La sclérose en plaques

La sclérose en plaques: actualité 2015

P Hautecoeur

Neurologue GHICL, doyen faculté médecine et maïeutique UCL

 

 

Epidémiologie :

Décrite, est sans doute apparue lors de la révolution industrielle, plus urbaine que rurale, la sclérose en plaques voit son incidence et sa prévalence croitre. En France l’incidence est de 7.6 à 8.8/100 000 habitants et la prévalence de 100/100 000 habitants (1). Elle touche plus 2,5 millions de personnes dans le monde. Elle se mondialise, effaçant le classique gradient Nord Sud de Kurtzke et se féminise de plus en plus dans sa forme rémittente.

Des facteurs environnementaux viraux (EBV), bactériens (barrière digestive), parasitaires (théorie hygiéniste), toxiques (tabac) ou écologiques (soleil, vitamine D, pollution) sont actuellement proposés. Les études de migration, les corrélations UV et prévalence de la SEP, les conditions environnementales chez les jumeaux homozygotes sont autant de facteurs plaidant pour un rôle de la vitamine D dans la pathogénie de la SEP. La vitamine D est actuellement considérée comme un facteur épigénétique transgénérationnel (2). La muqueuse intestinale est un lieu de modulation de l’immunité (3), et le tabac un facteur de risque de survenue, indépendant des autres, mais également aggravant la progression de la maladie. L’obésité infantile est actuellement mise en avant et le rôle du sel sur les lymphocytes agressifs TH17 souligné.

110 gènes de prédisposition ont été détectées dont 40 % sont dans la région HLA (4) (DRB1*1502, DQB1*0602). L’influence des  facteurs environnementaux telle la vitamine D sur le HLA-DRB1*15 par méthylation a été découverte récemment. Cette intrication de facteurs génétiques et environnementaux expliquerait l’agression du système nerveux central par les cellules de l’immunité, que ce soit dans le cadre d’une maladie auto-immune avec une attaque ciblée sur la myéline ou les oligodendrocytes, ou dans le cadre d’une inflammation réactionnelle à une souffrance axonale ou myélinique. La neuropathologie met bien en évidence deux phases inflammatoire, l’une focale témoin d’une rupture de la barrière hémato-encéphalique présente dans les premières années et sensible aux traitements de fond, l’autre plus diffuse plus tardive dominée par le rôle des lymphocytes B des follicules lymphoïdes tertiaires présent dans le liquide cérébro-spinal (forme secondairement progressive).

Aspects Cliniques :

Plusieurs phases de la maladie sont décrites, les plus classiques étant représentées par le syndrome cliniquement isolé (SCI), la SEP de forme rémittente (RRMS) et la SEP de forme secondairement progressive(SPMS). L’inflammation durant cette dernière phase disparait après plusieurs années comme en témoigne les résultats autopsiques. La SEP n’est donc plus une maladie présente tout le long de la vie.

 Les symptômes initiaux de la sclérose en plaques classiquement considérés comme polymorphe sont le plus souvent des troubles visuels, sensitifs ou moteurs. Ils sont néanmoins une fois sur deux précédés par des primo-manifestations passées inaperçues. Le syndrome cliniquement isolé est lui-même précédé par le syndrome radiologiquement isolé (SRI), c’est-à-dire la découverte fortuite d’hypersignaux évocateurs de SEP sans aucune manifestation clinique. Sont évocateurs d’une SEP les hypersignaux de forme ovalaire dont le nombre est élevé (supérieur à 9 des hypersignaux), de disposition perpendiculaire à l’axe des ventricules ou juxta cortical, l’atteinte calleuse et pericalleuse, l’atteinte des pédoncules cérébelleux moyens, la coexistence de lésions récentes (moins de 6 semaines), et anciennes et les plaques corticales. Le suivi de ces patients présentant un SRI montre que le risque de conversion en SEP est de 30 % après 5 ans (délai moyen de 2.3 ans après la première IRM). Des éléments prédictifs de cette évolution sont en cours d’étude (5). La question de l’instauration d’un traitement de fond se pose actuellement en cas de risque élevé de conversion.

 Les critères de diagnostic de la SEP reposent sur la dissémination temporospatiale des lésions ou des signes cliniques. Les critères actuels sont ceux de Mac Donald (révisés en 2010) dans lesquels l’IRM a pris une place prépondérante à condition que les aspects soient très évocateurs de SEP. Les plaques corticales apparaissent actuellement comme un élément très discriminant à cet égard.
La valeur diagnostique de la ponction lombaire s’est effacée derrière celle de l’IRM. Il est vrai que la distribution oligoclonale n’a pas de valeur spécifique puisqu’elle est retrouvée dans bon nombre d’entités, y compris dans des diagnostics différentiels comme le neurolupus ou le Gougerot Sjogren. Le caractère relativement invasif et traumatisant de la ponction lombaire, ses conséquences parfois procédurières originaires d’outre atlantique et son coût médicoéconomique expliquent en partie le rôle secondaire qu’elle joue depuis. Mais l’avènement de l’IRM, fleuron des outils diagnostiques et témoin privilégié de notre époque, est sans doute l’élément capital pour expliquer son effacement notamment dans les formes rémittentes. Pour les formes primaire progressives, alors que le LCR était indispensable quelque soit les circonstances dans les critères de Thomson en 2000, son recueil est là aussi moins utile aujourd’hui avec les nouveaux critères quand la dissémination spatiale est présente en IRM dans l’encéphale et la moelle. Pour autant, pour des raisons conceptuelles, le caractère biologique non morphologique et « fonctionnel » du LCR, les données neuropathologiques de l’inflammation diffuse non compartimentée ainsi que la découverte des follicules lymphoïdes tertiaires méningés (6) plaident pour le maintien de sa pratique.

 

Aspects thérapeutiques :

Le traitement de la poussée

Le traitement de la poussée n’est pas systématique. La précocité de la corticothérapie n’explique en rien l’existence ou non de séquelles de cette poussée. La posologie est extrêmement importante puisque elle doit être égale à 1000 mg par jour, le plus souvent en intraveineux sur plusieurs heures, trois jours de suite. Les corticothérapies par voies orale ne sont possibles que si cette dose est atteinte. En revanche, les posologies de 100 mg par jour peuvent favoriser les poussées. Un relais per os  n’est pas nécessaire, sans phénomène de rechute. Toute prescription par voie intraveineuse se fait en hospitalisation conventionnelle HDJ ou HAD.

Les traitements de fond :

Les immunomodulateurs (interférons et Copaxone) sont des traitements de première ligne depuis 1996. Leur effet est modeste mais ils permettent 1.de retarder le diagnostic de SEP en cas de prescription après un premier événement, 2.de ralentir le passage vers la forme secondairement progressive, 3.d’allonger la durée de vie. Ils peuvent être prescrits durant la grossesse et n’ont pas de toxicité à long terme. Les résultats de l’étude ADVANCE vont permettre la prescription d’AVONEX PEGYLE tous les 15 jours en IM. La COPAXONE, de part les résultats de l’étude GALA, pourra être proposée à la posologie de 40 mg 3 fois par semaine en sous cutané (7).  La tolérance et les effets adverses expliquent en grande partie l’arrivée des traitements par voie orale (8).  Les alternatives orales sont actuellement représentées par le BG12 ou TECFIDERA et le TERIFLUNOMIDE ou AUBAGIO. Le TECFIDERA, anti-inflammatoire prescrit à raison de 2 comprimés à 240 mg par jour permet de diminuer le taux annualisé de poussée à deux ans de 56 % par rapport au placébo. Les données de tolérance sont au cœur des discussions : Flush, troubles digestifs qui peuvent survenir dans 40 % et être à l’origine d’un arrêt du traitement dans 20 % des cas. L’AUBAGIO, métabolite actif du LEFLUNOMIDE inhibiteur sélectif et réversible d’une enzyme mitochondrial clé de la synthèse de novo des pyrimidines, limite la prolifération des lymphocytes  T et B  et activés. Il diminue de 30 % le taux annuel de poussée par rapport au placébo (étude TEMSO), et le risque de progression du handicap confirmé à 12 semaines. Après un premier événement démyélinisant  il réduit de 43 % le risque de conversion en sclérose en plaques définie cliniquement (étude TOPIC). Ces deux traitements sont indiqués dans les formes rémittentes de la SEP avec une surveillance biologique spécifique. Aucune de ces thérapeutiques n’a montré d’efficacité dans les formes progressives. 

Les traitements de deuxième ligne sont représentés par le NATALIZUMAB ou TYSABRI et le FINGOLIMOD ou GILENYA. Le TYSABRI est un anticorps monoclonal neutralisant le VLA4. Les suivis de cohorte (étude STRATA ou TOP) confirment les résultats des études avec une efficacité à 70 % sur le taux de poussée à 4 ans. Le NATALIZUMAB ne pose aucun problème de tolérance, mais la gestion du risque est focalisée sur celui de la LEMP (10 cas dans le nord). Ce risque est corrélé  à la présence d’anticorps anti JC virus (risque de 1 pour 1000 en cas de sérologie positive) et surtout à la quantité d’anticorps (risque de 1 pour 100 en cas d’indexe IgG supérieur à 1.5 après deux ans de traitement) (9).  Une surveillance IRM trimestrielle est alors nécessaire avec la possibilité de switcher par un autre traitement de deuxième ligne. L’effet rebond ou syndrome de reconstitution immunitaire (IRIS) est également mis en avant avec le TYSABRI. Le FINGOLIMOD ou GILENYA, en agissant sur les récepteurs S1P1 des lymphocytes, séquestre ces derniers au sein des ganglions lymphatiques et permet ainsi de réduire de 60 % le risque de poussée. Le risque de progression confirmé à 3 mois est diminué de 30 %. La gestion des risques est incontournable  de par le risque de lymphopénie, d’œdème maculaire à 3 ou 4 mois, d’infection au sens large et de bradycardie.

L’ALEMTUZUMAB ou LEMTRADA (10), traitement de troisième ligne a obtenu l’AMM européenne le 12 septembre 2013 et peu être utilisé sous forme d’ATU en France dans les formes hyperactives de SEP en traitement d’induction (5 perfusions de 12 mg par jour pendant 5 jours consécutifs pour la première année, 3 perfusions consécutives pour la deuxième année).Une gestion prévisible des risques est là encore incontournable avec notamment les sérologies VIH, VZV, et la clairance de la créatinine. Cet anticorps monoclonal anti CD 52, détruisant les lymphocytes, a montré dans deux essais menés CARE-MS2 (versus INTERFERON béta A.1 sous cutané) ou CARE-MS1 (chez 580 patients naïfs versus placebo) une chute de 50 à 55 % du taux de poussée. Le risque de survenue de certaine maladie auto-immune doit néanmoins être souligné (dysthyroïdie et PTI), de même que le risque infectieux parfois sous la forme d’infection sévère.

Pour les formes progressives, aucune thérapeutique de fond n’a montré d’efficacité à l’heure actuelle en dehors du CYCLOPHOSPHAMIDE versus bolus de SOLUMEDROL dans l’étude PROMESS.

Les anti-LINGO-1, ont montré leur efficacité dans la remyélinisation de la moelle épinière de certains modèles d’EAE chez le rat (nature médecine 2013, 1228- 1233).  Cette thérapeutique peut bloquer les protéines inhibitrices de la remyélinisation et augmenter ainsi les performances axonales. Les cellules souches mésenchymateuses semblent plus avoir un rôle d’immunomodulation que de remyélinisation. D’autres études sont en cours avec des cellules hématopoïétiques, neurales, fœtales, embryonnaires ou pluripotentes. 

Les traitements symptomatiques :

La DALFAMPRIDRINE ou FAMPIRA, dérivée de la 4 DIAMINOPYRIDINE, bloqueur des canaux calciques est le premier traitement symptomatique ayant démontré des résultats positifs sur le périmètre de marche, la vitesse de la marche, la force musculaire et la fatigue. Il améliore la conduction sur les nerfs démyélinisés  (11)

 Les résultats du SATIVEX (12), dans un essai randomisé double aveugle versus placébo en Add-on thérapie chez des sujets ayant une spasticité réfractaire, va conduire à sa commercialisation en 2015.

La remédiation cognitive est indiquée dans certains troubles cognitifs.

L’approche pluridisciplinaire est en cours de validation mais est une pratique courante depuis 1999 au GHICL avec des résultats très positifs.

 

 

1. National estimate of multiple sclerosis incidence in France. Fromont A, Binquet C, Sauleau E, Fournel I, Despalins R, Rollot F, Weill A, Clerc L, Bonithon-Kopp C, Moreau T. MultScler. 2012 18:1108-15.

 

2. Epigenetic changes in patients with multiple sclerosis. Koch MW1, Metz LM, Kovalchuk O. Nat Rev Neurol. 2013 Jan; 9(1):35-43.

3. Commensal microbiota and myelin autoantigen cooperate to trigger autoimmune demyelination.Berer K1, Mues M, Koutrolos M, Rasbi ZA, Boziki M, Johner C, Wekerle H, Krishnamoorthy G. Nature. 2011; 479(7374):538-41.

N Engl J Med. 2007 Aug 30; 357(9):851-62. Epub 2007 Jul 29.

 

4. Risk alleles for multiple sclerosis identified by a genomewide study.International Multiple SclerosisGenetics Consortium1, Hafler DA, Compston A, Sawcer S, Lander ES, Daly MJ, De Jager PL, de Bakker PI, Gabriel SB, Mirel DB, Ivinson AJ, Pericak-Vance MA, Gregory SG, Rioux JD, McCauley JL, Haines JL, Barcellos LF, Cree B, Oksenberg JR, Hauser SL.N Engl J Med.2007

 

5. Tear analysis as a tool to detect oligoclonal bands in radiologically isolated syndrome.Lebrun C1, Forzy G2, Collongues N3, Cohen M4, de Seze J3, Hautecoeur P2; on behalf Club francophone de la SEP and RISConsortium. Rev Neurol (Paris). 2015 Jan 19.

6. Detection of ectopic B-cell follicles with germinal centers in the meninges of patients with secondary progressive multiple sclerosis.Serafini B1, Rosicarelli B, Magliozzi R, Stigliano E, Aloisi F. Brain Pathol. 2004 Apr; 14(2):164-74.

7.I FN-β and multiple sclerosis: From etiology to therapy and back.Annibali V1, Mechelli R1, Romano S1, Buscarinu MC1, Fornasiero A1, Umeton R1, Ricigliano VA2, Orzi F3, Coccia EM4, Salvetti M5, Ristori G1.Cytokine Growth Factor Rev. 2014 Oct 31.

8. Oral disease-modifying therapies for multiple sclerosis.Kim W1, Zandoná ME2, Kim SH3, Kim HJ3. J Clin Neurol. 2015 Jan; 11(1):9-19

 

9. Natalizumab in MS: JC antibody index.Fung W1, Robertson NP. J Neurol. 2015 Jan 22.

 

10. Alemtuzumab for relapsing-remitting multiple sclerosis.Diaz RA, Doss S, Burke MJ, George E, Adler AI.Lancet Neurol. 2014 Sep; 13(9):869-70.

MultScler. 2015 Jan 12.

11. Long-term safety and efficacy of dalfampridine for walking impairment in patients with multiple sclerosis: Results of open-label extensions of two Phase 3 clinical trials. Goodman AD1, Bethoux F2, Brown TR3, Schapiro RT4, Cohen R5, Marinucci LN5, Henney HR 3rd5, on behalf of the MS-F203, MS-F204, and Extension Study Investigators; on behalf of the MS-F203 MS-F204 and Extension Study Investigators. MultScler. 2015 Jan 12

12. Clinical case reviews and poster sessions in multiple sclerosis spasticity: main outcomes and highlights.Trojano M1, Celius EG, Donzé C, Izquierdo G, Patti F, Pöhlau D. Eur Neurol. 2014;72 Suppl 1:15-9