-tendineux.

 

Comment reconnaître une sciatalgie neuropathique ?

 

Un tel diagnostic repose sur un faisceau d'arguments qu'il convient de réunir en sachant que la priorité doit toujours être donnée à l'examen clinique dont les informations retrouvent de nombreux arguments, bien distincts de ceux recueillis en cas de "sciatalgie mécanique" :

 

-      L'anamnèse retrouve souvent une ou plusieurs interventions pour hernies discales lombaires avec parfois la notion d'une souffrance radiculaire prolongée et majeure avant le geste chirurgical pouvant parfois aboutir à un déficit sensitivomoteur de type radiculaire.

 

-      La séméiologie est caractéristique : douleurs permanentes, présentes au repos, à peine accentuées par les activités physiques, de type radiculaire (L5 et/ou S1), à prédominance distale, à type de brûlures, volontiers associées à des paresthésies ou à des dysesthésies ou encore à une impression "pieds froids ou gelés", évoluant dans un contexte d'engourdissement pénible, parfois accompagnées de paroxysmes hyperalgiques spontanés ou provoqués. C'est à ce stade qu'il faut savoir rechercher une allodynie mécanique statique ou dynamique, une allodynie thermique pour le chaud ou le froid, une hyperalgésie.

 

-      L'examen clinique retrouve des signes de souffrance radiculaire chronique d'abord sur le versant sensitif à type d'hypoesthésies tactiles et douloureuses, parfois sur le versant moteur. Par contre, les habituelles manœuvres d'étirement sont classiquement négatives.

 

-      Le bilan anatomique élimine formellement tout conflit ostéo-disco-radiculaire et retrouve parfois une fibrose, constatation banale sans que l'on puisse établir une relation entre celle-ci et l'existence de douleurs neuropathiques. Ces examens permettront par ailleurs d'éliminer toute autre cause de sciatalgies persistantes.

 

-      Des explorations électrophysiologiques peuvent conforter le diagnostic : l'électromyogramme peut retrouver des signes d'atteinte neurogène chronique au niveau des muscles innervés par les racines L5 et/ou S1. L'étude des potentiels évoqués somesthésiques par stimulation des nerfs SPEP ou SPI peut retrouver des troubles de la conduction et du recrutement au niveau radiculo-lombaire avec un éventuel retentissement cortical. Enfin, il est également possible de réaliser une analyse des potentiels évoqués nociceptifs, permettant de déceler une atteinte préférentielle des fibres sensitives de petit calibre.

 

-      Enfin, l'approche clinique et psychologique permettent d'évaluer très précisément l'intensité de ces douleurs résiduelles, l'existence concomitante de facteurs psychologiques ou biographiques susceptibles d'intervenir dans l'expression douloureuse, la présence de perturbations de la personnalité à prendre en considération lors de la définition des différentes étapes thérapeutiques.

 

Un tel diagnostic impose une prise en charge thérapeutique spécifique : ces douleurs sont classiquement rebelles aux antalgiques et aux anti-inflammatoires et il convient alors de prescrire en priorité des antidépresseurs (tricycliques ou inhibiteurs de la recapture sélective de la sérotonine et de la noradrénaline) et des anticonvulsivants ayant des effets bloqueurs des canaux sodiques (gabapentine et prégabaline, lamotrigine, topiramate, clonazépam, carbamazépine ...) en se méfiant des effets secondaires indésirables notamment en cas d'association thérapeutique. C'est à ce stade qu'en fonction de l'intensité et de la réalité de la sciatalgie neuropathique, replacée dans le concept du "failed-back-surgery-syndrom" permettant d'établir une distinction et une évaluation claire entre lombalgie et radiculalgie que l'on discutera la place éventuelle des techniques de neuromodulation :

 

-      La neurostimulation transcutanée à visée analgésique préconisée en cas de douleurs neuropathiques mono- ou bi-radiculaires, évaluées dans un contexte pluridisciplinaire et pouvant aboutir à la location-vente du matériel dont les frais sont actuellement pris en charge par les Caisses Primaires d'Assurance Maladie.

-      La stimulation médullaire proposée dès lors que l'on est sûr de l'intensité et de la réalité de la radiculalgie neuropathique et sous couvert d'une bonne corrélation entre les données cliniques, anatomiques, électrophysiologiques et psychologiques permettant habituellement une atténuation significative de la douleur neuropathique par action directe au contact des cordons postérieurs et de la corne postérieure de la moelle, imposant ensuite une surveillance clinique et technique régulière.

 

BIBLIOGRAPHIE :

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