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Dénutrition de la personne âgée.

Dénutrition chez la personne âgée

Fragilité mais pas fatalité

D Séguy

La prévalence de la dénutrition chez la personne âgée est de 12% à domicile, de 40% en institution et atteint 60% à l'hôpital. On différencie le marasme par réduction des ingesta oraux qui se traduit par une perte de poids, de la dénutrition protéino- énergétique où la coexistence d’un stress métabolique va provoquer une faillite rapide des réserves protéiques musculaires et se manifester par une inflation hydro-sodée avec hypoalbuminémie. Cette dernière tout comme la diminution de la transthyrétine (préalbumine) constituent dans ce contexte de bien meilleurs paramètres pronostiques que l’amaigrissement. L’organisme répond au stress métabolique (inflammation, infection, traumatisme, chirurgie, maladie...) qui lui est imposé en produisant des acides aminés glucoformateurs issuent de la protéolyse musculaire. Cliniquement cette protéolyse va retentir sur les capacités fonctionnelles des sujets, favoriser l’apparition d’un état oedémateux qui surestime leur poids et celle d’une immunodépression qui augmente le risque d’infection.

Les recommandations actuelles de l’HAS concernant la dénutrition des sujets âgés ne prennent pas en compte ses deux formes distinctes de dénutrition qui sont situées à l’opposée l’une de l’autre, au sein d’un même continuum physiopathologique. De plus, les seuils proposés par l’HAS pour définir la dénutrition sévère apparaissent trop stricts au regard de la réalité et de la pratique clinique. Ceci est confirmé par l’analyse des données objectives receuillies sur plusieurs milliers de patients hospitalisés au CHU de Lille. En mettant en relation la morbi-mortalité durant le séjour et les différents paramètres nutritionnels de ces patients, nous avons pu observer que les seuils déterminés statistiquement étaient très stables. En effet, pour un paramètre considéré, par exemple l’albumine, le seuil déterminé a un coefficient de variation (CV) très faible (<5%), que l’on considére la mortalité, la survenue d’une infection à bactérie multirésistante (BMR), d’un état oedémateux (3ème secteur) ou d’escarre :

Chez le sujet âgé, la dénutrition est potentialisée par différents facteurs. La sarcopénie retentie sur la masse et la force ou la performance musculaire, tandis que la masse grasse tente à augmenter. Il est admis qu’entre 20 et 80 ans, un sujet perd 40% de sa masse musculaire. Contrairement à la masse maigre, la masse grasse, est épargnée (sauf lorsqu’il existe un cancer) par la dénutrition protéino-énergétique. Ceci explique pourquoi nombre de patients âgés en surchage pondérale ou obèses peuvent néanmoins être dénutris. Avec l’âge, on observe l’apparition d’une dysrégulation de l’appétit avec satièté précoce. Plus ces sujets réduisent leur alimentation orale, plus ils deviennent anorexiques. Inversement, chez un sujet âgé, l’augmentation des apports entéraux (par voie digestive) va s’accompagner d’une augmentation des ingesta oraux spontanés. Ce phénomène est d’ailleurs mis à profit lorsqu’on réalise une nutrition entérale cyclique nocturne chez des sujets dénutris dont l’anorexie est profonde (cf. infra). Enfin, il faut noter que la résistance à la renutrition augmente avec l’âge : jusque 3 fois plus de kcal sont ainsi nécessaires à un patient âgé par rapport à un sujet jeune pour fabriquer 1 kg de poids.

La première étape de la prise en charge nutritionnelle du sujet âgé dénutri consiste à arrêter les régimes restrictifs tel que le régime désodé qui est reconnu pour être le plus anorexiant de tous. Dans cette situation, on privilégie au contraire l’apport énergétique et protéique au détriment de l’équilibre alimentaire. Il est préconisé de fractionner et d’enrichir l’alimentation habituelle en évitant le forçage alimentaire et les grosses portions qui sont dissuasives chez un sujet anorexique. Les compléments nutritionnels oraux (CNO) ont un intérêt en cas de dénutrition modérée. Afin de ne pas retentir sur les ingesta spontanés de la journée, il est recommandé de favoriser la prise de CNO après le repas du soir, en priviléfiant les formules les plus concentrés (2 kcal/ml), sans dépasser 2 unités par jours (soit moins de 500ml/j). La compliance aux CNO peut être améliorée par diverses précautions :


En cas d’échec, il faut se résoudre à proposer une nutrition entérale (NE) administrée durant la nuit (cyclique nocturne), en complément de l’alimentation orale qui doit être maintenue le jour. Cette NE nocturne est réalisée grâce à la mise en place d’une sonde nasogastrique en polyuréthane ou en silicone, de petit diamétre (7 à 10 fr), qui ne gène pas le patient. L’utilisation d’un régulateur de débit (pompe), la fixation et le repérage stricts de cette sonde sont impératifs afin que cette NE se fasse en toute sécurité. En fonction de sa durée, on peut proposer au patient, soit l’apprentissage de l’autosondage qui lui permet d’enlever sa sonde durant la journée, soit la mise en place d’une gastrostomie par voie radiologique ou endoscopique. Ces dernières années, la technique de pose « introducer », le recours au bouton plutôt qu’à la sonde de gastrostomie et l’amélioration de l’organisation de la prestation à domicile ont contribué à l’augmentation de nombre de patients pris en charge. La NE a entre autre l’avantage, par rapport à la nutrition parentérale (par voie intra-veineuse) de maintenir la trophicité digestive qui diminue le risque de translocation intestinale chez le patient dénutri.

La nutrition parentérale, quant à elle, du fait du risque infectieux et des complications métaboliques (hyperglycémie, perturbations hépatiques) qu’elle fait courir aux

patients. Elle doit être réservée au seuls cas où l’intestin inutilisable (occlusion, abdomen chirurgical) ou insuffisant (syndrome du grêle court) pour leur permettre d’absorber la quantité de nutriments nécessaire au maintien d’un état nutritionnel satisfaisant.

Au total, la stratégie de prise en charge nutritionnelle en cas de dénutrition peut être résumée sous la forme du logigramme suivant :


Dans tous les cas, et quelque soit l’assistance nutritionnelle réalisée, l’activité physique adaptée (APA) apparait plus que jamais comme un atout indispensable dans la prise en charge de ces patients. Reste maintenant à la médecine de soins primaires, aux institutions et à l’hôpital à se l’approprier.