L'insomnie chez l'adulte



Dr Christelle MONACA

 

 

 

 

Pour bien prendre un charge un patient insomniaque, il est important de rappeler quelques notions sur la physiologie du sommeil.

 

1) Quelques rappels sur le sommeil…

            Les états de vigilance se divisent en deux états : l’éveil et le sommeil, qui lui est composé de sommeil lent et de sommeil paradoxal (SP). Le sommeil lent est classé en 3 stades, les stades N1 (transition entre l’éveil et le sommeil) et N2 qui constituent le sommeil lent léger, et le stade N3 qui constitue le sommeil lent profond. Le sommeil léger occupe 55 % du temps total de sommeil. Le sommeil lent profond correspond à une synchronisation importante de l’activité cérébrale, caractérisée sur l’électroencéphalogramme par de nombreuses ondes lentes et amples (ondes delta). Il occupe généralement 15 à 20 % du temps total de sommeil. Le SP est caractérisé par une activité corticale rapide associée à une atonie musculaire généralisée et des mouvements oculaires rapides. C’est pendant ce stade que la production de rêve est la plus importante. Le SP occupe généralement 20 à 25 % du temps total de sommeil.

 

 Ces états de vigilance se succèdent de manière organisée et cyclique. Un cycle de sommeil  débute par le sommeil lent léger, se poursuit par le sommeil lent profond et se termine par le SP. Classiquement, un cycle dure entre 90 et 120 minutes. Une nuit de sommeil est composée de 4 à 6 cycles de sommeil. Les premiers cycles sont plus riches en sommeil lent, tandis que les derniers sont plus riches en SP.

 

Le cycle veille/sommeil est contrôlé par deux processus : le processus homéostatique et le processus circadien (2,3). Le processus homéostatique correspond à l’évolution, au cours du temps, de la pression du sommeil et régule les besoins journaliers de sommeil. Ainsi, le besoin de sommeil s’accumule tout au long de l’éveil pour atteindre un niveau qui peut conduire au sommeil. Ensuite il se dissipe rapidement au cours du sommeil. Le processus circadien dépend des horloges biologiques internes dont la principale est située dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC). Cette horloge contrôle aussi l’ensemble des rythmes circadiens (mélatonine,  température, cortisol, comportement alimentaire...). L'alternance lumière/obscurité (ou jour/nuit) constitue le synchroniseur majeur de l'horloge circadienne, par l’intermédiaire des voies d’entraînement photiques. Le processus circadien, qui correspond à la pression de l’éveil, va contrecarrer l’augmentation progressive de la pression du sommeil diurne jusqu’au début de la nuit. Il est nécessaire que les 2 types de régulation homéostatique et circadienne soient bien en phase l’une avec l’autre pour permettre un sommeil de bonne qualité.

 

Le temps de sommeil nécessaire par 24 heures est variable d’une personne à l’autre. Il dépend de l’âge. Un nouveau-né dormira entre 16 et 18 heures par 24 heures. A l’âge adulte, il existe des courts dormeurs (moins de 6h30 de sommeil par 24h), des moyens dormeurs et des longs dormeurs (plus de 9 heures par 24h). Le temps de sommeil d’un individu est programmé génétiquement.

 

 

2) Définition de l’insomnie chronique

Selon l’ISCD-2 (11), l’insomnie chronique se caractérise par la survenue de troubles du sommeil au moins 3 fois par semaine et ce pendant plus d’un mois. La plainte peut être une difficulté d’endormissement, et/ou des troubles du maintien du sommeil (éveils durant la nuit), et/ou un réveil précoce. Le sommeil nocturne apparaît non réparateur. Cette plainte de sommeil doit également être associée à un retentissement diurne (tableau 1).

 

 

 

 

Tableau 1: critères diagnostiques de l’insomnie (ISCD-2)

 

A. Plainte de difficultés d’endormissement, de maintien de sommeil ou d’éveil trop précoce ; ou de sommeil considéré comme non réparateur ou de mauvaise qualité.

 

B. Survenue de ces troubles du sommeil malgré des circonstances favorables à la survenue du sommeil.

 

C. Retentissement diurne de ces troubles du sommeil, avec au moins un de ces symptômes retrouvés :

            1. Fatigue

            2. trouble de l’attention, de la concentration ou de la mémoire

            3. retentissement social ou difficultés scolaires

            4. troubles de l’humeur, irritabilité

            5. Somnolence diurne excessive

            6. Perte de motivation, d’initiative

            7. Accidents du travail ou de la voie publique

            8. Céphalées, troubles gastro-intestinaux du fait du trouble du sommeil

            9. Inquiétude concernant le sommeil

 

3) Conduite à tenir diagnostique face à un patient se plaignant « d’insomnie »

Proposer une consultation spécifique pour cette plainte de troubles du sommeil.

 

Lui demander de remplir pendant 2 semaines un calendrier de sommeil (cela permettra au patient de patienter jusqu’à la consultation)

 

Lors de la consultation, interroger le patient sur ses nuits et ses journées :

-          Habitudes de sommeil : heure du coucher, heure de l’endormissement, heure du réveil, heure du lever. Différencier les jours de travail et les jours de repos.

-          Eveils durant le sommeil : nombre, durée, activités éventuelles pendant ses éveils.

-          Dans la journée, recherche d’une somnolence : envie de dormir, siestes, accès d’endormissement (nombre et durée)

-          Rechercher d’autres retentissements possibles dans la journée de l’insomnie : troubles de mémoire, troubles attentionnels, troubles de concentration, irritabilité, troubles de l’humeur…

 

Si le patient présente effectivement les critères d’insomnie (tableau 1), l’étape suivante est d’en rechercher l’étiologie :

 

-          Ancienneté des troubles, facteurs déclenchants

-          Revoir les antécédents du patient (une insomnie peut être liée à une pathologie intercurrente : rhumatologique, insuffisance cardiaque, asthme, eczéma…)

-          Activités avant le sommeil

-          Heure de la prise d’éventuels traitements psychotropes ou de tout autre médicament éveillant

-          Prise d’excitants dans la journée, activité physique

-          Rechercher un syndrome anxieux, des troubles de l’humeur, un trouble obsessionnel compulsif…

-          Rechercher un syndrome des jambes sans repos (tableau 2 avec les critères diagnostiques)

 

Tableau 2 : critères diagnostiques du syndrome des jambes sans repos.

 

Les 4 critères sont nécessaires pour poser le diagnostic :

-          Besoin de bouger les membres inférieurs associé ou non à des troubles sensitifs et/ou des sensations désagréables.

-          Apparition au repos.

-          Apparition ou aggravation vespérale des troubles.

-          Amélioration ou disparition lors du mouvement.

 

Les étiologies d’insomnie sont multiples. L’insomnie chronique peut être soit primaire, soit secondaire : insomnie psychophysiologique ; mauvaise perception de sommeil ; troubles de l’hygiène veille-sommeil ; insomnie secondaire à un trouble psychiatrique ; à un trouble médical ; à la prise d’un médicament ou d’un toxique. Si aucune étiologie particulière n’est retrouvée, alors l’insomnie sera considérée comme psychophysiologique (selon l’ISCD-2, 2006) ou primaire (pour le DSM-IV, 2000). Il est important de noter qu’il existe un continuum entre certains types d’insomnies. Ainsi, une insomnie secondaire initialement à un événement stressant de la vie peut tout à fait évoluer ensuite vers une insomnie psychophysiologique. En effet, le facteur déclenchant initial de l’insomnie qui était « l’événement stressant » n’existe plus, mais l’insomnie perdure et évolue pour son propre compte. Cette insomnie devient donc psychophysiologique.

La physiopathologie précise de l’insomnie psychophysiologique reste encore mal connue. Il existe plusieurs hypothèses à l’heure actuelle : mécanismes d’hyperéveil avec installation du cercle vicieux de l’insomnie, dysfonctionnement des systèmes de régulation du sommeil homéostatique et/ou circadien ?

 

 

4) Conduite à tenir thérapeutique face à un patient insomniaque.

Le traitement de l’insomnie doit être adapté à l’étiologie. L’utilisation d’hypnotiques dans l’insomnie chronique ne doit être que transitoire. Devant une insomnie psychophysiologique, la prise en charge est avant tout comportementale avec notamment une restriction du temps passé au lit et des conseils d’hygiène de sommeil. Lorsque cela n’est pas suffisant, le traitement peut consister en une thérapie cognitivo-comportementale afin de diminuer les pensées dysfonctionnelles liées au sommeil. Si besoin, un traitement psychotrope est possible en discontinu ou pendant un temps limité. Par ailleurs, chez la personne de plus de 55 ans, un dysfonctionnement du système circadien peut être évoqué et il peut être alors nécessaire d’adjoindre un traitement à base de mélatonine.

Si l’insomnie est liée à un syndrome des jambes sans repos, il faut envisager (après un avis auprès d’un neurologue ou d’un médecin du sommeil) un traitement spécifique, notamment un agoniste dopaminergique.

Si l’insomnie est psychogène, il faut prendre en charge l’anxiété, les troubles de l’humeur…

 

Toute insomnie nécessite une prise en charge spécifique et adaptée à son étiologie.

 

Référence :

 

 

American Academy of Sleep Medicine, 2005. The international Classification of Sleep Disorders: diagnostic and coding manual, 2nd ed., American Academy of Sleep Medicine, Westchester.